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                    Catalonia

30 | Premier semestre 2022

(Auto)biographie langagière, conscience
linguistique plurilingue, intercompréhension en
contexte de romanité
Mònica Güell et Corinne Mencé-Caster (dir.)

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/catalonia/1546
DOI : 10.4000/catalonia.1546
ISSN : 1760-6659
Éditeur
Sorbonne Université - Laboratoire CRIMIC (EA 2561)
Référence électronique
Mònica Güell et Corinne Mencé-Caster (dir.), Catalonia, 30 | Premier semestre 2022, « (Auto)biographie
langagière, conscience linguistique plurilingue, intercompréhension en contexte de romanité » [En
ligne], mis en ligne le 01 juillet 2022, consulté le 12 octobre 2022. URL : https://
journals.openedition.org/catalonia/1546 ; DOI : https://doi.org/10.4000/catalonia.1546

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1 SOMMAIRE Monographique (Auto)biographie langagière, conscience linguistique plurilingue, intercompréhension en contexte de romanité (Auto)biographie langagière, conscience linguistique plurilingue, intercompréhension en contexte de romanité. Introduction Mònica Güell et Corinne Mencé-Caster Parler de l’intimité avec ses langues Des difficultés de la prise de « conscience plurilingue » Corinne Mencé-Caster Les conditions d’émergence d’une conscience bi/plurilinguistique Christian Lagarde (Auto)biografies lingüístiques en el debat públic de la transició espanyola: quins models per afrontar moments de canvi? Narcís Iglésias Poéticas anfibias. Bilingüismo y autotraducción en cinco poetas contemporáneos de expresión italiana, catalana, castellana y gallega Marisa Martínez Pérsico Requiem, d’Antonio Tabucchi ou l’aventure portugaise d’un Italien Aina López Montagut Plus d’une langue : le sentiment de la langue et ses usages littéraires chez Carme Riera et Ponç Pons Mònica Güell Varia Le catalan comme langue étrangère dans l’enseignement supérieur en France : des bonnes racines et une excellente santé mais, quel avenir ? Josep Vidal Arráez Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
2 Monographique (Auto)biographie langagière, conscience linguistique plurilingue, intercompréhension en contexte de romanité Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
3 (Auto)biographie langagière, conscience linguistique plurilingue, intercompréhension en contexte de romanité. Introduction Mònica Güell et Corinne Mencé-Caster 1 Dans ce numéro, nous avons choisi de nous intéresser aux locuteurs qui vivent dans la familiarité de deux ou plusieurs langues romanes, mais sans avoir développé pour autant une conscience claire de leur bilinguisme ou plurilinguisme. Il n’est pas toujours aisé, en effet, de se percevoir comme bilingue ou plurilingue simplement parce qu’on peut avoir le sentiment de demeurer dans un rapport de déficit ou d’illégitimité en regard de certaines des langues de notre habitat linguistique. 2 C’est que la notion de bilinguisme ou de plurilinguisme ne va pas de soi, renvoyant souvent les locuteurs à leurs insuffisances plus qu’à leurs compétences, à ce qui leur paraît être une maîtrise imparfaite, voire indigne, des langues qu’ils comprennent et/ ou qu’ils parlent. Inversement, certains locuteurs peuvent tendre à surévaluer leurs compétences et à se présenter comme bilingues ou plurilingues sans pour autant disposer de compétences linguistiques plus avérées que celles ou ceux qui n’osent pas franchir le pas. 3 Dans tous les cas, l’intimité ou la relative distance qui s’établit avec deux ou plusieurs langues crée une situation langagière particulière qui, dans les contextes didactiques, a pu être explorée à partir de la pratique de l’(auto)biographie langagière. Comme le précise si justement Muriel Molinié, « l’écriture autobiographique […] sert à construire un rapport au savoir fondé sur la compréhension de ses propres démarches intellectuelles »1. 4 Il ne serait pas inintéressant d’ajouter que cette démarche d’écriture induit aussi l’exploration du rapport affectif à ses langues et, par conséquent, permet de retrouver le « sujet de l’énonciation » qui ne se confond pas toujours avec « l’auteur » de l’autobiographie langagière2. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
4 5 S’amorce ainsi un processus de réflexion non seulement sur les langues « pratiquées » et le passé langagier mais aussi sur les articulations entre les langues parlées ou comprises, sur le rapport entre les langues dites de prestige et les langues jugées moins prestigieuses, entre les langues montrées et les langues cachées, sur les malentendus linguistiques ou contextes affectifs qui modifient la relation à telle ou telle autre langue, sur les migrations, sur le lien entre récit de vie et « rencontres » fortuites ou voulues avec les langues, etc. 6 Ainsi, au-delà de la démarche réflexive qui la sous-tend, l’(auto)biographie langagière suppose également un processus de créativité qui renvoie à la dimension narrative qui lui est inhérente et qui permet de faire émerger un « sujet » qui accepte en quelque sorte de regarder « en face » toutes ses langues, de les accepter ou refuser comme siennes, de faire le point sur son imaginaire et son vécu linguistiques. 7 Cette dimension créative explique aussi la place importante que ce numéro fait, non seulement au récit des locuteurs bilingues ou plurilingues et aux théories qui visent à rendre compte de ces expériences inouïes, mais aussi aux démarches des écrivains à la croisée des langues qui endossent souvent le rôle d’auto-traducteurs. L’auto-traduction qui est, de fait, réécriture, apparaît ainsi comme une stratégie visant à donner de la visibilité à des langues minorées, lesquelles, privées de ce concours, seraient demeurées « sans lecteurs », se voyant ainsi condamnées au retrait… 8 Cette plongée dans le monde des plurilingues est aussi une manière de rappeler que les traversées des langues et des cultures ne s’opèrent pas sans douleur ni solitude. Il arrive que les locuteurs portent leur langue comme une croix et que les écrivains vivent douloureusement de devoir écrire dans la langue qu’ils n’ont pas choisie. Il n’y a pas d’amour sans trahison, dit-on. Fort heureusement, l’expérience de la confrontation avec ses langues comporte aussi une part de jouissance : celui qui vit une telle expérience peut alors transcender ses altérités intérieures, en décloisonnant ce qu’il croyait être ses identités closes, jusqu’à ce que se confondent en lui le vécu, l’« in-su » et l’imaginé. 9 Les articles de ce numéro nous invitent donc à suivre, en contexte de romanité, les traces de ces expériences plurilingues, en cherchant à conforter leur assise théorique et en explorant leurs manifestations littéraires : modalités d’émergence de la conscience plurilingue, entre dysphorie et euphorie ; analyse des jeux et sauts de langues, des audaces d’écriture plurilingues et (auto)traductives, le tout dans une dynamique de valorisation du plurilinguisme, encore trop souvent marginalisé dans nos imaginaires, au profit de l’illusion du monolinguisme. NOTES 1. MOLINIÉ, Muriel. « Biographie langagière et apprentissage plurilingue ». Le français dans le monde, 39 (2006). 2. DELAS, Daniel. « Instance du sujet et travail en biographie langagière ». Le français dans le monde. Op.cit. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
5 AUTEURS MÒNICA GÜELL Sorbonne Université CRIMIC CORINNE MENCÉ-CASTER Sorbonne Université CLEA Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
6 Parler de l’intimité avec ses langues Des difficultés de la prise de « conscience plurilingue » Corinne Mencé-Caster 1 J’ai engagé depuis quelque temps une réflexion sur l’intime comme catégorie d’analyse pouvant permettre d’appréhender la notion de « langue » sous d’autres aspects que ceux par lesquels elle est généralement abordée. À cet égard, l’essai que je viens de publier, à savoir, Pour une linguistique de l’intime. Habiter des langues néo (romanes). Entre français, créole et espagnol1 constitue bien plus un point de départ, un jalon, qu’un aboutissement. 2 Il me paraît important, en effet, de reprendre la réflexion là où je l’ai laissée, de revenir sur les raisons qui m’ont incitée à considérer l’intime comme une catégorie d’analyse pertinente, afin d’examiner en quoi la prise en compte de cette catégorie est non seulement un moyen par lequel des locuteurs peuvent accéder plus aisément à la conscience de leur bilingualité, mais rend manifeste également l’importance de faits « de langage » que l’on a eu trop tendance à tenir pour négligeables et à laisser donc en dehors de la science linguistique. 3 Cette étude s’inscrit dans le cadre théorique de la sociolinguistique du contact des langues, de l’écolinguistique, de l’herméneutique linguistique, de la traductologie et de ce qu’il conviendrait d’appeler une « stylistique de la parole ». 1. Langue, idiolecte, style de parole 4 La linguistique structurale s’intéresse à la langue en tant que système et, suivant en cela Antoine Meillet elle se trouve définie comme fait social, c’est-à-dire comme un fait indépendant de l’action de l’individu et de ses actes et qui, au contraire s’impose à lui dans la société, dans la « masse parlante » de tous ceux qui parlent la même langue que lui2. Dans cette perspective, la langue se maintient au-delà de l’individu qui n’a pas directement prise sur ses règles ; ainsi, elle est vue comme ce qui surdétermine les individus et s’impose à eux, plus que comme une structure sur laquelle les individus peuvent agir. Ainsi, comme aucun locuteur ne choisit sa langue (maternelle ou première) ni ne peut décider de manière individuelle de modifier le lien entre signifiant Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
7 et signifié tel qu’il a été collectivement institué dans cette langue, tous les locuteurs paraissent devoir subir la langue. Les écarts sont donc perçus comme des accidents de la parole qui relèvent de faits individuels et ne sont donc pas appelés à se reproduire ni à transformer de manière substantielle la langue. 5 Ces divers éléments tendraient ainsi à valider l’idée selon laquelle les rapports entre un locuteur donné et sa langue relèveraient davantage de ce que l’on pourrait appeler une « extériorité », même si, de manière quasi paradoxale, chaque locuteur développe un idiolecte, son idiolecte. 6 Il semble donc que la prééminence accordée à la dimension « macrolinguistique » conduise ainsi à considérer comme peu pertinente la question du locuteur singulier, et donc, de l’idiolecte. Si, au contraire, on décide d’inverser la perspective et de placer au centre de l’attention le locuteur face à sa langue, il est évident que l’idiolecte acquiert alors une certaine valeur heuristique. 7 Il s’avère donc fécond, et ce, dans une perspective épistémologique, de chercher à suivre la trace de cette tension toujours sous-jacente entre une linguistique favorisant le niveau « macro » et une linguistique qui serait plus attentive au niveau « micro » en se situant au plus près des habitudes de langage du/des locuteurs individuels, indépendamment de ce que le prétendu système tend à imposer à ce(s) dernier(s). Loin de prétendre mener à bien une telle reconstruction, je chercherai simplement à examiner ce qui se passe lorsque l’on choisit de délaisser le niveau « macro » pour se concentrer sur le niveau « micro », constitué, on l’a dit, soit par un locuteur donné, soit par une sous-communauté de locuteurs définie par un certain nombre de traits distinctifs au sein d’une communauté plus étendue. 8 La question posée est donc la suivante : que se passe-t-il lorsqu’un linguiste choisit de scruter le langage d’une communauté donnée, non pour en décrire de l’extérieur, le système de la langue comme étant une structure où tout se tient, mais pour l’appréhender de l’intérieur comme poly-systèmes complexes où, précisément, tout ne se tient pas ou tout ne se tient pas bien, parce qu’il y a au moins deux langues « en ballottage » en présence chez un même locuteur qui ne sait à quelle langue se vouer ? 9 Pour mener à bien cette réflexion, il s’avère utile de se situer du côté de l’idiolecte, en rappelant la définition qui en est communément donnée comme étant le « langage particulier d'une personne, ses habitudes verbales ; le langage en tant qu'il est parlé par un seul individu »3. Lorsque l’on envisage l’idiolecte, non plus au plan strictement individuel, mais à un niveau plus communautaire, il se trouve défini comme suit : « langage d'une communauté linguistique, c'est-à-dire d'un groupe de personnes interprétant de la même façon tous les énoncés linguistiques » 4. 10 Dans un article intitulé « L’idiolecte entre linguistique et herméneutique » 5, Franck Neveu rappelle les affinités entre « idiolecte » et « époque romantique », afin de montrer que l’intérêt envers des habitudes langagières propres à un locuteur ne pouvait se développer que dans un mouvement visant à mettre en valeur l’individu et le subjectif, tout autant que le sentiment. Il cite ainsi cet extrait de Schmitter : « Le fait que la langue soit conçue comme un phénomène qui reflète des manifestations tant universelles qu’individuelles (spécifiques à des individus, à une culture, à un peuple), représente sans doute un trait commun à toute la linguistique romantique. (Schmitter in Auroux, 2000 : 64) »6. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
8 11 La « problématique idiolectale » surgit donc en même temps que la vision de la langue comme « organisme » et « principe vital ». Si une telle approche de la langue a pu être le socle, comme le dit si bien Neveu, de « linguistiques racistes qui trouveront à s’exprimer particulièrement dans le comparatisme de la fin du siècle en Europe » 7, avec, par exemple, la supériorité concédée aux langues flexionnelles, elle a aussi tendu à montrer que la tension entre le général et le particulier qui traverse les études linguistiques est toujours latente, même si elle se cristallise de façon remarquable à certains moments, comme ce fut le cas au XIXe siècle. Les modalités de résolution de cette tension nous placent alors au cœur de l’objet qui nous préoccupe ici, à savoir, la perception de la langue, saisie au plus près du locuteur individuel ou, à l’inverse, au plus loin, comme structure qui le surplombe. Ainsi s’opposent les visions de Schlegel et Bopp qui, tout en se rejoignant sur la conception de la langue comme organisme, définissent celle-ci depuis deux points de vue distincts : Leurs conceptions diffèrent toutefois sur un point essentiel : pour Schlegel, l’organisme de la langue est toujours le produit de l’homme, alors que Bopp, partant d’un concept inspiré de l’anatomie et de la biologie, conçoit la langue comme un être propre qui évolue indépendamment de l’homme et de la société selon une certaine dynamique intrinsèque8. 12 Comme on le voit au travers de cette citation, l’influence des sciences naturelles et médicales sur Bopp l’a conduit à envisager la langue comme un organisme doté d’une « dynamique intrinsèque », « indépendamment de l’homme et de la société ». Cette conception de la langue dont les affinités avec les linguistiques structuralistes sont évidentes, rendent possible, voire souhaitable l’étude « en soi » de la langue comme système où tout se tient, pour ainsi dire, à l’extérieur de l’homme. 13 Quant à la vision de la langue comme « produit de l’homme », c’est Humboldt qui, après Schlegel, en proposa sans doute le développement le plus abouti en considérant que : La langue est sans doute conditionnée par les organes corporels, mais elle se meut dans le libre éther des pensées et des émotions. Cette liberté s’élève au-dessus de l’organisme ; et l’acte du discours ne peut jamais être qualifié, au sens propre du terme, de procédure organique. [...] En règle générale, il faut bien se garder de pousser la comparaison entre système linguistique et système naturel au-delà de ce qu’autorise leur objet propre. Une langue ne peut être traitée à la manière d’un corps de la nature, elle ne nous présente jamais, jusque dans la masse de ses mots et de ses règles, un contenu simplement offert, mais toujours une opération, un procès spirituel, analogue au procès corporel à l’œuvre dans la vie. On ne peut la comparer qu’avec la physiologie, non avec l’anatomie ; en elle rien n’est statique, tout est dynamique9. 14 Il me paraît d’emblée important de souligner que la conception humboldtienne de la langue comme « opération » toujours dynamique est bien plus à même que la précédente, d’articuler une approche linguistique capable d’intégrer la « parole » individuelle dans ce qu’elle a d’idiolectal. En accordant une attention aux processus de négociations entre les règles imposées par le système et le « dit » du locuteur qui n’est jamais totalement un « déjà-construit », un « prêt-à-l’emploi », la définition humboldtienne de la langue circonscrit une place à l’idiolecte, et ce faisant, à ce qui articule le rapport singulier de l’individu à la langue. Comme le souligne Neveu : « La complémentarité des rapports entre langue et pensée est notamment éclairée par le concept de forme interne qui chez Humboldt remplace la notion de parole intérieure, et pose le cœur de la langue comme le cœur de l’intériorité du sujet » 10. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
9 15 S’il est vrai, et Neveu a tôt fait de le préciser, que « Chez Humboldt (notamment 1834), la problématique des singularités langagières apparaît dans une approche philosophico-anthropologique des langues et de leurs caractéristiques discursives, prises comme des réalisations concrètes et individuelles d’un idiome général et abstrait »11, il n’en reste pas moins qu’en refusant, d’une part, de tenir la langue pour un organisme indépendant de l’homme et de sa société et, d’autre part, de surévaluer le poids du système par rapport à celui des actes individuels de langage, Humboldt ouvrait une brèche importante dont les répercussions les plus fortes étaient celles de la reconnaissance du « style individuel », et donc, de la fondation de la stylistique à la française. Quoi de plus idiolectal que le style en effet ? 16 On peut, toutefois, se demander pourquoi, dès lors qu’il a été question de « style individuel », on a déserté le champ de la « science de la langue » pour celui de la littérature, réduisant donc le « style individuel » à n’être que la « parole écrite » 12. En effet, le glissement silencieux qui s’est opéré de la « langue » vers le « style », et donc, majoritairement, de la linguistique vers la stylistique littéraire, ne s’est pas accompagné d’un glissement homologue de la « langue » vers la « parole orale », ce qui aurait permis d’étudier la « parole orale », non pas comme fait accidentel, mais comme « style individuel » présentant des traits susceptibles d’être étudiés dans ses écarts avec ce qui tient lieu de « standard », d’« étalon ». De fil en aiguille, de telles analyses auraient sans doute permis de mettre en évidence des « styles de parole ». Or, que trouve-t-on actuellement sous l’étiquette « styles de parole », si ce n’est une approche de la « parole » uniquement comme « voix », c’est-à-dire, comme phonostylistique (registres phonique et prosodique) ? 17 Comme le rappellent fort à propos Fagyal et Morel à propos de la laborieuse émergence de la phonostylistique en tant que discipline, « L’étude des variations dans la parole fut longtemps exclue de la tradition linguistique. La naissance et l’élaboration des fondements théoriques de la phonostylistique illustrent bien cette tendance » 13. 18 La dénomination « style de parole » a donc été en quelque sorte confisquée par la phonostylistique », faisant que la « parole », dans cette approche, s’identifie à la « voix », laissant ainsi hors du champ de l’étude du « style de la parole », tout le reste, à savoir ce que Sapir a défini comme étant le « style » : un aspect quotidien de la parole qui caractérise le groupe social tout comme l'individu, et ce, sans référence aucune au seul contexte de l’écrit. 19 Il en découle que l’expression « style de parole », loin de référer au seul « style vocal », devrait avoir vocation à rendre compte de la « parole » dans son entier : prosodie, accent, intonation, contenu, forme, etc. 20 On peut, en effet, considérer que tous ces éléments constituent des « observables » linguistiques, permettant de caractériser des idiolectes complexes à des niveaux individuels ou « micro-communautaires ». La difficulté vient de ce qu’il faut savoir comment recueillir, traiter et analyser ces « observables », notamment dans des situations de contacts de langues où sont en jeu deux ou plusieurs langues, et non plus une seule. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
10 2. Pour une herméneutique des styles de parole : vers une linguistique de l’intime 21 Les enquêtes que mènent les sociolinguistes auprès de locuteurs d’une communautécible au travers d’un certain nombre de critères préalablement définis, ont-ils véritablement pour objet de déterminer le(s) style(s) de leur parole, et donc, leur(s) idiolecte(s), afin de les comparer au « standard »14 ? 22 Posons tout d’abord qu’en situation de contacts de langue, les choses s’avèrent d’emblée plus compliquées, comme enveloppées d’une forme d’opacité. Le recours à la notion d’« opacité15 », telle que l’a développée Édouard Glissant, pourrait être ainsi d’une certaine utilité : en instituant l’opacité comme catégorie d’analyse, Glissant entendait renvoyer à l’insuffisante problématisation qui, dans les études culturelles, avait été faite de la pseudo « transparence » de l’Autre, tout autant que de sa langue et de sa parole, ainsi que je me propose de le montrer maintenant. 23 Un Autre que moi parle, depuis sa culture et sa langue, et moi je l’entends, mais qu’estce que j’entends ? Ce que je sais déjà de lui ? Ce qui, de lui, fait écho dans ma propre culture et ma propre langue ? Me suis-je jamais posé la question de ce que je n’entends pas de lui, de ce que je n’entendrai jamais de lui ? 24 Sans reprendre l’entier de l’argumentation sur les limites de la sociolinguistique « traditionnelle », il n’est pas inutile de rappeler que les sociolinguistes n’ont pas toujours suffisamment interrogé leur capacité à déchiffrer correctement les idiolectes de leurs enquêtés, pas plus qu’ils ne se sont questionné de manière suffisamment approfondie sur les stratégies (conscientes et inconscientes) d’évitement et de représentations de soi, souvent « surjouées », par ces derniers. Tout s’est passé, au contraire, comme si l’accès à la parole de l’Autre était direct et que cette parole était transparente : a-t-on pris en compte de façon suffisamment critique, la fabrication « calculée » de la parole de l’enquêté, non pas au sens où il viserait à la contrôler totalement mais davantage au sens d’une falsification ? 25 La sociolinguistique du contact des langues est sans doute mieux armée, mais il n’est pas certain que le sociolinguiste du contact, non-natif, ait conscience de tout ce qui se joue dans cette « parole » de l’Autre qui ne se donne jamais aussi bien que dans le retrait. De fait, la tendance spontanée sera de se concentrer sur ce qui est dit, sur la structure des énoncés, sur leur contenu, alors même que l’essentiel, c’est ce qui n’est pas dit, à savoir, ce qui est tu. 26 C’est à ce lieu précis que s’articule la catégorie de l’intime : ce lieu où la mise en silence d’un potentiel « dire » s’avère plus importante que le « dit » lui-même. C’est pourquoi, et il convient de reconnaître sans parti pris aucun, que les sociolinguistes du contact des langues « natifs » sont sans doute, dans un premier temps, les mieux placés pour identifier ce lieu et tenter de donner une assise scientifique à cette catégorie de l’intime, à partir d’une démarche scientifique qui n’exclut ni l’expérientiel, ni l’existentiel mais les intègre à ce qu’il est commun de dénommer l’« objectivité » et la « neutralité » du chercheur. 27 Pour qu’il en soit ainsi, il importe que le sociolinguiste du contact des langues « natif » consente à se libérer du carcan de la science neutre et désincarnée, afin de chercher les voies et moyens par lesquels décrire ce qu’il pressent être l’expérience des locuteurs qui, comme lui, éprouvent leurs langues. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
11 28 En ce sens, l’expérience de la « diglossie » (notion certes contestée mais dont la valeur heuristique ne saurait être totalement remise en cause) me paraît inouïe pour au moins trois raisons que je prendrai le temps d’exposer de façon détaillée. Auparavant, il me semble important de mettre en évidence ce qui distingue le locuteur dit « bilingue » ou « plurilingue » du locuteur dit « diglotte ». 29 Par locuteur « diglotte », on entendra ici, soit un locuteur bilingue dans un contexte où les deux langues en présence ne bénéficient pas du même prestige, soit un locuteur « monolingue » aux prises, au sein d’une même langue, avec une variété « basse » et une variété « haute » de la langue. 30 La difficulté même que l’on peut éprouver à définir le locuteur « diglotte » semble témoigner de la tension permanente qui, dans sa communauté, se joue entre le politique et le linguistique. En effet, tout se passe comme si les compétences langagières du sujet « diglotte » se trouvaient prises dans l’étau des injonctions politiques ; celles-ci tendent à vouloir assigner des territoires précis à l’exercice de ses compétences langagières, ce qui a pour effet de créer chez lui une forme de schizoglossie. Parlant ses langues de façon intermittente en raison des injonctions du dehors, le locuteur « diglotte » éprouve ainsi de la difficulté à s’identifier comme sujet bilingue capable de « rassembler » ses langues au sein de l’écosystème qui serait le sien. Précisément la construction de cet écosystème lui est comme interdite, et c’est en ce sens que l’expérience de ce locuteur « diglotte » me paraît inouïe : elle tend à remettre en cause un certain nombre de points qui semblent relever des « acquis » de la science linguistique et de la définition même de la langue comme « système où tout se tient ». 31 1- La prise en compte de l’expérience du locuteur « diglotte » conduit ainsi à ne pas ramener la « compétence langagière » à la seule « compétence linguistique » et à manifester que la langue définie uniquement comme « système » ne prend en compte que l’expérience d’une partie des locuteurs, ceux dits « monolingues ». 32 Pour rappel, la compétence langagière englobe trois types de compétences : la compétence linguistique, la compétence textuelle et la compétence discursive. Dans le cas qui nous préoccupe ici, la compétence discursive dont le pendant est la « performance langagière » s’exerce sur le fondement non pas d’une langue, mais au moins de deux langues, et requiert, pour être décryptée, des outils qui relèvent de l’herméneutique linguistique, de la traductologie et de la pragmatique. En ce sens, la notion de « langue-système » s’avère moins pertinente que celle de « macrosystème langagier » ou de « poly-système » incluant toutes les variétés et co-variétés des langues en contact. 33 En effet, établir une distinction entre « compétence langagière » et « compétence linguistique » nous renvoie bien du côté du « style de parole », de la « performance idiolectale », lesquels sont toujours propres à un locuteur mais peuvent aussi être partagés, dans certains de leurs traits constitutifs, par une communauté donnée. Nous ne sommes guère éloignés, du moins en partie, de l’herméneutique de Schleiermacher qui a servi de fondement à la poétique du traduire d’Antoine Berman : Chaque homme, pour une part, est dominé par la langue qu’il parle […] Mais, par ailleurs, tout homme pensant librement, de manière indépendante, contribue à former la langue. [...] En ce sens, c’est la force vivante de l’individu qui produit de nouvelles formes dans la matière ductile de la langue, initialement avec pour seul propos momentané de communiquer une conscience passagère [...]. [...] tout discours libre et supérieur demande à être saisi sur un double mode, d’une part à partir de l’esprit de la langue dont les éléments le composent, comme une Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
12 exposition marquée et conditionnée par cet esprit, engendrée et vivifiée par lui dans l’être parlant ; d’autre part il demande à être saisi à partir de la sensibilité de celui qui le produit comme une œuvre sienne, qui ne peut surgir et s’expliquer qu’à partir de sa manière d’être16. 34 Il m’importe de montrer ici comment la dimension interprétative qui est au cœur des quelques lignes précédemment citées s’avère essentielle dans l’appréhension des performances langagières d’un locuteur « diglotte ». C’est pourquoi le sociolinguiste du contact des langues, pour déchiffrer ou décrypter les performances langagières d’un locuteur « diglotte », gagnerait à mettre en œuvre une sorte de « méthode » interprétative proche d’une forme d’herméneutique linguistique. Nous touchons là au régime interprétatif ouvert des langues naturelles, régime qui, loin d’être défini par des fonctions identifiables a priori, le sont par des types d’emplois définissables par les pratiques linguistiques historiquement et culturellement situées. Étant sans fonctions a priori, les langues peuvent être adaptées à un nombre indéfini d’usages, ce dont, précisément, témoigne la variété des « styles de parole ». 35 Or, en décidant a priori de la grammaticalité des énoncés d’une langue et de leur « sens », comme c’est le cas, notamment, dans les grammaires génératives, on ferme la porte à la dimension ouverte du régime interprétatif des langues naturelles qui, précisément s’oppose au régime interprétatif prédéfini au moment de leur institution des langages dits « artificiels ». 36 Prenons deux exemples que j’ai exploités (mais pas suffisamment) dans mon essai et qui relèvent du contact de langues entre le français et le créole, à savoir, les énoncés suivants : « Je retire mes pieds » ; « ma maman est derrière moi ». 37 Du point de vue de la grammaire du français, ces énoncés sont correctement formés et semblent donc témoigner d’une certaine compétence linguistique en français. Au plan sémantique, le premier énoncé « Je retire mes pieds » peut s’avérer problématique. Le second semble bien plus « transparent ». Dans tous les cas, la lecture de ces énoncés renvoie à un problème crucial en sémiotique et en sémantique, à savoir, la distinction entre les types et les occurrences, distinction qui régit notamment la question de la polysémie, et plus largement, celle de l’interprétation. En considérant, par exemple, que l’énoncé « Ma maman est derrière moi » a un « sens-type », on tiendra que toutes les occurrences de cet énoncé ont le même sens, lequel renverrait invariablement à l’expression d’une localisation spatiale. 38 Autrement dit, on tend à postuler que les occurrences ne diffèrent pas des types, et que l’interprétation va de soi, ou plus grave encore, que la question de l’interprétation ne se pose pas. N’est-ce pas exactement ce qui se passe lorsqu’on ne s’intéresse qu’à la seule compétence/performance linguistique, en dehors de la compétence/performance langagière ? Or, qualifier comment les occurrences diffèrent des types, c’est l’objectif majeur de l’interprétation, ce qui, pour l’analyse de tout énoncé, induit une prise en compte du locuteur et du contexte (situation d’énonciation). La démarche relève donc tout à la fois de l’herméneutique linguistique (elle suppose une interprétation) et de la pragmatique (cette élucidation du sens ne peut se faire en dehors d’un contexte donné), un énoncé ne pouvant être déclaré « en soi » agrammatical ou dénué de sens. 39 Ainsi, un énoncé comme « maman est derrière moi » peut signifier « maman me harcèle » dans certains contextes francophones, de même que « je retire mes pieds » peut signifier « je m’en vais ». Pour être compris, ces énoncés ne devraient pas Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
13 s’analyser sur le fondement d’un unique système linguistique mais d’au moins deux : le français et le créole. Il conviendrait donc de mobiliser une herméneutique linguistique et des ressources traductologiques, l’énoncé français « je retire mes pieds » étant la traduction littérale de l’énoncé créole « man ka tiré pjé mwen », et celui « ma maman est derrière moi », la traduction littérale de l’énoncé créole « manman-mwen deyè mwen ». En effet, le français des Antilles se caractérise par la production d’énoncés qui relèvent de la traduction littérale du créole en français. Ignorer cela conduit à tenir pour « transparents » des énoncés dont le sens est profondément distinct des « phrases-types » qui semblent leur correspondre en français standard ; 40 2- Sur le fondement de ce qui vient d’être dit, on comprend que la prise en compte de l’expérience langagière du locuteur « diglotte » met en évidence comment dans ses postulats et ses modalités de description du langage, une science dite « du langage » a pu exclure un ensemble de locuteurs dont l’expérience et le vécu langagiers ont été tenus pour des « accidents de la parole » négligeables. 41 Poser, en effet, un sens prédéfini ou une grammaticalité a priori, c’est tenir les énoncés pour des phrases. Cela revient donc à viser une universalité qui fait fi de toute approche empirique, en excluant, de fait, des langues qu’ils parlent, une bonne partie des locuteurs, considérant que ces derniers parlent mal la langue et/ou que la langue qu’ils parlent de cette façon-là n’a pas droit de cité. 42 C’est donc la double conjonction de la naturalisation du sens et de l’interprétation absente, corrélative de l’exclusion du contexte (culturel, social, politique, historique) qui explique en grande partie le malaise et le mal-être des locuteurs « diglottes ». Tout semble mis en œuvre dans la science linguistique « classique », pour leur faire comprendre qu’ils évoluent en marge du système, qu’ils en sont des accidents négligeables, voire regrettables. Il en découle que le primat accordé au monolinguisme dans l’édification de la science linguistique a conduit d’emblée à marginaliser toute une série de contextes et d’énoncés. Se trouvent exclus, en effet, les contextes plurilingues, les énoncés tressés dans l’intimité de deux ou plusieurs langues qui cohabitent sur un même territoire, les mots qui ne figurent pas dans les dictionnaires officiels, les syntaxes à cheval entre deux ou plusieurs langues. Ces exclusions en chaîne ont tendu non seulement à faire croire que certaines langues ou variétés de langues sont naturellement plus performantes que d’autres mais, de plus, que le vécu langagier de certains locuteurs était naturellement hors du champ de la linguistique, et donc, du monde. 43 3- Ainsi, la prise en compte de l’expérience langagière d’exclusion du locuteur « diglotte » et le mal-être qui en résulte permet de mesurer à quel point la langue structure l’identité et comment toute fracture dans les identifications linguistiques conduit irrémédiablement à des fractures encore plus profondes dans les identifications psychiques. 44 Il faut ainsi souligner que le déni de l’expérience langagière du locuteur « diglotte » s’accompagne de jugements évaluatifs (parler bien/parler mal), de sanctions (la notion de « faute »), de moqueries (le style de parole au sens où nous l’avons redéfini précédemment, y compris l’accent, l’intonation, etc.), et donc, d’une forme d’exclusion sociale. 45 Il est évident que ces locuteurs se voient stigmatisés, non pas seulement dans ce qui constitue leur langue, mais aussi dans ce qui fonde leur « être-au-monde », à travers leurs identifications primordiales. Ils vont ainsi spontanément développer des Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
14 sentiments de honte, la honte se définissant comme « l’angoisse de l’effondrement des repères et, à la limite du rejet du monde humain. Elle ne protège de rien. Elle est la catastrophe même »17. 46 Je voudrais m’arrêter quelque peu sur le sentiment de honte, sur ce qu’il implique, en montrant comment il affecte souvent l’identité de l’individu et ses valeurs, et partant, comment il importe que le locuteur puisse tout à la fois nommer ce sentiment et verbaliser son ressenti. 47 Serge Tisseron nous en dit ceci (la citation est un peu longue mais vaut la peine d’être reproduite sous ce format) : La honte […] est terriblement désocialisante et déstructurante. Les manières de parler de la honte sont d’ailleurs éclairantes. On dit de quelqu’un qui a honte qu’il devrait « rentrer sous terre », ou alors c’est lui qui pense : « J’ai envie de disparaître. J’ai envie de rentrer dans un trou de fourmi. Je préférerais ne pas exister. J’aurais voulu ne jamais être là », etc. Il existe en effet des formes extrêmes de hontes dans lesquelles on craint de perdre, même à ses propres yeux, la qualité d’être humain. De façon générale, l’angoisse qui borde toutes les formes de honte est d’ailleurs l’angoisse du non humain, sinon la honte ne serait pas aussi pénible à vivre. Dans la Grèce ancienne, […] [ê]tre banni signifiait être plongé dans la honte, et ses proches avec soi. Le banni était déclaré étranger dans son propre pays et devait prendre le chemin de l’exil. L’inverse est également vrai : être honteux, c’est éprouver l’angoisse de se sentir exclu du genre humain […] C’est pourquoi la honte est si difficile à reconnaître, même en son for intérieur 18. 48 Il est évident que ces explications sont d’une grande pertinence pour l’examen de la « honte » au plan linguistique. Le locuteur qui a le sentiment d’être aux prises avec deux langues, dont l’une au moins lui apparaît comme socialement stigmatisée, aura honte de parler la langue dite « basse », car en la parlant, il s’identifiera comme « soushumain » parlant une « sous-langue ». Ce faisant, il développera parallèlement, en parlant la langue dite « haute », un sentiment de crainte, une forme d’appréhension, redoutant de mêler les deux langues et de parler un charabia et de se retrouver ainsi, plongé dans la barbarie linguistique qui n’est jamais très loin du statut de « barbare » humain. 49 Si, comme le prétend Tisseron, « La honte est toujours indissociable d’un rapport de force »19, en s’exerçant du supérieur vers l’inférieur, il s’ensuit que l’individu qui ressent de la honte va chercher à se défaire de celle-ci en s’aliénant à lui-même. Cette aliénation passe par sa soumission aux injonctions sociales et politiques qui lui sont faites (abandonner la « sous-langue », se construire dans la fascination des sujets perçus comme « dominants », etc.). 50 C’est pourquoi la honte et l’aliénation vont de pair, de même que la honte et la soumission. Comme le dit Tisseron, « La honte est la mère de tous les totalitarismes » 20. Il n’est donc pas étonnant que le locuteur d’une langue socialement reconnue comme « basse » par la majorité, et surtout par le pouvoir, aspirera de manière confuse à « se grandir » en ne la parlant pas et en feignant même de ne pas savoir la parler. La négation de son bilinguisme constitue la meilleure modalité de se sauver de sa honte, la conscience même de ce bilinguisme se trouvant empêchée par la conviction que l’individu porte : il ne saurait être bilingue car sa langue « honteuse » n’est pas une langue. Si c’était le cas, on ne lui reprocherait pas de « parler mal », d’employer des structures qui ne figurent pas dans les grammaires, d’utiliser des mots qui ne sont pas dans les dictionnaires qui font foi. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
15 3. Réussir à parler de l’intime de ses langues et se reconnaître en tant que sujet bilingue 51 Il ne fait pas de doute que le locuteur « diglotte » n’a aucune conscience ou seulement une conscience confuse, de tous ces mécanismes liés à la honte, dans la mesure où « la honte, comme tout sentiment, établit en effet au sein même du sujet une séparation entre une partie qui éprouve et une autre qui nomme »21. Le sujet agit de manière quasi instinctive pour se débarrasser du sentiment de honte mais ne nomme pas ce sentiment, précisément parce que les sujets, confrontés à la honte, évitent d’y penser et enfouissent celle-ci au plus profond d’eux-mêmes. 52 On comprend bien alors pourquoi, face à un sociolinguiste ou à toute autre personne, « ce qui fait honte » au sujet relèvera du « non-dicible » et sera rejetée hors de son expérience de locuteur, puisque ce qui fait honte, c’est, par définition, ce qui se tait. En effet, nommer la honte, c’est déjà l’affronter, la mettre à distance, l’extirper de son for intérieur pour en faire le récit et ne pas se laisser submerger : c’est en ce sens que Marie Cardinal a pu écrire : « J’avais honte de ce qui se passait à l’intérieur de moi, de ce charivari, de ce désordre, de cette agitation, et personne ne devait savoir, pas même le docteur »22. 53 Précisément, prendre en compte la catégorie de l’intime dans la démarche linguistique, conduit à ne pas laisser des sentiments comme la honte ou encore la « haine de soi », à l’extérieur du champ de la linguistique ou de la sociolinguistique, mais à les y intégrer pour accompagner les locuteurs, et en particulier, les locuteurs « diglottes » dans l’exploration, puis dans la verbalisation de cet « intime » langagier qui est le leur 54 Pour ce faire, il importe, dans l’entier de la science linguistique, et non pas seulement à l’attention de celles et ceux qui s’intéressent à la sociolinguistique du contact des langues de : • Mettre en place une démarche d’explicitation de ce qu’est une langue et de ce qu’elle n’est pas ; de mettre au jour les rapports historiques de pouvoir qui ont conduit certains dialectes et pas d’autres à « réussir socialement », ce qui revient à montrer que toute langue est un dialecte et que tout dialecte est une langue, les notions de « sous-langue », de langue « basse » n’ayant de pertinence qu’au plan politique, et éventuellement, économique. En ce sens, il serait souhaitable de ne pas se limiter à définir la langue comme un « système de signes » mais de montrer qu’une telle définition en a été donnée pour des raisons heuristiques et que d’autres définitions, tout aussi rentables au plan heuristique, existent : la langue comme « macro-système », « polysystème »23, en posant d’emblée les problématiques liées au contact des langues. Ceci est d’autant plus légitime que les « plurilingues » sont bien plus nombreux que les « monolingues » et que les phénomènes migratoires, les circulations de personnes, de livres, de films, etc. font que le monolinguisme est avant tout une fiction ; • Favoriser la prise de conscience que le bilinguisme ne consiste pas seulement à se mouvoir dans ou entre deux langues prestigieuses ou au statut égal mais à se mouvoir entre deux langues, quels que soient les statuts sociaux et politiques de celles-ci. Cette mise en lumière est essentielle pour que le locuteur « diglotte » comprenne que la « diglossie » (c’est-à-dire le fait qu’il ne puisse pas utiliser une de ses deux langues dans tous les contextes) qui est la situation historico-politique de son lieu, n’entache en rien le fait que, lui, soit un sujet bilingue, avec les avantages individuels que ce bilinguisme est susceptible de lui offrir au niveau cognitif notamment, si seulement il y consent. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
16 55 Il en découle que tous les apprentissages linguistiques devront être mis en place à partir de ce qui fonde les identifications linguistiques des sujets et non pas envers et contre ces identifications ; • Pour parvenir à mettre au jour ces identifications, il convient d’encourager le sujet à « nommer » et à « verbaliser » son expérience langagière, quelle qu’elle soit. En ce sens, l’écriture de soi dans ses langues, notamment par le biais des biographies langagières, permettra, par exemple, au locuteur « diglotte » de se confronter à ce à quoi il a toujours eu peur de se confronter et de poser des mots sur ce qui constitue son vécu langagier, en relation avec le vécu de sa famille et des siens. En effet, Tisseron rappelle que : [l]a honte « porte aussi son ombre sur plusieurs générations dans la mesure où celui qui l’a éprouvée un jour cherche souvent à s’en débarrasser d’une manière qui fait courir le risque à ses proches, et notamment à ses enfants, de l’éprouver à leur tour. Ceux-ci la feront éprouver à d’autres, de proche en proche, de telle façon que la honte se répand finalement comme une épidémie. On comprend donc que l’écoute de la honte doive toujours être menée sur plusieurs générations, notamment à partir de traumatismes vécus par les ascendants sans être nommés par eux 24. 56 Il m’importe, pour finir, de dire que parler de l’intime de ses langues ne va pas de soi, précisément parce que l’intime ne s’exhibe pas mais s’enfouit. Si je me suis intéressée en priorité à l’expérience du locuteur « diglotte », c’est parce qu’elle est exemplaire de tout ce qui peut se jouer dans la langue à l’insu des sujets. L’exclusion que subissent les locuteurs qui parlent au moins une langue dénigrée, vient avant tout de ce que leur vécu et leur expérience ont été laissés hors du champ de la linguistique, leurs énoncés ayant été jugés de manière péremptoire comme dénués de sens ou de grammaticalité, sans que soit mise en place de manière systématique une herméneutique, associée à une pragmatique, capable de les interpréter. Pour rappel, cette marginalisation linguistique va de pair avec une marginalisation sociale et ne peut donc être tenue pour un simple « accident ». Il y a là quelque chose qui relève d’une sujétion « masquée » par la naturalisation des rapports de pouvoir et de force, sujétion qu’il faut identifier, nommer et décrypter afin de permettre à nombre de locuteurs de se découvrir comme sujets autonomes et plurilingues. Les discriminations linguistiques sont bien des discriminations à part entière et si elles ne sont pas appréhendées comme telles, elles retardent, chez les locuteurs concernés, la prise de conscience de leur plurilinguisme. 57 Si les locuteurs « diglottes » présentent en soi une forme d’exemplarité, c’est bien parce que l’exploration et la verbalisation du rapport tourmenté et complexe qu’ils entretiennent avec leurs langues, sont de nature à permettre à tout locuteur, quel qu’il soit, monolingue ou bilingue « confortable », de découvrir le plurilinguisme qui l’habite. 58 En effet, tout sujet entretient, même avec les langues qu’il ne connaît pas, des relations de fascination ou de rejet, de curiosité ou d’indifférence ; tout sujet a envie d’apprendre certaines langues ou de renoncer à d’autres pour des raisons que lui-même ignore et qu’il ne pourra découvrir ou approcher qu’à travers l’écriture de sa propre biographie langagière ou à la lecture de celles des autres. Autant dire que le plurilinguisme des autres peut devenir le nôtre si nous consentons à ce que le plurilinguisme soit moins maîtrise de codes qu’ouverture à l’infinie opacité des langues vécues et/ou fantasmées des autres et de nous-mêmes. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
17 BIBLIOGRAPHIE BALLY, Charles. Linguistique générale et linguistique française. Paris : Ernest Leroux, 1932. CARDINAL, Marie. Les mots pour le dire. Paris : Grasset, 1975. CHISS, Jean-Louis. « La stylistique de Charles Bally : de la notion de « sujet parlant » à la théorie de renonciation ». Langages, 77 (1985), p. 85-94. HUMBOLDT, Wilhelm von. Introduction à l’œuvre sur le kavi. CAUSSAT, Pierre (trad.). Paris : Éditions du Seuil, 1974. KARABETIAN Étienne. Histoire des stylistiques. Paris : Armand Colin, 2000. MARTINET, André. « Idiolecte ». THINES, Georges ; LEMPEREUR, Agnès (dir.). Dictionnaire général des sciences humaines. Paris : Éditions universitaires, 1975. MENCE-CASTER, Corinne. Pour une linguistique de l’intime. Habiter des langues néo (romanes). Entre français, créole et espagnol. Paris : Classiques-Garnier, 2021. MENCE-CASTER, Corinne ; JIMENEZ, Maria (dir.). « Aux frontières du système linguistique. Quel statut pour l’énoncé marginal ? ». Chréode, 3 (2020). NEVEU, Franck. « L’idiolecte entre linguistique et herméneutique ». Cahiers de praxématique [En ligne], 44 (2005). https://journals.openedition.org/praxematique/1641 [consulté le 20-01-2021]. SCHLEIERMACHER, Friedrich. Des différentes méthodes du traduire, Trad. B ERMAN, Antoine ; BERNER, Christian. Paris : Le Seuil, 1999. TISSERON, Serge. « De la honte qui tue à la honte qui sauve ». Le Coq-héron, 184 (2006), p. 18-31. https://www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2006-1-page-18.htm [consulté le 15-01-2022]. NOTES 1. M ENCE-CASTER, Corinne. Pour une linguistique de l’intime. Habiter des langues néo (romanes). Entre français, créole et espagnol. Paris : Classiques-Garnier, 2021. 2. M EILLET, Antoine. « Comment les mots changent de sens ». Année sociologique, 1 (1921), p. 8 : « Le langage est donc éminemment un fait social. En effet, il entre exactement dans la définition qu’a proposée Durkheim ; une langue existe indépendamment de chacun des individus qui la parlent, et, bien qu’elle n’ait aucune réalité en dehors de la somme de ces individus, elle est cependant, de par sa généralité, extérieure à chacun d'eux ; ce qui le montre, c’est qu'il ne dépend d'aucun d'entre eux de la changer et que toute déviation individuelle de l'usage provoque une réaction ; cette réaction n’a le plus souvent d'autre sanction que le ridicule auquel elle expose l'homme qui ne parle pas comme tout le monde ; mais, dans les États civilisés modernes, elle va jusqu'à exclure des emplois publics, par des examens, ceux qui ne savent pas se conformer au bon usage admis par un groupe social donné. Les caractères d’extériorité à l’individu et de coercition par lesquels Durkheim définit le fait social apparaissent donc dans le langage avec la dernière évidence ». 3. M ARTINET, André. « Idiolecte ». THINES, Georges ; LEMPEREUR, Agnès (dir.). Dictionnaire général des sciences humaines. Paris : Éditions universitaires, 1975. 4. BARTHES, Roland. « Éléments de sémiologie ». Communications. Recherches sémiologiques, 4 (1964), p. 91-135. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
18 5. N EVEU, Franck. « L’idiolecte entre linguistique et herméneutique ». Cahiers de praxématique [En ligne], 44 (2005). https://journals.openedition.org/praxematique/1641 [consulté le 20-01-2021]. 6. Ibid., p. 27. 7. Ibid., p. 29. 8. Ibid. 9. H UMBOLDT, Wilhelm von. Introduction à l’œuvre sur le kavi. CAUSSAT Pierre (trad.). Paris : Éditions du Seuil, 1974, p. 183. 10. NEVEU, Franck. « L’idiolecte entre linguistique et herméneutique ». Art. cit., p. 33. 11. Ibid., p. 30. 12. On peut, à cet égard, signaler les travaux novateurs de Charles Bally à son époque, dans la mesure où il invite à s’intéresser à l’activité du sujet parlant individuel. Dans cette perspective, Bally fournit des pistes intéressantes : il invite à prendre en compte les significations que peuvent prendre certains énoncés dans des contextes particuliers et en fonction des intonations. Ainsi CHISS, Jean-Louis (« La stylistique de Charles Bally : de la notion de « sujet parlant » à la théorie de renonciation. Langages, 77 (1985), p. 90) déclare-t-il : « Ainsi, ce qui compte, c'est d’inventorier, dans une expression donnée, la combinaison des moyens qui concourent à l’expressivité : par exemple le rôle de l'intonation et de l’ellipse dans l’énoncé « le malheureux ! » et plus généralement l'importance de la mimique, de la gestualité, de tous les procédés de la syntaxe « affective » (par exemple la présence ou l'absence du déterminant — le — dans un S.N. apposé, p. 261), la nécessité de partir pour l'examen d'un fait de langue « d'une situation et d'un contexte déterminés » (L.V., p. 66) qui peuvent transformer une phrase banale en une formule pathétique (« c'est toi qui as fait cela », ibid p. 77), la constitution d'une théorie des associations ». Il a ainsi une certaine approche du « style de la parole » mais celle-ci est fortement tributaire de la dimension affective et des rapports entre l’esprit et la langue, ce qui n’est pas la perspective choisie dans le présent article. 13. FAGYAL, Zsuzsanna ; MOREL, Mary-Annick. « Phonostylistique : étude du style dans la parole ». L’information grammaticale, 70 (1996), p. 16-20. 14. KARABETIAN, Étienne. Histoire des stylistiques. Paris : Armand Colin, 2000, p. 205 : « Car le style réside dans le rapport entre la langue et ce qui est exprimé. Les différences de rapport correspondent aux styles ou aux différents types de style. Tandis que la grammaire considère la langue en tant que telle, comme pure forme (il est vrai, dans un double sens : comme forme phonique et comme forme interne), la stylistique prend pour objet cette même langue dans ses emplois, en se demandant comment cet ensemble formel exprime un contenu ». On peut mettre en évidence l’importance de Heymann Steinthal dans la constitution de la discipline qu’est la stylistique. 15. GLISSANT, Édouard. Poétique de la relation. Paris : Gallimard, 1990. 16. S CHLEIERMACHER, Friedrich. Des différentes méthodes du traduire, Trad. BERMAN, Antoine ; BERNER, Christian. Paris : Le Seuil, 1999, p. 41-43. 17. T ISSERON, Serge. « De la honte qui tue à la honte qui sauve ». Le Coq-héron, 184 (2006), p. 18-31. https://www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2006-1-page-18.htm [consulté le 15-01-2022]. 18. Ibid. 19. Ibid. 20. Ibid. 21. Ibid. 22. CARDINAL, Marie. Les mots pour le dire. Paris : Grasset, 1975, p. 8. 23. La notion de « polysystème » tend à poser que la langue, loin d’être un système homogène, serait une sorte de conglomérats de systèmes imbriqués. Voir à ce sujet : M ENCE-CASTER, Corinne ; Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
19 JIMENEZ, Maria (dir.). « Aux frontières du système linguistique. Quel statut pour l’énoncé marginal ? ». Chréode, 3 (2020). 24. TISSERON, Serge. « De la honte qui tue à la honte qui sauve ». Art. cit. RÉSUMÉS Cet article se propose de réfléchir à la catégorie de l’intime dans les études du langage, en se focalisant sur les locuteurs « diglottes » et la singularité de leur parole. En produisant des énoncés qui relèvent de l’articulation entre elles d’au moins deux langues, ces locuteurs remettent en cause la notion de « système où tout se tient » et tendent à manifester la pertinence de la notion de « polysystème ». La prise en compte de ce polysystème révèle la nécessité d’une herméneutique linguistique doublée d’une pragmatique qui questionne le concept de « grammaticalité », afin de ne pas construire une norme exclusive et excluante. C’est à ce prix que l’intime linguistique des locuteurs « diglottes » pourra être exhumé et qu’ils pourront échapper au sentiment de honte qui les guette sans cesse. This article proposes to reflect on the category of intimacy in language studies, by focusing on "diglotte" speakers and the singularity of their speech. By producing utterances that are the result of the articulation of at least two languages, these speakers question the notion of "system where everything fits together" and tend to demonstrate the relevance of the notion of "polysystem". Taking this poly-system into account reveals the need for a linguistic hermeneutic coupled with a pragmatics that questions the concept of "grammaticality", so as not to construct an exclusive and excluding norm. It is at this price that the linguistic intimacy of the 'diglottes' speakers can be unearthed and that they can escape the feeling of shame that constantly threatens them. INDEX Mots-clés : plurilinguisme, diglossie, intime, idiolecte, herméneutique, style de parole, honte Keywords : plurilingualism, diglossia, intimacy, idiolect, hermeneutics, speech style, shame AUTEUR CORINNE MENCÉ-CASTER RELIR-CLEA Sorbonne Université corinne.mence-caster[at]sorbonne-universite.fr Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
20 Les conditions d’émergence d’une conscience bi/plurilinguistique Christian Lagarde 1 La conscience linguistique est, indissociablement, une conscience individuelle et une conscience collective, à plusieurs degrés. Ainsi, dès que l’on se penche sur la question de la diversité linguistique et culturelle, et tout spécialement en tant que sociolinguiste, il ne faut jamais perdre de vue que les données avancent à la fois selon la perspective macro et la perspective micro. En effet, pour autant que soient mises en place des politiques linguistiques adéquates et sophistiquées – elles sont nécessaires –, il n’empêche que c’est toujours l’individu, le locuteur – autant que possible entouré des siens, comme l’a également montré Fishman1 – qui a le dernier mot. C’est ce que Guespin et Marcellesi ont envisagé en tant qu’« actes glottopolitiques », à savoir « des pratiques langagières, qui sont de l’ordre du continu. […] Des actes habituellement considérés comme anodins, guère dignes d’observation »2, qui peuvent éventuellement aller à l’encontre des politiques linguistiques les plus habilement sophistiquées, ou se conjuguer à elles. In fine, leur succès dépend du comportement de chacun (ce qu’il fait), de son attitude (ce qu’il considère), et de ces politiques linguistiques. On peut donc considérer que l’individu est la clé de la sauvegarde et de la vitalité des langues. Mais, en même temps, que peut l’individu isolé, si son désir de langue, de vivre et perpétuer sa langue, n’est pas relayé collectivement, à différents niveaux, jusqu’à celui d’une politique linguistique instituée ? On doit donc marcher sur ces deux pieds, s’adosser à ces deux piliers. Si l’un vient à faire défaut, il y a fort à parier que le devenir d’une langue est menacé. 2 Par ailleurs, comme on tentera de l’illustrer ici, la conscience linguistique joue aussi bien au plan intralinguistique – en fonction des variétés/variations à l’intérieur d’une même langue – qu’au plan interlinguistique, entre les langues du sujet bilingue ou plurilingue et de son environnement. Cette étude s’inscrit dans une progression, avec comme point de départ l’éveil à la conscience (bi)linguistique chez l’enfant – ce point sera traité en retour d’expérience personnelle –, puis elle tentera d’aborder la problématique en fonction d’une typologie tripartite sommaire des configurations sociolinguistiques, des idéologies linguistiques et des parcours de vie des locuteurs Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
21 mono-, bi- et plurilingues. Enfin, sera abordée la question de cette conscience, qui se mue en « surconscience » chez les scripteurs : les écrivains, les traducteurs et les autotraducteurs, qui cumulent ces deux premières fonctions. Mais commençons par la base, à savoir ma propre expérience, telle qu’ont sans aucun doute pu la partager, sous différentes modalités, de très nombreux sujets bilingues et plurilingues. 1. La conscience linguistique : « charité bien ordonnée… » 3 L’âge aidant, on répugne de moins en moins à parler de soi. Certains même en font des ouvrages...3 C’est pourquoi, après avoir envisagé de faire une communication « commeil-faut », j’ai pensé qu’il serait plus approprié de commencer par le commencement, c’est-à-dire par ma propre entrée dans l’univers du bi- et du plurilinguisme, à travers quelques séquences seulement !... 4 Première séquence : J’ai 7/8 ans, je suis dans la cour de la maison de ma grand-mère, à Lavelanet (Ariège). C’est l’été, et la petite-fille de la voisine est là, elle aussi en vacances, sur la terrasse au premier étage. On parle ; je fais un peu le beau, et elle s’écrie : [sƐpovrƐ]. Moi, je dirais – ‘comme tout le monde’ – [sepavʁe] (ou [sepavre] si on roule les r). Parlons-nous [vʁeman] / [vʁƐmã] la même langue ? Quand, au fond de cette même cour, nous grimpons, mon cousin et moi, sur une échelle un peu vermoulue, et que notre grand-mère sort morte de peur, on rigole : on « espante Bonne [Maman] ». On croit parler français… c’est du francitan… 5 Deuxième séquence : Toujours au même âge, je raconte des craques à « Bonne », qui me dit incrédule : « Vai-te’n vai ! vai-te’n figar, paure chapotur ! » [bajtenβaj bajtenfiγa pawretʃapotyr] à savoir, à quelque chose près : Tu parles ! à d’autres, espèce de charlatan ! Il y a l’intonation, les mimiques, je comprends tout. Depuis l’âge de 4/5 ans, j’ai déjà tout compris de l’occitan : il suffit d’ajouter un -o là où le français [fʁansé] met en un -e [ǝ] (censé être muet) : une table [ynotaβlo] (au lieu de [tawlo]), une chaise [ynoʃƐzo] (au lieu de [kadjƐro]). Tout compris, faut voir !... 6 Troisième séquence : vers 6/7 ans. C’est l’hiver chez mes autres grands-parents, à Rivel (Aude). On ne chauffe pas toutes les pièces et je partage la chambre de mes grandsparents. Dans la journée, ils parlent moitié patois/occitan, moitié en francitan ; dans l’obscurité de la nuit, ils se parlent, dans leur (vraie) langue, comme si je n’étais pas là. Et ça m’intéresse d’autant plus que je suis une sorte de passager clandestin : « te’n sovenes quand anguèrem… » [tensuβenes kantanγƐrem], « pensa-te ! » [pensote]… : je mets mon décodeur… 7 J’aurais évidemment bien d’autres anecdotes à vous rapporter sur la suite de mon initiation aux langues, mais l’heure n’est pas à ce que je raconte ma vie !... 8 Tâchons d’analyser ce micro-corpus. Il y a quelques points, parfois communs aux trois anecdotes, vieux comme le monde, mais que, comme toutes les évidences, il n’est pas forcément inutile de rappeler : • Le premier (3e anecdote), est que les langues sont un mystère, que l’individu doit (ou cherche à) déchiffrer : je veux savoir ce que se disent (à savoir, intégrer, même passivement, leur communication), quasiment à mon insu, mes grands-parents qui sans doute croient (exerçant la fonction cryptique) que je ne les entends/comprends pas (je dois dormir ; je suis censé ne connaître que le français). Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
22 • Le deuxième (2ème anecdote), c’est qu’on s’ouvre au langage sans forcément connaître/ comprendre la langue : le para- et le non-verbal peuvent compenser les déficiences du verbal, et l’intercompréhension entre langues romanes fonctionne. Je sais que ma grand-mère me prend pour ce que je suis : un imposteur ; elle me le fait bien comprendre. • Le troisième point (même anecdote), c’est que, dès le départ, l’individu cherche à comprendre/savoir comment ça marche. Mes transpositions sont des inférences, ratées au prix de l’extenso-réduction : les « règles » intuitées sont loin d’être universelles. • Le quatrième point (1ère anecdote), c’est qu’une langue varie (dans ce cas, phonétiquement) et qu’à l’intérieur d’une même langue, on peut se trouver confronté à l’altérité : la jolie voisine vit « à Paris », moi « à Toulouse » ; l’accent nous rend quelque peu étranger l’un à l’autre, même si nous nous comprenons plutôt bien (l’intercompréhension peut opérer aussi bien au plan intralinguistique qu’interlinguistique). • Le cinquième point (les 3 anecdotes), c’est que les langues en contact sont poreuses ; dans les deux sens. C’est vrai pour l’accent, qui vient d’être évoqué ; c’est vrai aussi parce que « espanter » n’est pas français (ce mot, sans doute parce que nous sentons qu’il est transgressif, et surtout parce qu’il est plus « joli », nous plaît, et il a intégré notre code partagé). L’occitan a parasité le français. En sens inverse, notre grand-mère emploie dans « *chapotur » [tʃapotyr], un suffixe emprunté au français (-eur), alors qu’elle me parle patois4 (qui devrait employer -aire [ajre] ; c’est le fruit de la domination, de la diglossie. • Le sixième et dernier point (3ème anecdote), c’est que les usages linguistiques sont contextualisés, et qu’il y a, plus ou moins implicite, une hiérarchisation et une fonctionnalisation des langues, typiques, là aussi, de la diglossie : mes grands-parents baragouinent à longueur de journée en francitan lorsqu’ils sont en public, ou même avec moi, réputé francophone (mon grand-père m’envoie chercher une bonne bouteille et, l’air sérieux, m’intime : « surtout, ne la *tchambotte [tʃamβꜿtǝ] pas ! » : secouer, agiter) ; une fois dans la sphère privée (qui plus est, la chambre), ils emploient exclusivement leur langue – leur langue maternelle, leur langue partagée, celle de l’entre-soi. 2. Une typologie des consciences linguistiques 9 Les exemples qui précèdent prouvent au moins une chose, que j’ai pu largement vérifier au cours de ma carrière universitaire : « Dis-moi ce que tu étudies, et je te dirai qui tu es ». La recherche peut partir (pas nécessairement) de l’expérience ; c’est – comme la littérature, mais de manière plus implicite et sans doute plus inconsciente encore5 – une sorte de quête de soi, que l’on vise à élargir et systématiser, en passant de la pure subjectivité à un degré acceptable d’objectivité scientifique. Il est donc temps d’en venir à cette approche. Je propose pour ce faire un cadre un peu rudimentaire mais commode, mettant en lien le vécu (non seulement individuel mais aussi collectif) et les comportements, et surtout les attitudes linguistiques. 10 Comme préalable, je n’enfoncerai pas la porte ouverte du rapport intime et fondamental du langage et de la langue à l’identité, auquel je viens de faire allusion, entre « vision du monde » (l’hypothèse Sapir-Whorf), et « être au monde » (la deixis). Il est néanmoins indispensable de le rappeler, en toile de fond. Ne serait-ce que pour attirer l’attention sur un autre fait fondamental : la conscience linguistique n’advient, comme l’identité, qu’en se confrontant à une altérité, à un autre. Et c’est là encore que se dessine le poids déformant des idéologies, qui façonnent les représentations, et donc les attitudes, qui à leur tour modèlent les comportements. Les nationalismes – tous, Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
23 autant qu’ils sont – voudraient nous faire croire à la relation biunivoque : un individu, une langue, un peuple (une nation), un État. L’examen, même superficiel, de ce qu’est l’humanité, de ses modes de fonctionnement, le dément immédiatement, quand bien même les rapports de force à l’œuvre de par le monde font tout pour nous y conduire et/ou nous inciter à le croire. 11 Je propose donc une typologie, quelque peu rudimentaire, à trois éléments, en lien avec les critères annoncés : un premier groupe rassemble les consciences bi- ou plurilingues « heureuses » ; le second, les « malheureuses » ; la troisième, celle des « unilinguistes heureux ». On verra néanmoins qu’il convient d’y apporter bien des nuances. 2.1. Les consciences bi- ou plurilingues « heureuses » 12 On n’a de cesse de prétendre que le bilinguisme et le plurilinguisme constituent une richesse, parce que non seulement ils additionnent des savoirs, mais ils mettent relation les répertoires en activant ce que Lüdi & Py ont dénommé la « fonction interprétative »6. Tous les locuteurs bi- ou plurilingues disposent donc, au lieu d’un simple piano, d’un orgue plus ou moins complexe, ce qui devrait faire leur bonheur. On va voir néanmoins que dans la pratique, c’est loin d’être toujours le cas. Ça l’est, en principe, des élites cosmopolites (les « expatriés », renommés « ressortissants » lorsqu’on doit les rapatrier d’urgence), qui ont additionné les apprentissages en différentes langues au cours de leur formation, dont atteste leur plus ou moins impressionnant CV, et qui en font usage dans leurs pérégrinations planétaires, en quête de postes le plus prestigieux et rémunérateurs possible, sans compter les riches oisifs que le cinéma ou les romans nous montrent itinérants de palace en palace. 13 Leur connaissance d’un éventail des langues les plus véhiculaires leur donne généralement, non seulement un prestige sans doute mérité, mais aussi une compétence, pratique et vérifiable, à évoluer, plus ou moins brillamment, dans le monde de la diplomatie, de la culture, des affaires ou du luxe. Le bonheur de ces locuteurs à jouer de leur palette, est d’autant plus intense qu’ils priorisent la valeur communicative de ces langues et qu’en même temps, ils en minimisent, ou plutôt sélectionnent, la/les valeur(s) symbolique(s). Ainsi, sont mis en avant les symboles liés au prestige (attributs de la richesse, du pouvoir et de la culture), et réduits au maximum ceux qui relèvent de l’affect (l’origine). Ils sont les adeptes du marché, y compris du « marché linguistique » cher à Bourdieu7. 14 Néanmoins, tout n’est pas aussi simple : il convient d’étudier le fonctionnement de la communication plurilingue, sachant que, comme l’indiquent Mondada & Nussbaum, seule La sociolinguistique récente s’est intéressée aux processus de globalisation, de diaspora et de mobilité et à leurs conséquences dans la redistribution des valeurs attribuées aux langues et aux répertoires, dans la définition des compétences des personnes, dans les processus d’inclusion et exclusion, dans la reconfiguration des identités8. 15 Dans le cadre de l’ouvrage qu’elles ont coordonné – qui se cantonne à deux environnements contextualisés : « les espaces universitaires (cours, séminaires) aussi bien que les espaces de travail (réunions) » –, on peut observer comment, en situation d’interaction, ces compétences et pratiques plurilingues éventuelles se voient contrebalancer par l’usage de l’ELF (« English as a lingua franca ») : Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
24 La manière dont les ressources et les formats d’interaction sont négociés permet de rendre compte de la manière dont des translocalités (Appadurai 1990) sont configurées in situ. On peut dire en effet que les terrains étudiés dans ce livre […] deviennent des translocalités grâce à la rencontre d’individus de langues et de cultures différentes interconnectés le temps d’une activité particulière, que ce soit dans un ici redéfini par l’attraction de personnes venant de différents horizons (comme l’université) ou dans un ailleurs provisoire ou nomade, comme le grand hôtel où a lieu une réunion de managers d’une multinationale ou le centre de congrès où se rencontrent des experts internationaux9. 16 On voit donc comment les normes sociales dominantes de comportement des Transnational Connections10 peuvent avoir raison d’un plurilinguisme tour à tour spontané, ludique ou de virtuose. 2.2. Les consciences bi- ou plurilingues « malheureuses » 17 Les individus dont il vient d’être question ne sont donc pas nécessairement aussi « heureux » qu’ils s’efforcent de le paraître : ils ont beau le gommer soigneusement, ils n’en ont certainement pas moins de rapports affectifs à certaines de leurs langues que le commun des mortels, en leur accordant différentes valeurs symboliques. Elles ont aussi un lien étroit à leur identité, à la complexité de leur identité – aux contradictions et aux refoulés qui tiennent à leurs origines (langue du père, de la mère, des grandsparents) et à leur parcours de vie (langue des conjoints, des condisciples, des collègues et amis, langue professionnelle). Derrière l’armure, sans doute quelques fêlures, nées de certaines inégalités, mesurables ou ressenties. 18 Mais le cas de loin le plus répandu est celui des locuteurs des langues indigènes, minoritaires ou minorées11, celui de très nombreux dominés, colonisés (ou excolonisés), migrants ou exilés. En effet, les inégalités entre les langues recoupent le plus souvent les inégalités politiques, économiques ou culturelles présentes ou héritées, les langues étant (ou ayant été) idéologiquement le plus souvent instrumentalisées par ces différents types de pouvoirs. 19 C’est en effet parce que les langues sont inégales – objectivement, selon leur positionnement au sein de la « galaxie des langues » de De Swaan ; subjectivement, selon l’attachement que l’on a pour elles, lié aux représentations sociales 12 – que l’on peut être « malheureux » de la stigmatisation dont elles peuvent faire l’objet, du sort qui leur est réservé. Ce peut être la diglossie, en tant qu’inégalité hiérarchique et fonctionnelle13, la glottophobie, comme stigmatisation 14, la glottophagie, à savoir les processus et situations de domination15, ou encore la substitution linguistique, plus spectaculairement dénommée « mort des langues »16. Le lien symbolique/identitaire du locuteur à sa langue est en rapport au sort qui est réservé à celle-ci. 20 Ainsi, l’individu locuteur/scripteur d’une langue, aux prises avec une violence symbolique17 ou une violence répressive factuelle, peut se voir méprisé, stigmatisé, pourchassé au nom de cette langue (ou d’une de ses langues) considérée inutile voire nuisible. L’« anéantissement »18 des langues – on parlerait aujourd’hui plus volontiers de « linguicide »19 – peut bien sûr être déclaré et programmé, comme se le proposait Grégoire pour les patois sous la Révolution française, mais il peut aussi se manifester au quotidien de façon insidieuse et à tout le moins aussi efficace. De la même manière que la « fétichisation de la norme »20 génère l’insécurité linguistique 21, les discours et Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
25 attitudes stigmatisants agissent sur l’estime de soi en forme d’autodénigrement 22 qui, là aussi, englobe indistinctement langue et locuteur. 21 Cela étant, même si la configuration sociolinguistique incite l’individu à éprouver une conscience linguistique « malheureuse », il n’est pas pour autant contraint à la passivité, à la frustration et aux lamentations. Au contraire, un sentiment d’injustice d’être né avec la/les « mauvaise(s) langue(s) » peut le pousser vers la résistance à la minoration et à la stigmatisation, et à la revendication d’un niveau acceptable d’équité. L’engagement en tant qu’individu connaîtra une efficacité accrue s’il se traduit, au plan collectif et à des échelles très variables, par un militantisme associatif culturel ou politique. 22 Lorsqu’il s’agit d’« inverser la substitution linguistique » 23, toutes les formes de « revitalisation »24 sont les bienvenues – aussi bien les « actes glottopolitiques » que les mesures de politique linguistique –, pourvu qu’elles soient relativement coordonnées, ou du moins pas antinomiques. Cela n’est guère une évidence puisqu’il faut bien admettre que, comme le note Costa : « les revendications de maintien, de promotion ou de sauvetage des langues minoritaires nous parlent d’autre chose que de langues » 25. À cet égard, il est communément admis que l’éducation constitue un secteur-clé, au point que, dans une de ses publications, Skutnabb-Kangas n’hésite pas à formuler l’alternative qui en découle par l’intitulé interrogatif : « Linguistic genocide in education or worldwide diversity and human rights? »26, en s’inscrivant clairement dans une perspective écolinguistique. 23 Nous avons donc, face à ces langues-cultures menacées de disparition, d’un côté, le constat terrible dressé par Nettle & Romaine, de « Vanishing Voices The Extinction of the World’s Languages »27, de l’autre les perspectives compensatoires ouvertes par l’écologie des langues, ou écolinguistique à partir des travaux de Haugen, Bastardas et Calvet28. 2.3. La conscience des « heureux » unilinguistes 24 À l’opposé de ce constat de débâcle ou cette combativité, il y a aussi d’autres locuteurs à la conscience « heureuse » : ce sont ceux qui sont adeptes ou défenseurs de l’unilinguisme. Ces individus, au mépris des réalités évoquées jusqu’ici, sont ou se croient monolingues, alors même qu’ils sont loin de vivre dans l’un des rares isolats linguistiques qui subsistent aujourd’hui sur la planète. L’unilinguisme est donc pure construction idéologique, dont la France de l’État-nation républicain est le modèle. Ainsi, les unilinguistes considèrent leur langue en termes d’exclusivité : c’est le « ni concurrence » de Boyer29, qui se traduit par « le français est la langue de la République » introduit en 1992 à l’article 2 de la Constitution française de 1958, fruit lointain mais fidèle, tant de l’excellence universaliste proclamée par Rivarol en 1784, que de la politique répressive inaugurée l’an 1794 par l’abbé Grégoire avec son « anéantissement des patois ». 25 Toujours en contexte français, cette conscience politico-linguistique satisfaite d’ellemême est à double front : d’une part, ‘par le bas’, elle s’impose à la conscience des locuteurs par l’inculcation qui en est faite, sans alternative, à travers la scolarisation et le discours politico-médiatique. Au mieux, elle ne laisse aux autres langues que des miettes : en France, la seule dimension patrimoniale accordée aux « langues régionales » (article 75-1 de la Constitution, 2008). D’autre part, cette conscience Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
26 s’émeut, par les mêmes canaux, de la concurrence exercée ‘par le haut’ par l’anglais globish ou ELF qui a supplanté le français en tant que langue internationale et diplomatique (ONU, UE), par la modification de 1992 de l’article 2 déjà citée ou, dans le domaine de la culture, par la loi Toubon de 1994. Enfin, cette même conscience ‘surplombante’ se voit contrainte de cesser de se prévaloir de son empire linguistique, et faire quelques concessions à la réalité pluricentrique30 de plus en plus ‘horizontale’ de la francophonie – en termes démographiques, le poids de l’Afrique étant sans commune mesure avec ceux de la Suisse romande, de la Belgique wallonne et du Québec et Nouveau-Brunswick – en prenant en compte sa diversité linguistique. 26 Ce dernier point, lié à la « concurrence », nous conduit au second versant de l’unilinguisme, toujours inculqué selon le même schéma ‘descendant’ du pouvoir et des élites vers le commun des locuteurs, tel que présenté par Boyer : le « ni déviance », en d’autres termes la question du purisme linguistique. Dans son article « Langage de la pureté et pureté du langage », Burke31 en retrace les périodes fastes, qui sont celles des deux « nationalisations » (Renaissance et XIXe siècle), et montre que le purisme s’inscrit toujours « en réaction » face à des « invasions ». Si l’on en accorde la primauté aux langues étrangères – la ‘croisade’ contre le « franglais » d’Etiemble 32 illustre parfaitement ce mouvement ‘par le haut’ – il convient également d’en mesurer l’ampleur ‘par le bas’, à travers les interférences et autres calques provenant des langues ou variétés minorées (dialectes et patois, langues d’immigration et tout parler de contact), à la racine de l’autodénigrement et de l’insécurité linguistique déjà évoqués, provoqués par la glottophobie33. Le purisme participe de la même logique d’exclusivisme : il opère dans ce cas sur le versant du corpus de la langue, et rejoint en bonne complémentarité celui qui relève du status, tel qu’envisagé précédemment. 27 Au résultat, les locuteurs imprégnés d’unilinguisme sont portés par cet ensemble concordant de représentations valorisantes pour la langue qu’ils possèdent et qu’ils ont le pouvoir d’imposer dans l’échange, de quelque nature qu’il soit : économique, diplomatique, culturel et de la communication y compris scientifique. Ils se trouvent parallèlement dans le déni de l’écologie des langues, mais ils disposent, à leur niveau, du pouvoir d’en orienter le devenir. Ils sont dans la stigmatisation de l’altérité, et contribuent à incarner les antagonismes plutôt que l’ouverture à la diversité. 3. La « surconscience linguistique » des auteurs et traducteurs d’écrit littéraire 3.1. Les écritures bilingues ou plurilingues 28 À l’opposé de ceux appartenant à la troisième catégorie mentionnée, qui pensent et opèrent par conviction, confort ou intérêt égoïste, se trouvent les auteurs bilingues ou translingues, chez qui Lise Gauvin a mis en évidence une « surconscience linguistique ». Dans son cas, elle est contextualisée, cantonnée au « contexte des jeunes littératures » ou « littératures émergentes », mais cette notion me paraît dépasser amplement ce cadre, dans la mesure où quiconque écrit, tout spécialement entre deux langues (ou davantage) – a fortiori si elles sont ‘inégales’ – est, comme elle le dit, dans le « désir d’interroger la nature même du langage ». La définition qu’elle en donne en sortira donc reprofilée, mais non dénaturée, en ces termes (les coupes étant de mon fait) : Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
27 […] j’appelle […] surconscience linguistique de l’écrivain [… le fait] de proposer […] une réflexion sur la langue et sur la manière dont s’articulent les rapports langues/ littératures dans des contextes différents. La complexité de ces rapports, les relations généralement conflictuelles – ou tout au moins concurrentielles – qu’entretiennent entre elles une ou plusieurs langues, donnent lieu à cette surconscience dont les écrivains ont rendu compte de diverses façons. Écrire devient alors un véritable « acte de langage », car le choix de telle ou telle langue d’écriture est révélateur d’un « procès » littéraire plus important que les procédés mis en jeu.34 29 L’écrivain est, avec le linguiste, de ces individus qui attachent beaucoup de prix au langage ; si le dernier l’étudie, le premier le travaille, le distord et en joue. Écrivain biou plurilingue, il tente de trouver sa voie/voix à cheval sur les langues-cultures ou entre elles. En effet, contrairement à ce qu’affirme Gauvin, il ne se résout pas toujours à choisir : il peut aussi les mettre en scène/en mots de manière alternative (dans les dialogues de prose et de théâtre, surtout), ou bien les faire s’entrechoquer (par codeswitching ou marques transcodiques) ou s’interpénétrer (par code-mixing) à même le texte – surtout en poésie, qui offre davantage de liberté lexico-sémantique et morphosyntaxique. 30 On retrouve parmi eux des représentants des deux premières catégories précédemment distinguées. Il s’agit, dans le premier cas, d’écrivains cosmopolites, qui ont le plus souvent pour base une (deux ou plus) langue(s) de grande véhicularité, et qui jouent de leur double ou pluri- culture linguistique et littéraire. La littérature latino-américaine contemporaine en offre de nombreux exemples. Chez Borges35 (entre espagnol, anglais et français) ou Puig36 (entre espagnol, anglais et portugais), on joue sur l’intertextualité et l’interculturalité. Chez Cabrera Infante37 (entre espagnol et anglais), la confrontation des langues renvoie à celle des idéologies, tandis que d’autres, comme Bryce Echenique38, élaborent des textes plurilingues où le maniement des langues-cultures est un exercice jubilatoire. Il s’agit à chaque fois de langues-cultures inscrites dans leur formation personnelle (familiale, livresque) et dans leur propre univers de vie, international voire interlope (suite à des migrations subies ou décidées). 31 Dans le second cas, nous avons affaire à des auteurs qui travaillent, en lien avec leurs origines, soit sur deux langues (ou plus) inégales, soit sur deux variétés d’une même langue, elles aussi frappées d’inégalité. Ce déséquilibre est fondateur d’une identité à la fois une et double (ou multiple), qui les place sans cesse en porte-à-faux. Qu’elle se réalise « en creux », ou selon des modalités scripturales variées, ou jusqu’à parts égales dans le texte, pour ces auteurs, dire ou se dire (en littérature et au monde) ne saurait se résoudre au travers d’une seule langue, ou d’une seule variété de langue. Le contraire, pour ces auteurs, serait insincère ou perçu par eux comme une amputation : ce qu’ils recherchent, c’est « suturar los dos hemisferios » d’eux-mêmes et de leur univers, comme l’a très bien exprimé Milagros Ezquerro au sujet de Roa Bastos 39. Ils sont légion, que ce soit aux Antilles (Glissant, Chamoiseau…), à l’orée des langues régionales de France (littératures régionalistes ou de terroir), chez les indigénistes latino-américains, au Québec, au Maghreb, en Afrique subsaharienne, etc. S’ils abondent, c’est tout simplement parce que leur condition est le lot quasi-général de l’humanité, que la monoculture et l’unilinguisme ne sont que des constructions fallacieuses, un déni du réel. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
28 3.2. Traduction et autotraduction 32 Une autre modalité de mise en mouvement de compétences et d’une conscience bi- ou plurilingue, est la traduction, et davantage encore l’autotraduction. L’acte traductif en soi contribue à placer a priori les textes – et par conséquent les langues et les cultures – sur un pied d’égalité, que ce soit par « accumulation » en faveur de la langue-culture d’arrivée, ou par « consécration », au bénéfice en principe des deux, lorsqu’un écrit réalisé dans une langue-culture moins valorisée intègre la littérature plus valorisée 40. On sait cependant que la directionnalité de la traduction révèle de réels déséquilibres dans ces échanges, et corrobore les inégalités. 33 Par ailleurs, le traducteur, en tant que passeur d’une langue-culture à l’autre, a parfaitement conscience des écarts qui se manifestent, non seulement entre les mots des deux langues, mais aussi dans leur charge sémantique et leurs implicites culturels : c’est « l’épreuve de l’étranger » de Berman, ou le « dire presque la même chose » de Eco41. Il mesure à tout instant ce qu’il perd, ce qu’il peut gagner ou à tout le moins compenser au cours de cet exercice. Comparé à l’auteur « surconscient » qu’il traduit, il se doit de l’être doublement, équitablement, entre fidélité et trahison, entre littéralité et récriture, selon un degré, contrôlé, d’« invisibilité », ou, revendiqué, de « visibilité »42. 34 De tels enjeux sont plus cruciaux encore chez l’autotraducteur, « traducteur privilégié »43 qui endosse les deux rôles d’auteur et de traducteur et voit ainsi sa surconscience de toute part sollicitée. Les études qui se développent depuis un tiers de siècle44 dans ce domaine ont mis en évidence des cas prototypiques : bilingues et/ou binationaux de naissance, comme Green ou Huston, exilés ou auto-exilés comme Beckett, Nabokov, Alexakis et une foule d’autres auteurs poussés vers l’autotraduction, soit pour atteindre un degré de visibilité ou de consécration impossible dans une langue minorée (en Espagne, prototypiquement, Atxaga, Rivas…), soit pour jouer sur les différents claviers constitutifs de leur identité. Et cela, que celle-ci soit originelle – comment être auteur en langue régionale, en France, dans l’ignorance de la langue et de la culture françaises ?45 –, ou bien remodelée selon un parcours de vie (Kundera, Brodsky, Milosz…). 35 La particularité du cas de l’autotraducteur est qu’il s’agit pour lui, à la fois de mettre en regard ses langues, de se confronter, dans le cadre de sa conscience bilinguistique, à sa propre part d’(« inquiétante » ?) étrangeté46 native ou acquise, et enfin, de parvenir à réprimer des prurits licites de réécriture de son propre texte47. Comme toile de fond au choix des procédés, on sait bien que celui de l’invisibilité du traducteur tend à estomper la diversité linguistique et culturelle, et que le maintien des marques de singularité de la langue-culture originelle constitue au contraire un mode d’affirmation et de (volonté de) survie de celle-ci. L’enjeu se situe donc, une nouvelle fois, à double échelle : à celle, micro/individuelle, de la conscience (bi/pluri)linguistique ; à celle macro/planétaire, aussi bien écolinguistique qu’« écoculturelle ». Pour tenter de conclure 36 Dans ce rapide survol du moi à l’universel, j’ai tenté en premier lieu de mettre en évidence que la conscience linguistique n’advient guère en étant parmi les siens (les mêmes), mais que, comme l’identité, elle naît et se recompose au contact de la Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
29 différence, de l’autre, souvent présente autour de soi et même en soi, chez le sujet biou plurilingue. Il est également apparu comment elle se développe, avec plus ou moins d’acuité, en fonction non seulement des personnalités mais aussi des contextes qui, tantôt occultent la problématique, tantôt en font, ou bien une pratique ludique et jubilatoire, ou bien une source de questionnements, de frustrations voire de revendications. Parce qu’ils sont le produit de parcours de vie, tous ces positionnements sont eux-mêmes évolutifs chez chaque individu, qu’il soit simple locuteur et/ou a fortiori scripteur, et ils se traduisent par des productions orales et/ou d’écriture souvent originales, en tout cas hors norme – celle-ci étant artificiellement (contre-nature) présentée/ imposée sous forme unique voire exclusive. 37 L’étude de telles configurations est forcément complexe, comme tout ce qui relève des sciences humaines et de la création artistique. Aussi, la tentation est grande d’en limiter la portée à une multitude d’études de cas (comme celui, limite, de savoir quelle conscience linguistique doit avoir cet Américain qui « parle plus de 24 langues » 48). Or, sans jamais prétendre évacuer une telle profusion, la démarche épistémologique et taxinomique, davantage conçue en termes de processus que de véritable aboutissement (comme en témoigne l’ouvrage de Mencé-Caster49) n’en demeure pas moins indispensable. 38 Au-delà des ‘simples locuteurs’ bi ou plurilingues, le cas de figure, a priori « de laboratoire », du traducteur, et plus encore celui de l’autotraducteur, n’évacuent pas pour autant les interrogations, les enjeux et les tensions, eu égard à l’état de « surconscience » qu’ils présupposent ; il les exacerbe. Tant et si bien que l’on peut être amené à conclure que la conscience linguistique, lorsqu’elle concerne deux ou plusieurs langues-cultures, est à la fois une conscience proprement linguistique, d’ordre métalinguistique, et – sans doute, davantage encore – une conscience socio-linguistique 50, dans la mesure où elle inclut de surcroît des considérations épilinguistiques sur le positionnement, la valeur des langues-cultures en coprésence, de leurs locuteurs et/ou scripteurs. BIBLIOGRAPHIE ALEN-GARABATO, Carmen ; COLONNA, Romain (éds.). Auto-odi. La haine de soi en sociolinguistique. Paris : L’Harmattan, 2016. BASTARDAS, Albert. Ecologia de les llengües. Medi, contactes i dinàmica sociolingüística. Barcelone : Proa, 1996. BATTEGAY, Alain. « La pluralité culturelle à l’œuvre ». Le Portique, 28 (2012). http:// journals.openedition.org/leportique/2576 [consulté le 14/04/2022]. BERMAN, Antoine. L’Épreuve de l'étranger. Paris : Gallimard, 1984. BLANCHET, Philippe. Discriminations : combattre la glottophobie. Limoges : Lambert-Lucas [2016] 2019. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
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33 soulignée, qui consiste à s’intéresser aux logiques sociales d’interprétations en réintroduisant les gens dans l’action, et dans la culture en train de se faire, de se refaire, de se vivre, sans les considérer comme des représentants des cultures auxquelles ils appartiendraient et qui se définiraient par des stocks de traits distinctifs ». 11. La distinction entre ces deux termes s’opère essentiellement entre le quantitatif (« minoritaire », en tant que communauté de moindre importance démographique, géographiquement ou socialement identifiée) et le qualitatif (« minorisée » ou « minorée », subissant la domination). 12. MOSCOVICI, Serge. La Psychanalyse, son image et son public, étude sur la représentation sociale de la psychanalyse. Paris : PUF, 1961; JODELET, Denise (dir.). Les Représentations sociales. Paris : PUF, 1989. 13. PSICHARI, Jean. « Un pays qui ne veut pas de sa langue ». Mercure de France, CCVIII (1928), p. 63-121 ; FERGUSON, Charles. « Diglossia ». Word, 15 (1959). 14. BLANCHET, 2019 ; Philippe. Discriminations : combattre la glottophobie. Limoges : Lambert-Lucas [2016] BLANCHET, Philippe ; CLERC CONAN, Stéphanie. Je n'ai plus osé ouvrir la bouche... Témoignages de glottophobie vécue et moyens de se défendre. Limoges : Lambert-Lucas, 2018. 15. CALVET, Louis-Jean. Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie. Paris : Payot, 1974. 16. CRYSTAL, David. Language Death. Cambridge University Press, 2000 ; HAGÈGE, Claude. Halte à la mort des langues. Paris : Odile Jacob, 2000. 17. BOURDIEU, Pierre. Ce que parler veut dire. Paris : Fayard, 1982 ; BOURDIEU, Pierre. Langage et pouvoir symbolique. Paris : Seuil, 2001. 18. Je reprends ici le terme du Rapport de l’abbé Grégoire. 19. SKUTNABB-KANGAS, Robert ; Tove ; SKUTNABB-KANGAS, PHILLIPSON, Robert. « Linguicide and Linguicism ». In PHILLIPSON, Tove (eds.). Papers in European language Policy. ROLIG papir, 53. Roskilde : Roskilde Universitetscenter, Lingvistgruppen, 1995, p. 83-91. 20. GARDY, Philippe & LAFONT, Robert. « La diglossie comme conflit : l’exemple occitan ». Langage, 61 (1981), p. 75-91. 21. GUEUNIER, Nicole & al. Les Français devant la norme. Paris : Champion, 1978 ; FRANCARD, Michel. L’insécurité linguistique dans les communautés francophones périphériques : actes du colloque de LouvainLa-Neuve, 10-12 novembre 1993, vol. 1. Paris : Vrin, 1993. 22. NINYOLES, Rafael Lluís. Idioma i prejudici. València : 3 i 4, 1971 ; ALEN-GARABATO, Carmen ; COLONNA, Romain (éds.). Auto-odi. La haine de soi en sociolinguistique. Paris : L’Harmattan, 2016. 23. FISHMAN, Joshua. Reversing Language Shift. Op. cit. 24. COSTA, James. « Enjeux sociaux de la revitalisation linguistique. Introduction ». Langage et société, 145 (2013/3), p. 7-14. https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2013-3-page-7.htm [consulté le 14/04/2022] ; COSTA, James ; PETIT CAHILL, Kevin. « Revitalisation linguistique ». Langage et société 2021/HS1, p. 305-309. https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2021-HS1- page-305.htm [consulté le 14/04/2022]. 25. COSTA, James. « Enjeux sociaux de la revitalisation linguistique… ». Art. cit. 26. SKUTNABB-KANGAS, Tove. Linguistic genocide in education or worldwide diversity and human rights? Londres & New York : Routledge, 2000. 27. NETTLE, Daniel ; ROMAINE, Susan. Vanishing Voices. The Extinction of the World’s Languages. Oxford : Oxford University Press, 2000. 28. HAUGEN, BASTARDAS, Einar. « The ecology of language ». The Linguistic Reporter, suppl. 25 (1971), p. 19-26 ; Albert. Ecologia de les llengües. Medi, contactes i dinàmica sociolingüística. Barcelone : Proa, 1996 ; CALVET, Louis-Jean. Pour une écologie des langues du monde. Paris : Plon, 1999. 29. BOYER, Henri. « Ni concurrence, ni déviance : l’unilinguisme français dans ses œuvres ». Lengas, 48 (2000), p. 89-101. 30. CLYNE, Michael « Introduction ». In CLYNE, Michael (ed.). Pluricentric Languages. Differing Norms in Different Nations. Berlin/New York : De Gruyter, 1992. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
34 31. BURKE, Peter. « Langage de la pureté et pureté du langage ». Terrain, 31 (1998). http:// journals.openedition.org/terrain/3142 [consulté le 14/04/2022]. 32. ETIEMBLE, René. Parlez-vous franglais? Paris : Gallimard, 1964. 33. Philippe. Discriminations : combattre la glottophobie. Limoges : Lambert-Lucas [2016] BLANCHET, 2019. 34. GAUVIN, ALBERT, Lise. « Écriture, surconscience et plurilinguisme : une poétique de l’errance ». In Christine (éd.). Francophonie et identités culturelles. Paris : Karthala, 1999, p. 11-29 (p. 11). https://cairn.info/francophonie-et-identites-culturelles--9782865379293.html [consulté le 14/04/2022]. 35. LOUISOR, Dominique. « Jorge Luis Borges and Translation ». Babel, 41/4 (1995), p. 209-215 ; BUJALDÓN DE ESTEVES, Lila. « Jorge Luis Borges y la autotraducción: una incursión juvenil ». Letras: revista de la Facultad de Filosofía y Letras de la Pontificia Universidad Católica Argentina Santa María de los Buenos Aires, 74-75 (2017), p. 51-73. 36. MENEZES DOS SANTOS, TANQUEIRO, Andréia. « Manuel Puig: (auto)traductor ». In DASILVA, Xosé Manuel ; Helena (eds.). Aproximaciones a la autotraducción. Vigo : Editorial Academia del Hispanismo, 2011, p. 141-152 ; CABRERA, Delfina. Las lenguas vivas. Zonas de exilio y traducción en Manuel Puig. Ciudad Autónoma de Buenos Aires : Prometeo Libros, 2016 ; CABRERA, Delfina. « Tisser le texte et cacher les fils : l’écriture plurilingue de Manuel Puig ». Genesis, 46 (2018), p. 51-63. 37. Marcos. La langue plurielle : le bilinguisme franco-espagnol dans la littérature hispano- EYMAR, américaine (1890-1950). Paris : L’Harmattan, 2011 ; EYMAR, Marcos. « Autoheterotraducción: las versiones inglesas de Vista del amanecer en el trópico de Guillermo Cabrera Infante ». In Christian ; TANQUEIRO, LAGARDE, Helena (eds.). L’Autotraduction aux frontières de la langue et de la culture. Limoges : Lambert-Lucas, p. 203-212. 38. VICTORRI, David. « À écrivain cosmpolite… public polyglotte ? ». In LAGARDE, Christian (éd.). Écrire en situation bilingue, t. 1. Perpignan : Presses Universitaires de Perpignan, 2004, p. 471-483. 39. EZQUERRO, Milagros. « Augusto Roa Bastos ». La Literatura latinoamericana, 11, 1984. 40. CASANOVA, Pascale. La République mondiale des Lettres. Paris : Seuil, 1999 ; CASANOVA, Pascale. « Consécration et accumulation de capital littéraire. La traduction comme échange inégal ». Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 144/3 (2002), p. 7-20. 41. BERMAN, Antoine. L’Épreuve de l'étranger. Paris : Gallimard, 1984 ; ECO, Umberto. Dire presque la même chose. Paris : Grasset, [2000] 2006. 42. VENUTI, Lawrence. The Translator’s Invisibility: a History of Translation. Londres & New York : Routledge, 1995. 43. TANQUEIRO, Helena. Autotradução: Autoridade, privilégio e modelo. PhD thesis, Universitat Autònoma de Barcelona, 2002. http://hdl.handle.net/10803/5259 [consulté le 14/04/2022]. 44. LAGARDE, Christian ; culture. Op. cit. ; TANQUEIRO, FERRARO, Helena (éds.). L’Autotraduction aux frontières de la langue et de la Alessandra ; GRUTMAN, Rainier (éds.). L’autotraduction littéraire : perspectives théoriques. Paris : Classiques Garnier, 2016 ; LAGARDE, Christian. « De la pratique à la théorie : autotraduction et autotraductologie. À la découverte d’un champ nouveau ? », à paraître dans Les Langues Néo-Latines, dossier Traduction, 402, 2022. 45. FORÊT, Joan-Claudi. « L’auteur occitan et son double ». Glottopol, 25 (2015), p. 136-150. http:// glottopol.univ-rouen.fr/telecharger/numero_25/gpl25_09foret.pdf [consulté le 14/04/2022]. 46. RICŒUR, Paul. Soi-même comme un autre. Paris : Seuil, 1990. 47. LOMBEZ, Christine. « Réécriture et traduction ». In ENGÉLIBERT, Jean-Paul ; TRAN-GERVAT, Yen-Maï (éds.). La littérature dépliée. Rennes : PUR, 2008, p. 71-80. https://books.openedition.org/pur/ 35013?lang=fr [consulté le 14/04/2022]. 48. « Cet Américain parle plus de 24 langues, son cerveau intrigue les scientifiques ». OuestFrance, 11/04/2022, https///www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2022-04-11/cet-americain- Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
35 parle-plus-de-24-langues-son-cerveau-intrigue-les-scientifiques-48cc7762ed8d-4e06-951e-4b54fb261704 [consulté le 14/04/2022]. 49. MENCÉ-CASTER, Corinne. Pour une linguistique de l’intime. Op. cit. 50. Comme dans ‘auto-traduction’ vs. ‘autotraduction’, ‘sociolinguistique’ vs. ‘socio-linguistique’ tend à poser épistémologiquement un domaine après un processus de rapprochement des deux, qui sont d’abord accolés. Mon intention est ici de marquer la dichotomie ‘linguistique’ vs. ‘sociolinguistique’ à travers ce qui les distingue : ‘socio’ renvoie à la linguistique sociale, considérée ‘externe’, la linguistique ‘tout-court’ l’étant comme ‘interne’. RÉSUMÉS En-deçà de la planification, la question de la conscience linguistique est centrale en sociolinguistique, quel que soit le nombre de langues parlées ou écrites par un individu. On envisagera comment s’éveille cette conscience linguistique chez le sujet, aux plans intra- et interlinguistique. La perspective sera par la suite élargie selon une typologie sommaire en fonction des langues en contact, des environnements et des idéologies linguistiques. Enfin, passant du locuteur au scripteur, on analysera les formes de la « surconscience linguistique » qui le caractérise en tant qu’écrivain, traducteur ou autotraducteur. Beyond planning, the question of linguistic awareness is central in sociolinguistics, regardless of the number of languages spoken or written by an individual. We will consider how this linguistic awareness is awakened in the subject, at both intra- and interlinguistic levels. The perspective will then be broadened according to a summary typology based on languages in contact, environments and linguistic ideologies. Finally, moving from the speaker to the writer, we will analyse the forms of the "linguistic overawareness" that characterises him as a writer, translator or self-translator. INDEX Mots-clés : Conscience linguistique, sujet bilingue, sociolinguistique, sujet plurilingue, idéologies linguistiques, surconscience linguistique Keywords : Linguistic consciousness, bilingual subject, plurilingual subject, sociolinguistics, linguistic ideologies, linguistic superconsciouness AUTEUR CHRISTIAN LAGARDE CRESEM Université de Perpignan – Via Domitia chrislag09[at]gmail.com Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
36 (Auto)biografies lingüístiques en el debat públic de la transició espanyola: quins models per afrontar moments de canvi? Narcís Iglésias Introducció 1 L’Espanya democràtica estrenava el seu nou marc legal amb l’aprovació de la Constitució a través d’un referèndum el desembre de 1978. La nova democràcia es volia construir sobre unes bases polítiques i ideològiques diferents del franquisme, que des del principi es va assentar sobre un monolingüisme programàtic i institucional. La repulsa fundacional del franquisme cap a la diversitat lingüística, la il·lustra molt bé la teoria lingüística encunyada en el Catecismo patriótico español de Fray Albino González Menéndez-Reigada, publicat el mateix 1939 i declarat com a llibre escolar per ordre del Ministeri d’Educació l’1 de març de 1939. -¿Se hablan en España otras lenguas más que la lengua castellana? -Puede decirse que en España se habla sólo la lengua castellana, pues, aparte de ésta, tan sólo se habla el vascuence, que, como lengua única, sólo se emplea en algunos caseríos vascos y quedó reducido a funciones de dialecto por su pobreza lingüística y filológica. -¿Y cuáles son los dialectos principales que se hablan en España? -Los dialectos principales que se hablan en España son cuatro: el catalán, el valenciano, el mallorquín y el gallego1. 2 A l’hora d’explicar la nova veritat, s’havia de propagar que en realitat, a Espanya només es parlava una única llengua, tots els altres idiomes de fet ni existien, o bé eren dialectos a ignorar. Poc que importava que la realitat fos, en alguns territoris, completament al revés: el castellà no sols no era la llengua d’ús de la població, sinó que en els estrats populars, amb prou feines s’entenia. La bona nova patriótica no va ser només una doctrina que calia aprendre, sinó també el principi fonamental d'una política unitarista Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
37 contra la diversitat lingüística, sostingut i proclamat fins i tot pel mateix Franco (almenys en una ocasió) en un dels seus discursos durant la guerra 2. 3 De fet, els mateixos franquistes sabien molt bé que una cosa era el dogma i l’altra, la realitat. El cèlebre edicte del general Eliseo Álvarez Arenas, cap del Servicio de Ocupación de Barcelona, que pretenia tranquil·litzar la població catalana respecte a l’ús de la llengua reconeixia que una estratègia comunicativa monolingüista massa agressiva topava amb la realitat: «en muchos pueblos, por la desgraciada política que desde hace tiempo imperaba en Cataluña, hay quién nunca aprendió el castellano, o lo habla con dificultad»3. La majoria de ciutadans de les classes populars i mitjanes eren monolingües, que és de fet, el que reconeix amb la retòrica castrense imperant a l’època, el mateix general. Ell volia tranquil·litzar la població catalana («Estad seguros, catalanes, de que vuestro lenguaje en el uso privado y familiar no será perseguido») i en aquesta seva estratègia de persuasió, feia una certa autocrítica del comportament lingüístic dels franquistes que anaven conquerint territoris: a Catalunya, per exemple «entran en plan de conquistadores de un territorio que no era de España y que hay que españolizar y para lograrlo, a todo el que habla en el dialecto catalán, aún de buena fe, lo encarcelan o lo que es peor, lo maltratan de obra». El diagnòstic no podia ser més explícit: els conquistadores topen amb una realitat monolingüe, que maltracten per la via de la força, com reconeix el mateix general. 4 El franquisme va aplicar de seguida una política que va obrir una dura etapa de repressió contra la llengua i la cultura catalanes, especialment implacable durant els primers anys. A partir de la dècada de 1960, però, sota el franquisme s’obren certes escletxes, especialment importants en el món editorial, amb una etapa inaudita de traduccions al català, tot i que el règim tindrà fins a l’últim moment una estricta vigilància de totes aquelles iniciatives culturals que el podien qüestionar, ja fos en el terreny editorial, musical o acadèmic4. 5 Les forces democràtiques de la transició espanyola van haver de buscar consensos per trencar amb el franquisme i buscar uns mínims punts en comú per obrir una nova etapa, tot i que les estratègies i els equilibris de forces poguessin ser molt diferents 5. La qüestió de les llengües va ocupar un lloc preeminent a la Constitució de 1978: l’article 3 donava caràcter d’oficialitat a llengües d’Espanya, per bé que amb un tractament asimètric entre el castellà i les altres llengües, i reconeixia que la diversitat lingüística de l’Estat era un patrimoni que s’havia de protegir i respectar. Després d’hores i hores de debats i esmenes parlamentàries de tota mena, l’article dedicat a les llengües que finalment s’aprovaria va quedar formulat en aquests termes: 1. El castellano es la lengua española oficial del Estado. Todos los españoles tienen el deber de conocerla y el derecho a usarla. 2. Las demás lenguas españolas serán también oficiales en las respectivas Comunidades Autónomas de acuerdo con sus Estatutos. 3. La riqueza de las distintas modalidades lingüísticas de España es un patrimonio cultural que será objeto de especial respeto y protección. Estat de la qüestió i objectius de l’estudi 6 Entre el monolingüisme del franquisme i el reconeixement legal de la diversitat lingüística consagrada per la Constitució de 1978, hi ha tot un terreny intermedi llarg i complex que en bona part, encara està per explorar. La literatura acadèmica ha tendit a presentar els grans canvis sociolingüístics que s’han produït a l’Espanya contemporània Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
38 a partir del marc legal i institucional. Diferents autors han situat la Constitució de 1978 com un moment crucial de l’inici del reconeixement de les diferents llengües a l’Espanya democràtica i com el punt final al monolingüisme d’estat que va significar el franquisme6. La narrativa acadèmica s’ha bastit sobre el punt de vista que ofereix la concreció d’uns articles constitucionals sobre les llengües, que posteriorment es desplegaran en diferents estatuts d’autonomia. Aquesta perspectiva situa en un primer pla el camp polític, per tot el que implica que els principals agents polítics haguessin arribat a un acord sobre el reconeixement constitucional que podien tenir les llengües. Aquesta perspectiva macro, però, limita les possibilitats interpretatives d’un període tan ric i complex com la Transició, ja que concentra tota la força del canvi en un moment fundacional (el 1978, any d’aprovació de la Constitució), el redueix a un esdeveniment polític de consens majoritari, indueix a veure l’obertura cap a la diversitat com una planificació top-down i oculta tota la resta d’agents implicats en una operació tan transcendent per al futur de les llengües. 7 La riquesa i la intensitat del debat sobre les llengües que va tenir lloc durant aquell període contrasta amb els pocs estudis (socio)lingüístics dedicats a la Transició: les llengües van ocupar un espai central en el debat públic, vehiculat per exemple a través de la premsa de l’època de totes les tendències, des dels diaris més aferrats al franquisme fins als diaris més implicats en les reformes democratitzadores. Les llengües van ser objecte d’informacions i opinions constants de tota mena divulgades en les més diverses publicacions periòdiques: s’havia de passar del monolingüisme d’estat a l’obertura cap a la diversitat lingüística (almenys en el terreny del reconeixement constitucional) i en aquest moment de canvis profunds a gran escala (social, polític, ideològic...), les llengües van formar part de les principals preocupacions de l’opinió pública de l’època, com he intentat sostenir en estudis anteriors7. En aquest article, em proposo mostrar que el debat públic es va alimentar de contribucions provinents del camp periodístic i polític, i ho faré centrant-me en les (auto)biografies lingüístiques que des d’aquells camps es van promoure amb una suggestiva intensitat, fins al punt que l’autobiografia lingüística esdevindrà tot un gènere dins els llenguatges periodístic i polític8. 8 Aquestes darreres dècades són moltes les disciplines que se n’han ocupat, de manera que la manera d’entendre aquest gènere pot canviar segons la metodologia o l’escola que hi ha treballat. En aquest article, li donaré un sentit ampli, en la línia de la conceptualització que en va proposar Pierre Bourdieu9. Aquest clàssic de la sociologia contemporània va entendre la història de vida (histoire de vie, que també anomena (auto)biographie o trajectoire ) com la construcció social de la persona biològica dins diferents camps, en relació amb altres agents, i com el relat d’unes seqüències de vida que són triades com a événement significatif per un narrador, ja sigui un sociòleg, ja sigui un novel·lista. Aquest treball bourdieuà parteix d’una amplitud de mires molt suggestiva, ja que veu la història de vida com una narració que es pot haver elaborat des de finalitats acadèmiques en aquest cas, l’autor en seria un sociòleg o un etnòleg, o des de propòsits estètics o artístics en aquest cas l’autor en seria un escriptor. Davant aquesta proposta tan oberta, no és gens estrany que Bourdieu s’hagués basat en una gran pluralitat de referències acadèmiques (sobretot de filòsofs i lingüistes), completades amb citacions de diferents escriptors (Maupassant, Faulkner, RobbeGrillet...), i amb una absència quasi total d’estudis sociològics sobre la qüestió, tot i que el seu treball va adreçat als acadèmics de les ciències socials en general. Bourdieu es va Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
39 plantejar aquest treball de manera poc previsible segons els cànons acadèmics i segurament també per aquesta raó, va optar per titular-lo «l’illusion biographique». 9 El present article, doncs, vol entendre l’(auto)biografia lingüística en un sentit ampli, com un tipus de gènere narratiu en què la llengua es converteix en un événement significatif que emergeix en diferents camps / discursos (polítics, ciutadans, periodístics, artístics) durant la transició espanyola: el narrador (un periodista, un ciutadà, un polític...) tria experiències personals o d’algú proper per expressar una manera de veure la llengua o una ideologia lingüística. El conjunt de narradors i narracions són d’allò més divers: des dels anònims que passen a tenir veu pròpia a través dels mitjans, fins als polítics que argumenten davant els seus adversaris en seus tan representatives com el Congrés de Diputats, passant per diferents escriptors i creadors que les insereixen en les seves obres artístiques. El conjunt de narracions expressa una pluralitat d’actors socials que volen ser protagonistes de l’època convertint les seves experiències personals en un actiu a tenir en compte en el debat públic sobre les llengües, a compartir amb el públic una experiència dolorosa sota el vel de la crònica o de la ficció o fins i tot a orientar les decisions que els representants polítics havien de prendre. La veu dels altres ciutadans: biografies lingüístiques en els reportatges periodístics de Francesc Candel 10 El que probablement va contribuir a popularitzar de manera significativa el gènere de les (auto)biografies lingüístiques durant la Transició va ser el llibre Els altres catalans de Candel. Publicat per primera vegada el 1964, va tenir una gran difusió fins als anys de la Transició: el seu autor va publicar dues obres posteriors que en volien ser una continuació, justament entre els inicis i el final allargassat de la Transició: el 1977 sortia Algo más sobre los otros catalanes i el 1985 es publicava Els altres catalans vint anys després. Aquestes dues obres de continuació es poden veure, doncs, com el resultat de la presència continuada (del seu èxit constant) d’Els altres catalans en el mercat cultural català i espanyol: al cap de cinc anys, d’aquest llibre, ja se n’havien fet 11 edicions, amb tiratges mitjans entre 3.000 i 5.000 exemplars, més les diferents edicions que també es van fer de la traducció castellana, apareguda per primera vegada el 1965 10. 11 L’obra de Candel mostra els diferents models de migrants que coeixistien a la Catalunya del període franquista, focalitzant el relat en persones o famílies concretes (sovint identificades amb nom i cognoms), o en col·lectius genèrics. Candel dona veu tants als migrants que no parlen mai en català11, com als qui no sols l’aprenen, sinó que el parlen i tot. En aquest darrer model de migrant, hi encaixa Peret, un home nascut a les Cases Barates, fill de pares d’Almeria, que va explicar a Candel el seu procés d’aprenentatge del català: «L’he après amb la Maria del Tom... la veïna de davant de casa seva. Un dels pocs catalans que van anar a viure a les Cases Barates quan van ésser fundades». Peret declarava parlar en català a l’oficina i en altres contextos, «parlo en català, soc català» 12. 12 Evidentment, hi ha casos intermedis, que no sols retraten els usos i les actituds dels migrants, sinó també el context advers de l’època, que amagava el català a un nivell tan extrem que les dificultats per saber el que aquesta podia oferir eren llastimoses. Candel explica la biografia d’«un immigrant» (presentat així sense cap altre identificatiu), que entenia el català i el volia aprendre a llegir. Amb la intenció de comprar un diari català Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
40 esportiu, es va comprar el Herald Tribune a la Rambla i es queixava que del català escrit, no se n’entenia res13. 13 Biografies individuals a banda, l’obra de Candel també recull els comportaments lingüístics dels migrants per zones de procedència (murcians, andalusos, aragonesos i gallecs) i en generalitza el comportament lingüístic de cada col·lectiu. Els murcians són presentats com «els qui es llencen més intrèpidament i amb menys prejudicis a l’aventura de parlar en català». Pel que fa als «andalusos», explica la petició que uns quants andalusos van fer a un català de Can Clos perquè els ensenyés a parlar en català. En canvi, les actituds negatives queden representades per «els aragonesos», reticents a parlar en català, i «els gallecs», «dels més rebecs» a parlar català, segons el que li confessa un amic14. 14 Les biografies lingüístiques més complexes són les estan dedicades al que l’autor anomena «Els altres immigrants», que identifica com els professionals liberals establerts a Catalunya procedents de diferents territoris espanyols. En segons quin cas, hi dedica tot un reportatge extens. Candel retrata Enrique, «un noi que treballa en una editorial», originari de Badajoz i establert a Barcelona des de la dècada de 1950; un home nascut a Tarragona, fill d’un ferroviari de Tierra de Campos destinat a Catalunya; un catedràtic de la UB nascut a Pamplona que arriba a Barcelona el 1942; un empleat de banca originari de Saragossa que arriba a Barcelona el 1941; un decorador originari de Lugo que arriba el 1927; un traductor literari de Logronyo casat amb una catalana 15. 15 Naturalment, a banda de la qüestió de la llengua, la lectura d’Els altres catalans té molts altres angles d’interès: les condicions de vida, els motius de la migració, l’accés al món laboral, etc. Ara bé, molts lectors i seguidors de Candel van veure en la seva obra un motiu per reflexionar sobre la seva pròpia biografia lingüística i verbalitzar els seus usos i actituds cap a la llengua. Candel va rebre cartes de lectors d’Els altres catalans on li explicaven la seva biografia lingüística. És el cas d’un catalanoparlant casat amb una murciana que fa un retrat dels seus usos lingüístics familiars: ell parla en català a la seva mare i a la seva àvia, però en castellà a la seva dona i als fills. Afirma no saber llegir i escriure en català, cosa que sí que pot fer la seva germana 16. Altres lectors li van comunicar la seva biografia de manera més informal: un metge li explica que pel que veu a la consulta, a Ripoll els fills de la immigració parlen en català, tot i que calcula que un 30% de la població del poble és d’origen immigrant 17. Aquests dos darrers exemples, recollits en el seu llibre Algo más sobre los otros catalanes, publicat el 1977 per una editorial de tanta difusió comercial com Planeta, són indicatius de fins a quin punt Candel havia contribuït a popularitzar les biografies lingüístiques i a fer-les presents en el debat públic, i no sols perquè ell mateix va narrar-ne unes quantes, sinó que el seu plantejament periodístic, adreçat al gran públic, va estimular que els seus lectors n’elaboressin la seva pròpia. Més endavant, veurem que en el camp polític, Candel també recorre una altra vegada al mateix gènere, per bé que per parlar del seu cas personal en qualitat d’actor polític i no pas de periodista d’Els altres catalans. Autobiografies lingüístiques en els mitjans: lectors de premsa es posicionen 16 En plena Transició, doncs, el públic tenia perfectament identificat el gènere i el que se n’esperava, fins al punt que els mitjans de comunicació en van ser un dels altaveus. A través de la secció de cartes al director, els diaris van obrir les seves pàgines als seus Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
41 lectors, que també van jugar amb els codis del gènere per narrar la seva autobiografia lingüística i alhora, per posicionar-se en el debat públic sobre la llengua a partir de la seva experiència personal. 17 D’entre tota la premsa espanyola, comptem amb un buidatge exhaustiu d’un diari tan representatiu del període com El País: entre 1976 i 1982, aquest rotatiu va publicar desenes de cartes al director de tema lingüístic, sobre temes tan diversos com el nom de la llengua (castellà o espanyol), el purisme o també, la diversitat lingüística a Espanya 18. Sobre aquest darrer tema, hi ha nombrosos lectors que es posicionen davant el debat públic del moment, esgrimint arguments diversos, d’autoritat, històrics, polítics... Entre aquests argumentaris, hi ha uns quants lectors que es posicionen sobre el tema de les llengües adduint la seva autobiografia lingüística. En aquests casos el gènere s’inscriu en la necessitat d’un posicionament individual dels lectors respecte a esdeveniments determinats del context social i polític. Les autobiografies que publica El País surten a la llum pública per qüestionar el consens general favorable a la catalanització que s’insinuava que s’obriria amb els primers passos de l’autogovern català. Aquests lectors se solen presentar com a víctimes de la pressió social a favor del català en àmbits com el món laboral. 18 El lector Juan J. Aguado narra la seva autobiografía i la de la seva dona en el context del debat sobre l’article 3 de l’avantprojecte d’Estatut de Catalunya: Vine a Cataluña por motivos laborales y llevo trece años trabajando en ella. Mi lengua es el castellano. Desde hace años comprendo el catalán, aunque no lo hablo. Lo he estudiado y sigo haciéndolo. Mi mujer es también de habla castellana. Tengo un hijo nacido aquí y no pensamos cambiar de residencia 19. 19 La seva autobiografía actua de marc perquè s’entengui el seu punt de vista sobre el procés d’elaboració de l’Estatut i la seva visió sobre les llengües. Es posiciona a favor del bilingüisme perquè «podría hacer mucho por acercar, a través del conocimiento mutuo del idioma, a las dos comunidades lingüísticas que vivimos aquí», però considera que l’Estatut que s’està preparant no va cap a aquesta direcció («desgraciadamente, las intenciones no van por este camino»). Aquesta carta del lector Aguado mereix l’adhesió total d’un altre lector, que es presenta «como trabajador inmigrante». Aquest lector explica la seva biografia personal en tercera persona, amb la voluntat de representar tot un col·lectiu que sufrió en sí mismo y en su familia una serie de penalidades, sin cuento, que van desde la anterior marginación racista a la actual integración dictatorial, del charnego (xarnec), castellà, pa i ceba (pan y cebolla) de los tiempos de la dictadura, se ha pasado a «els altres catalans» de la «democracia» a la catalana, donde todo andaluz quiera o no quiera tiene que hablar una lengua extraña, olvidando la suya que se extiende desde el norte de Africa a la Tierra del Fuego 20. 20 Més que una autobiografia és una narració amb voluntat de representar el col·lectiu immigrant, d’interpretar-ne les seves actituds cap al nou marc lingüístic que dibuixa la democràcia i d’atribuir a l’anunciada autonomia catalana una política lingüística d’imposició del català i de marginació del castellà. Aquesta biografia tipus que narra el lector del diari actua de marc argumentatiu per posicionar-se críticament respecte a una política impositiva del català que denuncia i equipara a la del franquisme respecte al castellà: «Del habla en cristiano se ha pasado al parla clar i català. El boicot que el idioma español está sufriendo en Barcelona jamás podrá comprenderse fuera de Cataluña, eso hay que verlo y vivirlo»21. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
42 21 El lector Rafael Ávila presenta la seva identitat personal en relació amb la seva formació i el seu origen: «licenciado en Filosofía y Letras por Salamanca [que] resid[e] en Cataluña desde hace seis años, siendo natural de Andalucía», per defensar el seu dret de no parlar català a la feina, fet que suposa «un obstáculo casi insuperable para obtener trabajo en Andorra o en Cataluña». (S’entén que es refereix tant al seu cas personal com al de tota persona que no parli català a la feina en aquests territoris). Aquesta carta mereix una resposta del lector J.R. Serra, que li aconsella que «después de seis años, lo más correcto, lo más eficaz e incluso lo más inteligente, para un licenciado en Filosofía y Letras es que, si vive en Cataluña, aprenda catalán». Els treballadors «franceses, portugueses y andaluces» de la seva empresa «hablan catalán y así convivimos con un problema menos los hombres y las tierras de España..., perdón, de Europa» 22. 22 D’entre les cartes publicades per El País, només hi ha el cas d’un lector que narra la seva autobiografia per defensar l’ús del català. El lector Burgos Baruel narra la seva participació en una manifestació de reivindicació de l’Estatut de Catalunya i subratlla el fet que cridés consignes «en mi lengua, el Estatut (volem l’Estatut) y pensando, en catalán, soñé con una España». L’ús personal del català en aquesta mena d’acte polític el justifica identificant-se «como español» i «catalán, nacionalista, pero, como tal, también soy español, porque ser español es ser: gallego, andaluz, aragonés, catalán, etc.»23. La carta és sobretot una argumentació respecte a la seva manera d’entendre el que significa ser espanyol i una manera de defensar el seu ús del català en una manifestació de reivindicació catalanista. El seu posicionament identitari, el lliga a una manera d’entendre l’estructuració política de l’estat i l’existència de diferents llengües en aquest: Ser español es sencillamente convivir todos juntos y estructurarnos libremente como Estado. Ser español no quiere decir tener que hablar sólo castellano, ni propugnar una celestial unidad carente de realidades más concretas y libres que libremente la constituya. [...] Yo estaba también el día de Sant Jordi en la plaza de Sant Jaume pidiendo, en mi lengua, el Estatut (volem l’Estatut) y pensando, en catalán, soñé con una España24. Argumentaris en el discurs parlamentari: les (auto)biografies lingüístiques, entre el model i l’antimodel 23 Més amunt s’ha apuntat que la literatura acadèmica ha presentat l’article 3 de la Constitució (i totes les lleis que en deriven en els respectius estatuts d’autonomia amb una llengua oficial pròpia) com la concreció més rellevant de la nova Espanya democràtica, ben lluny (en principi) dels principis monolingüistes del franquisme, que s’obria al reconeixement de l’oficialitat de les diferents llengües. Ara bé, abans d’arribar a l’aprovació d’aquell article constitucional, tan citat i mitificat, al llarg de més d’un any els diferents partits polítics van anar elaborant els seus argumentaris lingüístics en diferents comissions i institucions previstes dins l’anomenat període constituent. 24 Els discursos polítics sobre les llengües d’Espanya en el període constituent és una amalgama de discursos molt diversos des de molts punts de vista: la pluralitat de partits que els emeten, l’encara més gran diversitat de polítics que els defensen (un mateix partit podia delegar la seva representació en un polític o en un altre, segons el moment i el context del debat) i l’àmbit de decisió de cada etapa que va configurar el període Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
43 constituent. En el lapse d’una mica més d’un any (la primera comissió es reunia a l’agost de 1977 i el ple del Senat debatia l’article 3, i el ratificava, el 25 de setembre de 1978), el tema sobre les llengües es va debatre en sis òrgans o seus parlamentàries diferents, que segons el calendari i protocols parlamentaris sorgits de les corts constituents del juny de 1977: la comissió de l’avantprojecte de Constitució, les esmenes a l’avantprojecte, la Comissió d’Assumptes Constitucionals i Llibertats, el debat del ple del Congrés de Diputats, la Comissió del Senat i el ple del Senat. 25 El debat polític sobre les llengües, doncs, va passar per diferents etapes en què van intervenir nombrosos representants en diferents òrgans de debat i decisió que s’havien d’anar passant. L’aprovació de l’article 3, doncs, és el resultat d’un procés llarg, complex, d’una gran pluralitat d’actors i de discursos i posicionaments sobre les llengües d’allò més variat. Entre l’agost de 1977, quan la primera comissió es reuneix, i el setembre de 1978, quan el ple del Senat ratificava la proposta d’article sobre les llengües, en el lapse d’aquest període té lloc un debat amb més de 70 discursos polítics de diferent tipologia parlamentària: esmenes, torns de grup parlamentari, torns de rèplica, torns de «clarificación», torns per al·lusions personals... Per bé que tots aquests discursos representen els diferents partits polítics que en cada moment podien intervenir, el posicionament de cada partit també va quedar matisat pel representant que en cada moment intervé, per la qual cosa l’argumentari de cada partit presenta diferents tonalitats. Un mateix partit va poder arribar a tenir diferents representants segons el moment i el lloc del debat. Per exemple, la UCD, el principal partit polític espanyol del moment, va estar representada per José Luis Meilan Gil, José Manuel Paredes Grosso o Carles Sentís. Pel que fa als principals partits catalans, els socialistes van comptar amb Gregorio Peces-Barba en la comissió de l’avantprojecte i Josep Lorda en el ple del Congrés; els comunistes sempre van delegar el tema en Jordi Solé Tura; i finalment, Minoria Catalana va comptar amb Miquel Roca o Xavier Trias Fargas, segons el moment (en la comissió de l’avantprojecte el primer, i en el ple del Congrés, el segon). 26 Els arguments principals de cada grup parlamentari es van desplegar en el ple del Congrés i en el ple del Senat, especialment a partir de les esmenes que cada grup hi va defensar. Respecte al debat sobre les llengües, el que seria l’article 3 de la Constitució, es van arribar a presentar 21 esmenes en el Congrés, mentre que en el Senat, ja només van ser 4. Sobre el paràgraf 1 («El castellano es la lengua española oficial del Estado. Todos los españoles tienen el deber de conocerla y el derecho a usarla»), a penes hi va haver qüestionaments o propostes alternatives. En canvi, els apartats 2 i 3, relatius a l’oficialitat de «las demás lenguas españolas» i a «la riqueza de las distintas modalidades lingüísticas de España» respectivament, van ser els més controvertits i els que van merèixer l’intent de reforçar la protecció legal de les «altres» llengües per part de la majoria de grups, excepte alguna esmena d’AP i UCD, que van pretendre rebaixarne el contingut. Cap d’aquestes esmenes no va prosperar, però en canvi, van desencadenar nombrosos discursos parlamentaris amb posicionaments ben diversos al voltant de les llengües. 27 La gran majoria de discursos polítics de més gruix van tenir lloc al Congrés de Diputats entre el maig i el juliol de 1978. Cada grup va adduir arguments de naturalesa molt diversa: de caràcter històric, de caràcter jurídic, de principis polítics generals, etc. En aquest article es presentarà un tipus d’argument basat en la pròpia autobiografia lingüística de l’orador, o bé en la biografia lingüística d’alguna persona de l’entorn de Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
44 l’orador. Aquest tipus d’argument es pot inserir dins la tipologia extensa que ha desenvolupat la teoria de l’argumentació, que ha establert un tipus d’argument basat en «le modèle et l’antimodèle»25. Les actituds i experiències personals dels polítics respecte a la llengua, o d’algú del seu entorn, alimenten els discursos parlamentaris de bona part dels grups parlamentaris tal com passem a veure tot seguit. 28 Ramon Trias Fargas és l’orador que narra de manera més extensa la seva autobiografía lingüística i ho fa, segons declara, per «apartar de toda pugnacidad y de toda dureza en la controversia». Trias Fargas rememora la seva llarga etapa fora de Catalunya i alhora, justifica el seu bilingüisme literari: Mi infancia ha transcurrido en Salamanca; que he vivido muchísimos años en América del Sur, donde la obra de Castilla ha sido apreciada y está presente en cada momento; que suelo escribir en Cataluña en castellano lo mismo que en catalán, cosa que no siempre es bien vista por los puristas, y, en definitiva, que soy un hombre que comprende las cosas de los españoles no catalanes, no sólo con la razón, sino también con el afecto y el corazón, y, lo que es más interesante, me parece a mí, es que esto que estoy diciendo en este momento lo he dicho y lo he escrito en Barcelona siempre que ha hecho falta26. 29 La seva biografía personal és l’argument introductori per defensar el bilingüisme, l’oficialitat del català, «el idioma débil […] secularmente perseguido», «el derecho a utilizar nuestra lengua materna», que s’hauria de concretar en la introducció del català com a llengua vehicular de l’escola27. Aquests posicionaments generals sobre el tractament que la llengua hauria de tenir en el text constitucional es tanquen amb una nova posada en escena del jo parlamentari investit per la legitimitat de l’autobiografia narrada al principi: Con toda mi modestia… yo os digo que la cuestión del idioma es la llaga abierta en el costado del pueblo catalán, que mientras no se cure envenenará sin remedio nuestras relaciones. Mientras el idioma catalán sea postergado en la escuela y en la vida civil y pública, nosotros nos sentiremos humillados y nos consideraremos postergados y despreciados, y en tal estado de ánimo nada positivo se puede producir entre nosotros28. 30 En aquest fragment es produeix el pas del jo parlamentari al nosaltres (els catalans), una gradació que es va fusionant en la mesura que l’experiència personal li permet (auto)investir-se d’autoritat davant els altres parlamentaris («yo os digo», els remarca l’orador) per poder afirmar el sentiment de trauma lingüístic de tota una comunitat, de tot un col·lectiu: «del idioma es la llaga abierta en el costado del pueblo catalán». L’orador s’erigeix en la veu del dolor de llengua de tot un país, que és el personal i el del col·lectiu («nosotros nos sentiremos humillados y nos consideraremos postergados y despreciados»), mentre el català sigui una llengua bandejada dels àmbits públics i institucionals. 31 L’autobiografía lingüística també li permet investir-se d’autoritat per justificar la seva posada en escena, sobretot pel seu to, que no es pot copsar per les fredes paraules transcrites, sinó pels mateixos èmfasis lèxics de l’orador, que repeteix el mot «entusiasmo» fins a tres vegades al final del seu discurs 29. També parla en nom del col·lectiu i d’ell mateix per argumentar la seva actitud, la personal i col·lectiva, respecte a l’ús oral del castellà i del català. En aquest sentit, Trias Fargas torna a l’ús de la primera persona del plural per defensar que l’ús d’una llengua o una altra sempre serà fruit d’un acte lliure individual no condicionat pel context polític. Aquesta actitud que defensa el polític català es converteix en l’argument principal per sostenir que totes les llengües oficials tinguin els mateixos drets i deures que estableix l’apartat 1 pel castellà: Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
45 «Estamos dispuestos a hablar en castellano, pero no como Franco. Hablaremos castellano como demócratas y lo mejor que sepamos. Pero lo que no estamos dispuestos es a olvidar el catalán bajo ninguna circunstancia y en ningún momento». Trias acaba defensant l’esmena 106, que pretenia afegir a l’articulat de l’avantprojecte que «todos los residentes en dichos territorios tienen el deber de conocer y el derecho a usar aquellas lenguas [oficiales en los territorios autónomos]» 30. 32 Les autobiografies lingüístiques de Candel i Xirinachs ocupen un lloc més marginal en els seus respectius argumentaris polítics. En el cas de Candel, és més una presentació del seu perfil lingüístic personal, de la seva llengua inicial i del context d’adquisició del català: la seva trajectòria personal és mostrada com a «exemple» del tipus de votant que representa. Este Senador – Senador catalán, pero catalán de procedencia inmigrante, cuya lengua familiar es la castellana y que debe su adentramiento en la cultura lingüística catalana a un estricto esfuerzo personal, porque Cataluña carecía de recursos para proporcionársela, desearía que ahora en adelante eso ya no ocurriera más. Ese Senador sabe también que salió elegido más que nada por esa población arribada a Cataluña desde todos los rincones del Estado español. Por ello, no hace otra cosa al presentar esta enmienda que responder a los deseos de esa población inmigrante tan catalana de sentimiento y de derecho como los propios autóctonos 31. 33 Candel proposa que els immigrants puguin aprendre la llengua, que passarà a ser la de l’ambient que els envoltarà i aquesta situació crearà «una igualdad de oportunidades en lo que se refiere al uso de la lengua»32. En canvi, Xirinachs, que lamenta que estigui obligat a fer la seva intervenció en castellà en el Senat, explica la competència menor en castellà dels catalanoparlants «que estamos acostumbrados a pensar, escribir y hablar en otro idioma distinto». Xirinachs s’erigeix en l’altaveu dels ciutadans que es troben en aquesta situació i de la denúncia d’aquesta situació: «padecemos una discriminación importante», ja que «tenemos grandes dificultades de léxico y sintaxis; estamos muy frenados por culpa de esto». La limitada competència en castellà que s’atribueix a ell i als qui representa no obsta perquè es presenti com a antimodel del castellanoparlant tipus. Al contrari, la seva casuística personal i la dels oradors catalans són objecte d’un comentari humorístic i una autoparòdia que el seu auditori reconeix, reaccionant-hi de manera positiva amb riallades: Creo que todos habrán sido testigos de lo mal que hablamos aquí los catalanes. Yo no me puedo comparar con el señor Villar Arregui (Risas). Y me parece que en una sala tan perfecta como ésta, con unos taquígrafos tan eficientes, con un sistema de refrigeración y calefacción tan perfecto, podría haber también un sistema de traducción simultánea, como ocurre en muchas otras partes de este Madrid, por ejemplo. En este sentido y como protesta, voy a leer esta enmienda en catalán. [traducció castellana] Ojalá pronto todos los pueblos del Estado, cada uno en su lengua, como yo, pudieran decir de todo corazón! Visca Espanya!33. 34 Trias Fargas, Candel i Xirinachs són els únics casos d’oradors que recorren a la seva autobiografia personal per elaborar els seus argumentaris lingüístics. La majoria d’oradors narren les biografies lingüístiques de persones del seu entorn proper. Els representants de partits bascos es posen de testimoni (sempre subratllen que ho coneixen de primera mà) de comportaments lingüístics que es presenten com un model a seguir. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
46 35 Letamendia Belzuce (EE) explica el cas d’un guàrdia civil gran que havia après el basc en una ikastola i com l’ensenyava al seu net: Yo he sido testigo del orgullo de un anciano guardia civil cuando enseñaba a su nieto euskera, de cómo le temblaba la voz de emoción cuando le enseñaba el euskera que había aprendido en la ikastola. Y he de decir también que la cultura vasca, como la cultura de los demás pueblos, no es la cultura de una raza, sino la cultura de todas las razas que integran ese pueblo por su voluntad de pertenecer a esa comunidad y formar esa comunidad. Porque las culturas se empobrecen si no las mezclan; por el contrario, se enriquecen por el intercambio de los pueblos y de las razas34. 36 Juan María Vidarte Ugarte (PNB) explica un cas semblant, el d’una filla de guàrdia civil que està aprenent basc en una ikastola. Conozco una hija de un miembro de la Guardia Civil —es el único caso que conozco, supongo que habrá bastantes más— que acude diariamente a la “ikastola” de Burlete. Este es, señores Senadores, el verdadero camino de la pacificación y de la convivencia. Claro es que tengo que lamentar que esa ayuda prometida por el Ministerio de Educación y Ciencia a las “ikastolas” no le haya llegado al pueblo vasco y, en consecuencia, a esta hija de ese miembro de la Guardia Civil, que también, evidentemente, es vasca. Nada más35. 37 Letamendia torna a recórrer a una biografia lingüística per presentar una altra situació: no la d’un parlant que du a terme un procés d’aprenentatge del basc en unes condicions totalment adverses, sinó la d’una persona que és humiliada pel fet de parlar en basc en una situació comunicativa dura i dramàtica En fin, nosotros, los vascos, y me imagino que también los catalanes y los gallegos, respetamos profundamente el castellano y reconocemos su riqueza literaria, pero no queremos que se puedan reproducir situaciones como las que yo he tenido que vivir en base a mi condición de abogado de presos políticos (condición que tengo desde hace nueve años), que o bien eran kafkianas o bien eran patéticas; situaciones kafkianas que se han dado en procesos del Tribunal de Orden Público, en Consejos de Guerra de presos políticos vascos, en los que cuando esos presos se dirigían al Tribunal en euskera, después constaba en el acta que se habían dirigido al Tribunal en una lengua extraña [...] Situaciones patéticas que me ha tocado vivir, como la de la madre vasca que se expresaba muy mal en castellano o no se expresaba, y que había intentado comunicarse con su hijo que estaba en la cárcel; no tenía más la posibilidad de verle de muy tarde en tarde, y entonces su conversación era interrumpida por el funcionario de prisiones porque se expresaba en euskera. Esta mujer salía del locutorio llorando a lágrima viva por no haber podido comunicarse con su hijo36. 38 Totes aquestes biografies lingüístiques s’insereixen en el context basc de la transició, fortament marcat per la violència política, amb centenars de morts. 37 Un mateix polític, Letamendia, mobilitza dos models que dialoguen amb els actors socials i polítics del moment. Si pels sectors abertzales el guàrdia civil podia representar la figura de la violència d’estat, des d’aquests mateixos sectors es narren dos models de comportament lingüístic favorable al basc protagonitzats, justament, per membres de la guàrdia civil i familiars directes seus. Alhora, la figura del funcionari de presons queda reforçada, dins la biografia de la mare d’un pres, com un agent repressor de la llengua basca en un context de màxima emotivitat i intimitat familiar: la trobada ocasional d’una mare amb el seu fill pres en un locutori de presó vigilat per un funcionari de l’estat, que exerceix la seva autoritat en contra dels drets de la mare en nom d’una raó lingüística. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
47 39 Les altres biografies lingüístiques són narrades per polítics catalans, que en cap cas expressen el dramatisme dels casos anteriors. Xirinachs, més que narrar, llegeix en veu alta davant el Senat una carta que li ha fet arribar «un campesino» de Bellpuig d’Urgell, Àngel Alsina, que qüestiona a través de la veu de Xirinachs l’apartat 1 de l’article 3. Aquest pagès català s’erigeix en altaveu de «los pobrecitos de los territorios no castellanos no tenemos el derecho ni tan solo asegurado en nuestros límites, però sí tenemos preceptuadas obligaciones respecto a los que nada quieren saber de nuestra llengua»38. 40 Per la seva banda, Carles Sentís (UCD) narra una biografia divertida i enginyosa que busca l’efecte sorpresa de l’auditori: el relat té lloc a Nova York, on dos amics catalans són identificats com a espanyols per un vianant justament pel fet de parlar en català: el context americà excloïa la possibilitat que els dos amics fossin de qualsevol país americà de llengua espanyola. Por ejemplo, cuando yo estaba viviendo en Nueva York, un amigo mío, en la calle 42, hablaba con otro, y se les acercó un viandante que les dijo: “Ustedes, que son españoles, ¿me podrían decir dónde está el restaurante Fornos? Y dijo este amigo mío: “Pues dos bloques al Este, uno al Norte y allí está el restaurante Fornos”. “Muchas gracias”, le contesto el viandante. Cuando se iba, le dijo mi amigo: “Por cierto, ¿por qué ha sabido usted que éramos españoles, si en realidad no hablábamos español, sino catalán?” Y el viandante les dijo: “Pues precisamente porque hablaban el catalán he sabido que eran españoles. Porque si hubieran hablado español, hubieran podido ser peruanos, venezolanos, cubanos o, sobre todo, puertorriqueños” (Rumores). Es decir, que hay que hablar con la realidad y no con las fantasías que se han publicado estos últimos días o que se han comentado aquí mismo39. El model, de quin discurs polític? 41 En el debat parlamentari del període constituent el tractament constitucional que les llengües havien de tenir va ser debatut de manera intensa per part de nombrosos representants polítics de molts partits. D’entre els més diversos arguments adduïts, gairebé tots els representants polítics van recórrer a les (auto)biografies lingüístiques: de fet, va ser un tipus d’argument al qual van acudir tots els polítics defensors de la diversitat lingüística. En canvi, aquest tipus d’argument va ser gairebé absent entre els representants més reticents, o directament contraris, a promoure un marc legislatiu constitucional pro-diversitat. Entre aquests, només el representant d’AP, Licinio de la Fuente, va inserir en el seu argumentari castellanista una biografia lingüística: la dels migrants espanyols a l’estranger. Aquests només presentarien, segons de la Fuente, un cas anàleg al dels castellanoparlants residents en territoris bilingües. El diputat d’AP ho argumentava d’aquesta manera: En mis contactos con la emigración española en el extranjero he podido constatar cómo quien no dominaba el idioma oficial del país quedaba condenado a los últimos puestos de la escala laboral y privado, como es lógico, de todo acceso a los puestos administrativos y a las profesiones liberales. Es un fenómeno que, en menor escala, por el hecho de haber cooficialidad, se va a repetir en España. No nos engañemos con palabras bonitas ni con utopías, la realidad es así de dura. […] ¿Qué va a pasar con los funcionarios, con los profesionales, con los maestros, con los profesores, con los estudiantes? Los territorios con lengua propia van a ser casi coto cerrado para ellos, mientras a la inversa, el resto de España estará abierto a Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
48 todas las posibilidades de los oriundos de esos territorios. Yo ya conozco a algunos que han tenido que cambiar de domicilio por esta razón40. 42 Les biografies dels migrants espanyols a l’estranger que de la Fuente diu conèixer de primera mà li donen la base argumentativa per justificar la seva negativa a donar el caràcter d’oficialitat a les llengües altres que el castellà; segons el seu partit, només el castellà havia de ser considerat llengua oficial dins la Constitució, l’oficialitat de les altres llengües s’havia de deixar per als futurs estatuts d’autonomia. 43 Així doncs, són sobretot els representants polítics catalans i bascos els qui veuen en les (auto)biografies lingüístiques un tipus d’argument efectiu per als seus posicionaments polítics respecte a l’oficialitat de les llengües. Ho fan tots els principals partits catalans i bascos, però també partits d’àmbit estatal tan importants en aquells moments com la UCD, el PSOE i el PCE, que en algun moment deixen el tema de la llengua en mans d’un representant català del partit: Sentís, en el cas de la UCD; Lorda, en el cas del PSOE; i Solé Tura en el cas del PCE. En certa manera, tots aquests representants es volen erigir en la veu d’aquells qui han patit en el passat. Aquests polítics són la veu pública d’aquells grups humans que s’expressa en un context en què es passa del silenci del franquisme al dret a parlar que obre la Transició: durant aquest període es desencadena un progressiu alliberament de la paraula, que poua en la memòria individual per regar unes narratives de la identitat que cerquen la redempció del passat. De les (auto)biografies lingüístiques, només en prescindeixen els sectors allunyats de la dolorosa experiència de la «herida», o de la «llaga», per recuperar expressions que alguns representants catalans i bascos van fer servir davant tot el Congrés: es tractava d’argumentar la necessitat que la futura democràcia donés les eines per guarir el virus violent i devastador del monolingüisme que havia contagiat, manu militari, el franquisme per tots els racons de la societat i de la vida pública. BIBLIOGRAPHIE Fonts primàries AGUADO, Juan J. «Los emigrantes y el catalán». El País, 21.2.1979. ÁVILA, Rafael. «Castellanohablante en Cataluña». El País, 7.11.1979. BURGOS BARUEL, Albert. «Cataluña y España». El País, 22.5.1977. CANDEL, Francesc. Algo más sobre los otros catalanes. Barcelona: Planeta, 1977. CANDEL, Francesc. Els altres catalans vint anys després. Barcelona, Edicions 62, 1985. CANDEL, Francesc. Els altres catalans. Barcelona: Edicions 62, 2008 [1a ed. 1964]. Constitución Española. Trabajos parlamentarios, 4 vol. Madrid: Cortes Generales, 1989 [1a ed.: 1980]. RODRÍGUEZ, Jesús. «La represión catalanista». El País, 23.2.1979. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
49 SERRA, J.R. «Castellano-hablante en Cataluña y… Andorra». El País, 9.11.1979. Estudis BALLESTER, Josep. Temps de quarantena. Cultura i societat a la postguerra (1939-1959). València: Universitat de València, 2006 [1a ed. 1992]. BENET, Josep M. L’intent franquista de genocidi cultural contra Catalunya. Barcelona: Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 1995 [1a ed. 1973]. BOURDIEU Pierre. «L’illusion biographique». Dins Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 62-63, 1986, p. 69-72. BRUMME, Jenny. «Las regulaciones legales de la lengua (del español y las otras lenguas de España y América)». Dins CANO, Rafael (ed.). Historia de la lengua española. Barcelona: Ariel, 2003, p. 945- 972. CASTILLO LLUCH, Mònica; KABATEK, Johannes (ed.). Las lenguas de España: política lingüística, sociología del lenguaje e ideología desde la Transición hasta la actualidad. Madrid/Fráncfort: Iberoamericana/ Vervuert, 2006. CLOTET, Jaume; TORRA, Quim. Les millors obres de la literatura catalana (comentades pel censor). Barcelona: Acontravent, 2010. DEL VALLE, José (dir.). A Political History of Spanish: The Making of a Language. Cambridge, Cambridge University Press, 2013. FERRANDO, Antoni; NICOLÁS, Miquel. Història de la llengua catalana. Barcelona: UOC, 2011. GALINDO SOLÉ, Mireia; ROSSELLÓ PERALTA, Carles de i BERNAT BALTRONS, Francesc. El castellà a la Catalunya contemporània: història d’una bilingüització. Benicarló: Onada Edicions, 2021. GALLEGO, Ferran. El Mito de la transición: la crisis del franquismo y los orígenes de la democracia (1973-1977). Barcelona: Crítica, 2008. GALLOFRÉ i VIRGILI, Maria Josepa. L’edició catalana i la censura franquista (1939-1951). Barcelona: Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 1991. GONZÁLEZ OLLÉ, Fernando. «El establecimiento del castellano como lengua oficial». Boletín de la Real Academia Española, 214 (1978), p. 229-280. IGLÉSIAS, Narcís. «Ideologías lingüísticas en la prensa de la Transición: análisis de las cartas al director publicadas en El País». Circula. Revue d’Idéologies Linguistiques, 10 (tardor 2019), p. 1-21. IGLÉSIAS, Narcís. «Análisis crítico de las informaciones sobre las lenguas publicadas en la prensa española de la Transición». Estudios sobre el Mensaje Periodístico, vol. 25/2 (2019), p. 901-914. IGLÉSIAS, Narcís. «La narrativa historiogràfica d’Antoni M. Badia i Margarit: una lectura crítica a propòsit de la codificació del català contemporani». Dins F ÀBREGAS, Imma; PUJOL, Mercè (ed.). Antoni M. Badia i Margarit, un exemple de la projecció de la llengua catalana. Perpinyà: Presses Universitaires de Perpignan, 2022 (en premsa). LAGARDE, Christian (ed). Le discours sur les “langues d’Espagne” (1978-2008). El discurso sobre las “lenguas españolas” (1978-2008). Perpinyà: Presses Universitaires de Perpignan, 2009. LEBSANFT, Franz. Spanien und seine Sprachen in den Cartas al Director von El País (1976-1987). Einführung und analytische Bibliographie. Tübingen : Gunter Narr Verlag, 1990. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
50 MENÉNDEZ-REIGADA, [Fray Albino González]. Catecismo patriótico español. Barcelona: Península, 2003 [1a ed. 1939]. MOLINERO, Carme; YSÀS, Pere. Catalunya durant el franquisme. Barcelona: Empúries, 1999. MORENO FERNÁNDEZ, Francisco. Historia social de las lenguas de España. Barcelona: Ariel, 2005. PERELMAN, Chaïm; OLBRECHTS-TYTECA, Lucie. Traité de l’argumentation. La nouvelle rhétorique. Brussel·les: Éditions de l’Université de Bruxelles, 2008 [1a ed. 1958]. ROVIRA MARTÍNEZ, Marta. La Transició franquista. Un exercici d’apropiació de la història. Barcelona: Pòrtic, 2014. SÁNCHEZ-CUENCA, Ignacio. Atado y mal atado. El suicidio institucional del franquismo y el surgimiento de la democràcia. Madrid: Alianza Editorial, 2014. SÁNCHEZ ERAUSKIN, Javier. El nudo escurridizo. Euskal Herria bajo el primer franquismo. Tafalla: Txalaparta, 1994. THOMÀS, Joan. «Franquistes catalans i llengua catalana». Llengua & Literatura, 9 (1998), p. 153-171. VALLVERDÚ, Francesc. «La traducció i la censura franquista. La meva experiència a Edicions 62». Quaderns. Revista de Traducció, 20 (2013), p. 9-16. YSÀS, Pere. «Ni modèlica ni immodèlica. La transició des de la historiografia». Franquisme & Transició, 1 (2013), p. 273-308. NOTES 1. MENÉNDEZ-REIGADA, [Fray Albino González]. Catecismo patriótico español. Barcelona: Península, 2003, p. 11-12 2. L’estudi sobre la bilingüització de la Catalunya contemporània dut a terme per GALINDO, Mireia et alii. El castellà a la Catalunya contemporània: història d’una bilingüització. Benicarló: Onada Edicions, 2021, és molt eloqüent i explica molt bé les diferents etapes del procés, així com la mateixa progressió de la bilingüització (des del primer aprenentatge del castellà, fins a l’extensió del bilingüisme incipient.). Pel que fa a Franco, sembla que l’única vegada que va expressar la seva ideologia lingüística en un discurs públic va ser durant la guerra, on va sostenir: «El carácter de cada región será respetado, pero sin perjuicio para la unidad nacional, que la queremos absoluta, con una sola lengua, el castellano, con una sola personalidad, la española». Declaracions de Franco del gener de 1938 publicades en un diari brasiler i publicat el 1939 en el recull Palabras del Caudillo; citat per BENET, Josep. L’intent franquista de genocidi cultural contra Catalunya. Barcelona: Publicacions de l’Abadia de Montserrat,1995, p. 98; i altres autors, com BALLESTER, Josep. Temps de quarantena. València: Universitat de València, 2006, p. 25. 3. Edicte citat per nombrosos especialistes, com THOMÀS, Joan. catalana». Llengua & Literatura, 9 (1998), p. 163-164 o «Franquistes catalans i llengua MOLINERO, Carme et alii. Catalunya durant el franquisme. Barcelona: Empúries, 1999, p. 144. 4. Sobre les traduccions al català a la dècada de 1960, vegeu VALLVERDÚ, Francesc. «La traducció i la censura franquista. La meva experiència a Edicions 62». Quaderns. Revista de Traducció, 20 (2013), p. 9-16. En el magne estudi de BENET, Josep. Op. cit., aquest historiador va parlar de «genocidi cultural». La repressió cultural duta a terme pel franquisme ha estat molt ben estudiada per part de diferents autors: per al cas de les Illes, vegeu els estudis de MASSOT I MUNTANER, Josep M.; per al País Valencià, SÁNCHEZ ERAUSKIN, BALLESTER, Josep. Op. cit.; per al cas del País Basc, vegeu Javier. El nudo escurridizo. Euskal Herria bajo el primer franquismo. Tafalla: Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
51 Txalaparta, 1994. També hi ha importants estudis sectorials, com el G ALLOFRÉ, M. Josepa. L’edició catalana i la censura franquista (1939-1951) (Barcelona: Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 1991) sobre la censura en el món editorial. Tot i que a partir de la llei Fraga hi ha més facilitats per publicar en català i el nombre de publicacions augmentarà de manera molt significativa, el control sobre el món editorial a través de la censura no sols no es manté, sinó que s’intensifica: s’ha calculat que a finals dels 60, la censura afecta un 37,1% de les publicacions, amb un pic de fins al 61,5% el 1969, quan se suposa que el franquisme presenta símptomes de debilitat i es torna més flexible. Entre 1974 i 1977, encara afectava un 22,6% de les obres, segons estudi de HOUT citat per CLOTET, Jaume; TORRA, VAN DEN Quim. Les millors obres de la literatura catalana (comentades pel censor). Barcelona: Acontravent, 2010, p. 12-13. En el terreny de la música, només caldrà recordar tota la censura i les prohibicions que s’apliquen sobre diferents artistes de La Nova Cançó a la dècada de 1970, també després de la mort de Franco. En el terreny acadèmic, es podria adduir el seguiment que les autoritats franquistes van dispensar a la projecció internacional d’Antoni M. Badia i Margarit, tant des de la seva primera conferència sobre llengua i cultura catalanes (Berna, 1953), com des de la seva participació en el que seria el primer congrés de catalanística celebrat a l’estranger, que va tenir lloc al final del franquisme (Estrasburg, 1973); sobre aquest cas, vegeu IGLÉSIAS, Narcís a FÀBREGAS, Imma; PUJOL, Mercè (ed.). Antoni M. Badia i Margarit, un exemple de la projecció de la llengua catalana (Perpinyà: Presses Universitaires de Perpignan, 2022, en premsa). 5. Vegeu SÁNCHEZ CUENCA, Ignacio. Atado y mal atado. Madrid: Alianza Editorial, 2014, i ROVIRA MARTÍNEZ, Marta. La Transició franquista Barcelona: Pòrtic, 2014. 6. Vegeu GONZÁLEZ OLLÉ, Fernando. «El establecimiento del castellano como lengua oficial». Boletín de la Real Academia Española, 214 (1978), p. 229-280; B RUMME, Jenny. «Las regulaciones legales de la lengua (del español y las otras lenguas de España y América)». Dins C ANO, Rafael (ed.). Historia de la lengua española. Barcelona: Ariel, 2003, p. 945- 972; i F ERRANDO, Antoni i NICOLÁS, Miquel. Op. cit. Si bé la transició ha merescut nombrosos estudis des de la perspectiva de la història social o política com a gran moment de reforma o de ruptura (Y SÀS, Pere. «Ni modèlica ni immodèlica. La transició des de la historiografia». Franquisme & Transició, 1 (2013), p. 273-308; i S ÁNCHEZ C UENCA, Ignacio, ibid.,), amb prou feines s’han dedicat estudis a aquest període per part de les històries de la llengua de referència en l’àmbit català i espanyol: o bé no se n’han ocupat, o bé ho han fet de passada, sense presentar cap balanç global del període (M ORENO F ERNÁNDEZ, Francisco. Historia social de las lenguas de España. Barcelona: Ariel, 2005; del V ALLE, José. A Political History of Spanish: The Making of a Language. Cambridge, Cambridge University Press, 2013; i F ERRANDO, Antoni i NICOLÁS, Miquel. Història de la llengua catalana. Barcelona: UOC, 2011). Tot i ser un període de gran transcendència per a l’esdevenir de les llengües, els estudis o monografies que des d’aquesta perspectiva, s’hi han dedicat són escassos (CASTILLO LLUCH, Mònica i KABATEK, Johannes. Las lenguas de España: política lingüística, sociología del lenguaje e ideología desde la Transición hasta la actualidad. Madrid/Fráncfort: Iberoamericana/Vervuert, 2006; LAGARDE, Christian (ed). Le discours sur les «langues d’Espagne» (1978-2008). El discurso sobre las «lenguas españolas» (1978-2008). Perpinyà: Presses Universitaires de Perpignan, 2009). 7. Vegeu IGLÉSIAS, Narcís. «Ideologías lingüísticas en la prensa de la Transición: análisis de las cartas al director publicadas en El País». Circula. Revue d’Idéologies Linguistiques, 10 (tardor 2019), p. 1-21; i «Análisis crítico de las informaciones sobre las lenguas publicadas en la prensa española de la Transición». Estudios sobre el Mensaje Periodístico, vol. 25/2 (2019), p. 901-914. 8. Les autobiografies lingüístiques també seran presents en el camp artístic, a través d’obres literàries o musicals, però per qüestions d’espai no me n’ocuparé en aquest estudi i deixo aquesta recerca per a futurs estudis. 9. Vegeu BOURDIEU, Pierre. «L’illusion biographique». Dins Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 62-63, 1986, p. 69-72. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
52 10. El primer embrió del llibre neix amb la publicació de l’article de Candel “Los otros catalanes”, publicat a la revista La Jirafa el 1958. No ha estat fins al 2008 que se n’ha publicat la primera edició no censurada, amb pròleg de Najat el Hachmi: Els altres catalans. Barcelona: Edicions 62, 2008. 11. Com la família Bonillas, procedent de las Cuevas. Van tenir vuit fills, tots nascuts a Catalunya, excepte els dos grans. Els pares, i sis dels seus vuit fills, no parlaven català, vivien a les Cases Barates (CANDEL, Francesc. Els altres catalans. Op. cit., p. 94-95). Aquestes informacions, les dona el mateix autor en el llibre Algo más sobre los otros catalanes. Dos dels fills parlen en català segons les persones i les circumstàncies. El petit va ser un gran sardanista i li agradava el teatre català. 12. CANDEL, Francesc. Els altres catalans. Op. cit., p. 92-93. 13. Ibid., p. 130. 14. Ibid., p. 101, 105 i 131. L’autor arriba a sostenir una generalització respecte al conjunt de «els immigrats»: «a l’immigrant el català no li és necessari», p. 129. 15. Vegeu CANDEL, Francesc. Els altres catalans. Op. cit. p. 357-374. 16. Carta de 1964, reproduïda per CANDEL, Francesc. Algo más sobre los otros catalanes. Barcelona: Planeta, 1977, p. 92-93. 17. Candel explica la seva presentació Els altres catalans del llibre a Ripoll, davant una sala plena, segons el que ell mateix explica (Ibid., p. 86). 18. Vegeu-ne el buidatge bibliogràfic de L EBSANFT, Franz. Spanien und seine Sprachen in den Cartas al Director von El País (1976-1987). Tübingen: Gunter Narr Verlag, 1990. 19. AGUADO, Juan J. «Los emigrantes y el catalán». El País, 21.2.1979. 20. RODRÍGUEZ, Jesús. «La represión catalanista». El País, 23.2.1979. 21. Ibid. 22. ÁVILA, Rafael. «Castellanohablante en Cataluña». El País, 7.11.1979; resposta de S ERRA, J.R. «Castellano-hablante en Cataluña y… Andorra». El País, 9.11.1979 23. BURGOS BARUEL, Albert. «Cataluña y España». El País, 22.5.1977. 24. Ibid. 25. PERELMAN, Chaïm; OLBRECHTS-TYTECA, Lucie. Traité de l’argumentation. La nouvelle rhétorique. Brussel·les: Éditions de l’Université de Bruxelles, 2008, p. 488-495. 26. Constitución Española. Trabajos parlamentarios. Madrid: Cortes Generales, 1989, vol. I, p. 866-867. 27. «No vamos a obligar a ningún niño de ambiente familiar idiomático castellano a estudiar en catalán… La lengua materna debe respetarse, como es lógico, para los unos y para los otros» (Ibid., p. 866-867). Ramon Trias Fargas (Barcelona, 1923 – El Masnou, 1989) estudià dret a Colòmbia, on s’havia exiliat la seva família el 1939, i va obtenir el Master of Arts in Economics per la Universitat de Chicago el 1950, any del seu retorn a Barcelona. Va ser catedràtic d’Economia Política i Hisenda Pública a la Universitat de València (1962) i d’Hisenda Pública a la de Barcelona (1969). El 1975 va fundar el partit liberal Esquerra Democràtica de Catalunya, que el 1978 es va integrar a Convergència Democràtica de Catalunya. Va ser diputat del parlament espanyol (1977, 1979 i 1982), també va ser senador per Barcelona (1986) i regidor a l’Ajuntament de Barcelona (1983). Entre 1980 i 1982 va ser Conseller d’Economia i Finances de la Generalitat de Catalunya, càrrec que tornaria a ocupar el 1988. 28. Ibid., p. 866-867; la negreta és meva. 29. «Esta enmienda yo admito que tal vez la he redactado llevado por el entusiasmo, que es ese entusiasmo de una persona que ha vivido fuera de Cataluña muchos años, que quiere a Cataluña, pero que también quiere al resto de España y, por lo tanto, siente con entusiasmo las cosas de España y Cataluña, pues las cosas de Cataluña son cosas de España, quiérase o no» ( Ibid., p. 866-867; el subratllat és meu). 30. Ibid., p. 866-868. 31. Ibid., p.1669/3253 Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
53 32. Ibid., p. 1669/3253. Francesc Candel i Tortajada (Casas Altas, 1925-Barcelona, 2007) emigrà a Barcelona amb la seva família quan tenia dos anys. El 1939 hagué de deixar l’escola i començà a treballar en oficis diversos. Autodidacte, començà a publicar els anys cinquanta, en què també s’inicià com a periodista. El seu compromís social l’involucrà en la política. Del juny del 1977 al desembre del 1978 fou senador per l’Entesa dels Catalans i del 1979 al 1983 regidor a l’Ajuntament de l’Hospitalet de Llobregat com a independent per aquest partit. És autor de més de cinquanta llibres, que van des de la crònica social a les memòries i autobiografies, passant per les novel·les. 33. Ibid., p. 2865-2866/4493-4494. Lluís Maria Xirinacs i Damians (Barcelona, 1932-Ogassa, 2007) va ser sacerdot i polític. El seu compromís polític antifranquista el portà a la presó (1972 i 1974-75). Dugué a terme diverses accions pacífiques de protesta en demanda d’amnistia i pel restabliment de les llibertats: plantades davant la Presó Model de Barcelona exigint l’alliberament dels presos polítics, tres vagues de fam (1970-71, 1972 i 1973-74) i l’organització, amb altres, de la Marxa de la Llibertat (1976). Fou candidat al premi Nobel de la pau entre el 1975 i el 1977. Va ser senador independent per Barcelona (1977-78). Pròxim a l’independentisme revolucionari, el 1980 encapçalà la candidatura al Parlament de Catalunya pel Bloc d’Esquerra d’Alliberament Nacional, que no va obtenir representació parlamentària. Va ser autor de diversos llibres sobre política i religió, i va assajar formes alternatives d’organització econòmica al capitalisme properes al cooperativisme. 34. Ibid., p. 894. Francisco Letamendia Belzunce va néixer a Sant Sebastià el 1944, fill d’una família acomodada i de tradició monàrquica. Va estudiar Dret i va ser professor de Ciència Política a la UPV. Membre d’ETA, EE i HB. Autor de nombrosos llibres sobre història del nacionalisme i sobre política. De la seva etapa de diputat en el període constituent, en va publicar dos libres: Denuncia en el parlamento. Edit. Txertoa, 1978; El no vasco a la reforma. Edit. Txertoa, 1979. Durant el període constituent, en qualitat de representant d’EE, va formar part de Grup Parlamentari Mixt. 35. Ibid., p. 1669/3253. Vidarte de Ugarte presenta aquesta biografia no «com una anécdota, sino un hecho absolutamente histórico». Juan María Vidarte de Ugarte (Bilbao, 1929 - Bilbao, 2017) fou advocat i polític. Va ser escollit senador el 1977 en qualitat d’independent per la plataforma electoral formada pel PNB, PSE i ESE. Mai va militar en cap partit, tot i ser proper al món del PNB. Fou escollit degà del Col·legi d'Advocats de Biscaia (1979-1987), membre del Consell General de l’Advocacia Espanyola (1979-2002) i president de l'Associació Pro-Drets Humans de Biscaia el 1982. 36. Ibid., p. 894. 37. Entre 1975 i 1982, SÁNCHEZ CUENCA, Ignacio. Atado y mal atado. Op. cit. p. 337, ha comptat fins a 677 víctimes mortals, «de las cuales 174 perdieron la vida a causa de la actividad represiva del Estado y el resto a causa de violencia política, fundamentalmente terrorista... las ramas diversas de ETA son responsables del 70 % de todas las muertes [de violencia política]». 38. La carta que llegeix el senador català és aquesta: «El texto equivale a decir que a los catalanes, en nuestras relaciones públicas y privades, incluso dentro de nuestra Catalunya, cualquiera tendrá el derecho absoluto de hablarnos exclusivamente en castellano y cada uno de nosotros tendrá la inexcusable obligación de entenderlo. Dentro de nuestra propia comunidad la cosa queda así consagrada porque la Constitución dice: “Todos los españoles”. Según este artículo, los que hablan castellano no tienen ninguna obligación de conocer el idioma del territorio Autónomo donde residen pero sí el derecho a hablar a todos en castellano. En cambio, los pobrecitos de los territorios no castellanos no tenemos el derecho ni tan solo asegurado en nuestros límites, pero sí tenemos preceptuadas obligaciones respecto a los que nada quieren saber de nuestra lengua. Es necesario que el Senado impida la aprobación de este articulo tal como ha quedado redactado por el Congreso, pues si luego el futuro Estatuto de Cataluña quiere salvar esta incongruencia e intenta eludir este precepto de la Constitución, el Estatuto no podrá ser aprobado, por inconstitucional». I acaba: «Comprensión, señores. Los gallegos, los vascos y los castellanos (sic) no somos separatistas. Sólo pedimos a los otros parlamentarios que nos comprendan y no hagan Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
54 el juego a los separadores. Este campesino, diciendo esto, ha ejercido su soberana preocupación por todos los pueblos del Estado y por unos momentos se ha sentido Senador. Hagámosle caso. La alternativa propuesta es muy simple» Ibid., p. 1561 / 3145. 39. Ibid., p. 1956. Carles Sentís i Anfruns (Barcelona 1911-Barcelona 2011) va ser periodista i polític. Va treballar en diaris com La Publicitat, ABC, La Vanguardia o El Correo Catalán, amb llargues etapes com a corresponsal a París i a Nova York. Va ser director d’EFE el 1963, del diari Tele/ Exprés el 1966 i de Ràdio Barcelona el 1972. En el terreny polític, va exercir diferents càrrecs en institucions molt diferents: va ser ser secretari de Martí Esteve durant el període republicà, va treballar per als serveis d’informació de Francesc Cambó, a favor del bàndol franquista, va ser secretari de Rafael Sánchez Mazas en l’etapa ministerial i director general de premsa durant el franquisme. Va ser conseller de la Generalitat de Catalunya provisional (1977-1980). Va ser escollit diputat per Barcelona per la UCD en dues ocasions (1977 i 1978), del qual partit va ser secretari general a Catalunya. El 1982 va ser nomenat conseller del Regne. 40. Ibid., p. 883-884. Licinio de la Fuente y de la Fuente (Noez, Toledo, 1923-Madrid, 2015) va ser advocat de l’estat, amb diferents càrrecs en l’administració franquista, fins a arribar a ministre de Treball (1970-1975); també va sonar com a president del govern espanyol. Diputat per AP, durant el període constituent, va presentar nombroses esmenes i va defensar amb especial bel·ligerància aquelles que van fer referència al terme de les nacionalitats i a l’oficialitat de les llengües. RÉSUMÉS Les (auto)biographies langagières sont devenues un genre en voie d'éclosion lors de la transition espagnole, en grande partie grâce à la diffusion de différentes œuvres de Francesc Candel. Durant ces années-là, des citoyens anonymes et des représentants politiques de la quasi-totalité de l'échiquier parlementaire ont raconté leur propre autobiographie linguistique ou la biographie d'un proche pour se positionner dans le débat public et si possible, conditionner le débat politique de la période constituante (1978). Il était généralement accepté que le monolinguisme qui avait caractérisé le franquisme ne pouvait pas faire partie de l’Espagne démocratique. La transition espagnole a été une période de débats longs et variés sur les langues, produits principalement dans le domaine du journalisme et de la politique. Language (auto)biographies became a burgeoning genre during the Spanish transition, largely thanks to the dissemination of various works by Francesc Candel. During those years, anonymous citizens and political representatives from almost all the parliamentary spectrum recounted their own language autobiography or the biography of a close person in order to position themselves in the public debate and, if possible, to condition the political debate of the constituent period (1978). It was generally accepted that the monolingualism that had characterised Francoism could not be part of democratic Spain. The Spanish transition was a period of long and varied debates about languages, generated mainly in the field of journalism and politics. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
55 INDEX Mots-clés : autobiographie langagière, idéologies linguistiques, biographie langagière, transition espagnole, langage journalistique, langage politique Keywords : language (auto)biographies, language ideologies, Spanish transition, journalism language, political discourse AUTEUR NARCÍS IGLÉSIAS Universitat de Girona narcis.iglesias[at]udg.edu Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
56 Poéticas anfibias. Bilingüismo y autotraducción en cinco poetas contemporáneos de expresión italiana, catalana, castellana y gallega Marisa Martínez Pérsico NOTA DEL AUTOR Este artículo fue escrito en el marco del proyecto de investigación DILL_RICLIB (2021-2023) «Il bilinguismo poetico nel XXI secolo: autotraduzione e sopratraduzione in ambito panispanico» (Università degli Studi di Udine, coordinado por la catedrática de literatura española Renata Londero). Las cinco entrevistas que cito a continuación fueron realizadas durante un ciclo que coordiné en noviembre y diciembre de 2021 en la Universidad de Údine, titulado «Poetiche anfibie. scrivere tra due lingue». Las mismas están disponibles en el canal institucional Play UNIUD. 1. Vivir entre lenguas 1 El objetivo de este trabajo es estudiar las modalidades del bilingüismo endógeno y exógeno en poetas contemporáneos a través de la metodología del estudio de caso. El bilingüismo endógeno es el dominio de dos lenguas que coexisten con estatuto oficial en un mismo territorio geográfico. Por lo tanto, su uso es extendido, aunque generalmente descompensado por número de hablantes, distribución asimétrica de los dos códigos en uso o estatus histórico y ámbitos de comunicación. Sus hablantes son considerados nativos de esas lenguas ya sea por adquisición a través de la escolarización o por inmersión contextual, familiar, aunque su desempeño pueda ser Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
57 cualitativamente diferente, puesto que «Il bilinguismo non descrive solo chi ha una competenza bilanciata delle due lingue e parla entrambe allo stesso livello: è bilingue anche chi ha una lingua dominante e un’altra che viene usata solo in specifiche circostanze [...] in modo efficace in una situazione comunicativa» 1. El bilingüismo exógeno es el uso de dos lenguas que no coexisten oficialmente en un mismo Estado, por lo que una de ellas es considerada lengua extranjera en el territorio en el que el hablante la usa. Se trata de una exposición no inmersiva en el entorno social que generalmente obedece a elecciones o circunstancias individuales, excepto los casos de migraciones colectivas entre territorios con lenguas diferentes. 2 En estas páginas presento y analizo algunos datos significativos de las biografías lingüísticas de poetas bilingües originarios de las comunidades históricas de España, así como de Italia e Hispanoamérica. Me detengo en el fenómeno de la autotraducción y en las modalidades autotraductivas que estos autores eligen. A veces se trata de autotraducciones verticales, otras veces, horizontales. Las primeras son aquellas versiones de autor realizadas entre dos lenguas de estatus distintos dentro de una comunidad lingüística y las segundas son aquellas traducciones entre lenguas nacionales que cuentan con el mismo estatus o prestigio histórico en el Estado en el que se hablan. En lo que concierne a las (auto)traducciones verticales, se conoce como supratraducción a la operación traductiva que se realiza desde una lengua materna que se encuentra en posición subalterna hacia otra lengua colindante considerada la variedad más alta de las dos, mientras infratraducción es la operación contraria. 3 Un tercer aspecto en el que me detengo en este estudio es el impacto del contacto lingüístico en la obra literaria: son recurrentes algunos fenómenos como el cambio de código, los préstamos, calcos, alusiones o citas intertextuales, así como la acuñación de neologismos que contribuyen a la construcción de un idiolecto poético. La muestra se restringe a cinco autores: Fabio Morábito (Italia-México), Gigliola Zecchin (ItaliaArgentina), Yolanda Castaño (España: Galicia), Josep Maria Rodríguez (España: Cataluña) y Vanna Andreini (Italia-Argentina), aunque cito, también, apreciaciones y declaraciones de los catalanes Joan Margarit y Mireia Vidal-Conte o los argentinos Sylvia Molloy y Adrián Bravi. Los instrumentos de recogida de datos son entrevistas e intercambios con los autores, elementos peritextuales (prólogos, epílogos y notas de autor), elementos paratextuales de ediciones en distintas lenguas (si procede) y un corpus de poemas de estos autores que permiten reflexionar acerca del proceso creativo bilingüe. 4 Respecto del método, el estudio de caso es útil para echar luz sobre los procesos –y la percepción individual de estos procesos– que subyacen a la adquisición de lenguas por parte de un hablante. Algunas veces estos procesos obedecen a fenómenos de alcance colectivo (políticas lingüísticas, eventos históricos) y otras veces reflejan un itinerario personal (desplazamientos familiares, elecciones voluntarias). He elegido la metáfora del anfibio porque son aquellos animales cuyo ciclo de vida se desarrolla tanto en un ambiente acuático como en uno terrestre, por lo que pueden vivir dentro del agua – respirando a través de la piel, aunque algunos, como los ajolotes, respiren también por las branquias– o sobre la tierra –respirando por los pulmones y la piel– 2. Sylvia Molloy, escritora plurilingüe nacida y criada en Argentina, de padre irlandés y madre francesa pero radicada en Estados Unidos desde su juventud, en su ensayo Vivir entre lenguas habla de la necesidad de encontrar un punto de apoyo: Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
58 ¿Por qué hablo de mi bilingüismo desde un solo idioma, y por qué he elegido hacerlo desde el español? [...] Quiérase o no, siempre se es bilingüe desde una lengua, aquella en la que uno se aposenta primero, siquiera provisoriamente, aquella en la que uno se reconoce. Esto no significa aquella en la que uno se siente más cómodo, ni tampoco la que uno habla mejor, ni menos la que se usa para la escritura. Hay (es necesario encontrar) un punto de apoyo y desde ese punto se establece la relación con la otra lengua como ausencia [...]. A pesar de que tiene dos lenguas, el bilingüe habla como si siempre le faltara algo, en permanente estado de necesidad. Esta última palabra la traduzco del francés, état de besoin 3. 5 No obstante, más allá de este punto de apoyo necesario, la otra u otras lenguas pueden dominar planos diferentes de la comunicación y de la vida privada. Molloy, en el libro citado, reflexiona sobre la lengua en la que prefiere comunicarse con sus animales domésticos, la lengua en la que sueña y en la que se despierta, e incluso se pregunta cuál será la lengua de la senilidad y en qué lengua morirá. Adrián Bravi, narrador nacido en Buenos Aires que emigró a Italia con veinticuatro años, donde ha transcurrido más de la mitad de su vida, escribe sobre la relación entre los idiomas y los cambios de humor en su ensayo La gelosia delle lingue, es decir, los celos de las lenguas: «mi capita delle volte di rattristarmi in una lingua per poi rallegrarmi nell’altra. E così, saltellando da una lingua all’altra, mi succede di cambiare umore. Non avendo un’infanzia in italiano raramente provo nostalgia in questa lingua» 4. Por su parte, Fabio Morábito, escritor italomexicano nacido en Egipto que creció en Milán y se radicó a los quince años en Ciudad de México, se detiene en la lengua del llanto en El idioma materno, un libro genéricamente inclasificable de ochenta y cuatro textos en prosa que combinan la autobiografía, la autoficción, las memorias: EL IDIOMA MATERNO Es un hueso duro de roer. Cuando se cree que por fin nos liberamos de sus palabras, sus giros sintácticos, sus modismos intraducibles a otros idiomas, y que después de tantos años de hablar, soñar, amar e injuriar en otra lengua, uno se ha emancipado de su atadura, resulta que, al igual que esas calcificaciones de materia marina que se adhieren al cuerpo de las ballenas y que semejan enormes quistes, el viejo idioma no ha desaparecido, sólo se ha replegado en ciertas zonas, una de las cuales, quizá la más resistente, es el llano. No se llora a secas, en abstracto, sino en el seno de una lengua concreta5. 6 Pasar de una lengua a otra significa enfrentarse a un riesgo, escribe Adrián Bravi. No se trata de tener más o menos manejo del idioma anfitrión, sino de estar y de ser en esa lengua, vivirla y transformarla desde su interior. Hay muchos motivos por los que se abandona la lengua materna en la escritura literaria. Bravi enumera una serie de casos (ninguna experiencia de bilingüismo es idéntica): para Joseph Brodsky la elección del inglés fue un modo de acercarse a W. H. Auden y, además, reemplazar el ruso por el inglés fue la alternativa que eligió para señalar la corrupcion del totalitarismo soviético. En cambio, para Samuel Beckett el francés fue una ocasión de adoptar una lengua de gran musicalidad. Otros autores han vivido el exilio y han experimentado el encuentro con otro país como una constricción. Ágota Kristóf consideraba la lengua adquirida, el francés, como una lengua enemiga que había borrado el húngaro de su infancia y Emil Cioran pensaba que el cambio de lengua era un evento catastrófico en la biografía de un autor. Para Bravi, cuando se adopta otra lengua no se sustituye nunca la propia. Por el contrario, es la lengua materna la que se va creando un lugar en la otra, transformando la sintaxis, alterando la fonética o enriqueciendo el imaginario con nuevas historias. Como veremos en los casos que siguen, hay influencias recíprocas que Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
59 impactan a nivel estilístico y fonosimbólico que ofrecen una personalidad a la voz bilingüe/plurilingüe. 2. Fabio Morábito: la lengua como músculo 7 Fabio Morabito nació en Egipto de padres italianos y a los tres años su familia regresó a Italia. Transcurrió su infancia en Milán pero a los quince años se presentó una nueva e importante mudanza, a la vez geográfica y lingüística: se radicó en México, donde vive hasta la actualidad. A pesar de que el italiano es su lengua materna ha escrito toda su obra en español. Es autor de libros de poesía, relatos y novela publicados en editoriales como Tusquets, Anagrama, Visor o Eterna Cadencia. Es traductor de la poesía completa de Eugenio Montale, publicada por Galaxia Gutenberg – Círculo de lectores. En una conversación que mantuvimos en noviembre de 2021 en el marco del ciclo de entrevistas «Poéticas anfibias» el escritor reflexiona sobre la condición bipátrida y la sensación de extranjería: Ahora es más común esta condición apátrida o bipátrida de que uno comparte una patria, nació en otro lado y después se crió en otro; pero en mis tiempos, por los años 1950 (yo nací en 1955), no había todos esos flujos migratorios y por lo tanto era una cosa un poco anómala, entonces yo me sentía italiano, pero un italiano extraño. Lo digo porque creo que influyó también cuando yo me vine a México, cuando sentí que me estaba volviendo definitivamente extranjero. Si ya lo era un poco antes, México, de algún modo, me liberó de ese poquito, de esa dosis, y me hizo por completo extranjero, como una especie de libración tal vez6. 8 Su biografía lingüística ilumina detalles interesantes acerca de los procesos de lectura y de escritura en un poeta bilingüe, demostrando que el nivel de competencia de la comprensión lectora y de la expresión escrita pueden no ser habilidades de eficacia idéntica: yo cuando leo poesía en español y cuando leo poesía en italiano me siento más cómodo leyendo poesía en italiano. Siento que entiendo mejor, me siento mucho más seguro. Ya sabemos que la poesía despierta cierta inseguridad en la lectura, la poesía en sí no siempre es comprensible o sus márgenes de comprensión son muy amplios. Queremos entender lo que nos dice el poeta, pero al mismo tiempo somos conscientes de que entender un poema no es lo mismo que entender una prosa. Y debemos más bien abandonarnos a otro tipo de estímulos sonoros, rítmicos. Pero a pesar de eso, cuando yo leo un poema en italiano me siento en mi casa, y cuando leo un poema español, se prende por ahí una lucecita de alerta, todavía. Y puesto que tengo 66 años supongo que esto va a ser así hasta que me muera. A pesar de eso, escribo poesía en español, yo me siento mucho mejor escribiendo en español, de hecho, ni siquiera intento escribir en italiano. Me sentiría totalmente acartonado, aunque lo pudiera hacer correctamente. 9 La lengua en la que lee y comprende mejor (el italiano) no es aquella en la que escribe mejor (el español). Morábito apela a una metáfora somática –los músculos– para hablar de su relación con la lengua materna en lo que concierne a la escritura y a la autotraducción poética, poniendo de manifiesto lo esencial de entrenar ese músculo para que se mantenga saludable. En las páginas sucesivas veremos que otros autores bilingües entrevistados, al hablar de sus idiomas, también eligen identificarlos con una parte del cuerpo. Morábito relata que se autotradujo una vez al italiano y describe este proceso por analogía la atrofia muscular: Lo hice solo una vez, por juego. Traduje un texto mío de un libro de prosa breve, que se llama «Caja de herramientas», y lo hice solamente para ponerme a prueba. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
60 Una vez que terminé de traducir ese texto, se lo mostré a una amiga italiana que es traductora, que traduce del español al italiano, o sea, a su lengua materna, y me dijo «Pues mira, está muy bien traducido, no hay ningún error. Pero si quieres, ahora yo lo traduzco». Entonces lo tradujo y, por supuesto, su traducción era superior a la mía, pero era superior curiosamente porque era más libre. Curiosamente yo, a pesar de ser el autor de ese texto, no me había tomado las libertades expresivas que ella sí se tomó, y que son aquellas gracias a las cuales podemos realmente traducir. Sin ese mínimo margen de creación y libertad caemos en las traducciones acartonadas y correctas pero no expresivas. Ahí me di cuenta de que el italiano definitivamente había dejado de ser mi lengua materna. O lo era desde el punto de vista meramente anagráfico, de acontecimientos de vida, pero dentro de mí era un músculo en vías de atrofiamiento. Escribí un poema justamente dedicado a esa amiga mía sobre este sentimiento de que tu idioma materno, que uno cree que es eterno, que siempre estuvo ahí y siempre va a estar, en realidad es un huésped. Como todo, en algún momento se puede extinguir. 10 Morábito alude a «Un poema», que le escribe y dedica en la década de los ’80 a su amiga traductora Mariapía Lamberti: Ahora, después de casi veinte años, lo voy sintiendo: como un músculo que se atrofia por falta de ejercicio, o que ya tarda en responder, el italiano en que nací, lloré, crecí dentro del mundo –pero en el que no he amado aún– se evade de mis manos, ya no se adhiere a las paredes como antes, deserta de mis sueños y de mis gestos, se enfría, se suelta a gajos. Y yo, que siempre vi ese vaso lleno, inextinguible, plantado en mí como un gran árbol, como una segunda casa en todas partes, como una certeza [...] Así, si tú te vas, idioma de mi lengua, razón profunda de mis torpezas y mis hallazgos, ¿con qué me quedo? ¿con qué palabras recordaré mi infancia, con qué reconstruiré el camino y sus enigmas? ¿Cómo completaré mi edad?7. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
61 11 No es la única vez que Fabio Morábito usa metáforas orgánicas para hablar del idioma. Un verso de su poemario Delante de un prado una vaca afirma que «escribir abre un segundo estómago/ en la especie» y el yo poético se siente como una vaca «en medio del gran prado del lenguaje»8. El hablante es un organismo y el poeta ve en la lengua una función orgánica, no sólo intelectual. También apela al somatismo en su ensayo El idioma materno, en el capítulo «Venas y arterias», en el que define la capilaridad, un atributo fundamental para garantizar un proceso eficaz de trasvase de la lengua de partida a la lengua meta: La traducción lingüística solo es posible cuando el idioma nativo tiene la suficiente capilaridad como para resistir el impacto de un idioma extraño y absorberlo en su tejido, a través de una red, más o menos amplia de soluciones. Sin esta elasticidad que permite decir una misma cosa de múltiples maneras, ningún idioma puede traducir a otro, pues la verdadera traducción ocurre dentro del propio idioma del traductor y consiste en un primer abanico de soluciones alternativas, a partir de las cuales se seleccionarán aquellas que encajan mejor con lo que se profirió en el idioma extranjero9. 12 Morábito se detiene en la relación que el traductor debe tener con su lengua materna, en la importancia del dominio de distintos registros y soluciones. Durante la entrevista, habla de la necesidad de la doble traducción: Yo doy clase de traducción literaria, traducimos del italiano al español en la carrera de literatura italiana de la Universidad de México. Lo que más cuesta trabajo es que los alumnos entiendan la doble traducción. Es decir, la primera es traducir del idioma del que se traduce, en nuestro caso, del italiano. Y luego, una vez que se tiene esa traducción, traducir dentro del propio idioma. Es decir: convertir la traducción en un texto totalmente nativo. Si es que puede existir un texto totalmente nativo. Para lo cual es importante olvidarse del primer idioma, del idioma del que se traduce, y tratar el propio texto como un texto escrito originalmente, en este caso, en español. Me cuesta trabajo a veces que entiendan que el traductor es un escritor y que tiene que trabajar como tal. El mismo esfuerzo estilístico, de corrección, de ajustes, que hace un escritor cuando corrige y vuelve a ver su texto, es exactamente el mismo trabajo que tiene que hacer un traductor con la primera versión de su traducción. Claro, se trata de encontrar, entre todas las opciones posibles del propio idioma, las que se adaptan mejor al espíritu de lo que se traduce, y en ese sentido sí creo que el concepto de capilaridad puede ser útil. Es un concepto digestivo: cuando comemos no es que la comida se vaya a una especie de cajoncito y ahí se guarde, sino que justamente se dispersa por nuestro organismo a través de un proceso muy lento y sólo así puede ser realmente asimilable. Lo mismo pasa con la lengua. 13 Un estilema de la poética de Morábito es la relación entre la materia líquida y la migración, el estar entre-culturas y entre-lenguas, la fluidez y el movimiento dialéctico y sintético entre lo diferente. En el libro Alguien de lava (2002) afirma que escribir es como recoger agua: «puesto que escribo en una lengua/ que aprendí,/ tengo que despertar/ cuando otros duermen./ Escribo como quien recoge agua» 10. Esta es la respuesta de Fabio Morábito a la pregunta por la presencia del agua en su obra: Ahora que tú lo mencionas, yo no lo había pensado, tal vez a todos aquellos que compartimos distintas culturas de algún modo el agua viene siendo como el símbolo de nuestra permanencia más real porque el agua fluye todo el tiempo. Esta consciencia de fluir es inseparable en aquellos que compartimos culturas e idiomas diferentes. Esta sensación de que tal vez arraigar sea real, de que podemos hacerlo de verdad. [...] El sentimiento de ajenidad nunca nos abandona, entonces quizás emigrar a otro país, a otra lengua, es solamente una forma más radical de algo que es un sentimiento universal. Es el sentimiento de que estamos solos y que todo Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
62 aquello que nos rodea nos puede parecer entrañable, cercano, pero finalmente es algo que está separado y que nunca entenderemos del todo. En ese sentido, yo pienso que escribir, más allá de si uno escribió o no en su lengua materna, siempre es escribir en una lengua extranjera, porque la lengua literaria es una lengua que nos cambia por completo. Cuando uno decide escribir, y escribe en serio, no solamente así por capricho, se da cuenta de que él mismo se transforma. 3. Josep M. Rodríguez: escuela, elección lingüística y amputación 14 Josep María Rodríguez nace en Súria en 1976. Poeta y ensayista catalán de expresión castellana, a pesar de haber consolidado su trayectoria en esta lengua ha publicado un poemario temprano en catalán e inserta poemas catalanes en libros castellanos. También desarrolla una importante labor como editor dirigiendo tres colecciones de poesía en catalán para el sello editorial Milenio, que ha publicado recientemente a Antònia Vicens, a Dolors Miquel y a Antón García, este último autor en lengua asturiana traducido al catalán. Su biografía lingüística confirma muchas informaciones relevantes para este estudio. Una es la importancia del origen familiar en la elección de la lengua literaria: en su núcleo familiar, su madre pertenece a la segunda generación de inmigrantes provenientes de Andalucía y su padre a la primera generación emigrada desde Galicia. En su núcleo familiar primigenio se ha hablado siempre en castellano, mientras con las demás personas de su círculo afectivo íntimo e inmediato habla en catalán: sus mejores amigos, su pareja, su hijo. 15 El segundo dato significativo de su biografía lingüística es la confirmación de que la escuela cumple una labor insustituible en la elección de una lengua de expresión literaria. El acceso a su enseñanza reglada favorece la producción de una literatura en esa lengua, de modo que dejarla fuera del currículo desincentiva su elección como idioma literario. Antonio Jiménez Millán, en su magnífico estudio Poetas catalanes contemporáneos (2019), da un ejemplo claro y gráfico: Gabriel Ferrater había nacido en 1922 y Jaime Gil de Biedma en 1929, esto había condicionado no sólo la diferencia de formación escolar sino también las opciones de escoger el castellano o el catalán como lengua literaria: Jaime Gil era un niño de la guerra, Gabriel Ferrater un adolescente de la República. Volviendo a nuestro informante, Josep M. Rodríguez nació en 1976 y fue un niño y adolescente de la democracia. Se formó en la escuela donde el catalán no era ya una lengua prohibida. Para él fue fundamental asistir en el Instituto a talleres de escritura de canciones en ambas lenguas: castellano y en catalán, prácticamente sin distinción. Así, muy temprano, empieza a entrenarse en escribir letras en las dos. No sorprende que sus primeros dos libros, que se publican simultáneamente en el mismo año 1998, fueran uno castellano y otro en catalán: tenía las herramientas para expresarse cómodamente en ambos códigos. Por distintos motivos (el idioma hablado en su casa, una serie de conversaciones mantenidas con Luis Antonio de Villena, conocer al editor valenciano Manuel Borrás, codirector de Pre-Textos) su lengua de expresión literaria siguió la senda del español, aunque publicando esporádicamente poemas catalanes que a veces inserta en libros castellanos, como sucede con «Història natural» incluido en su poemario Sangre seca (2017). En la conversación que mantuve con él dentro del ciclo udinese precisa detalles acerca del peso de la escuela en su formación de escritor: Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
63 JMR. En mi casa nadie me enseñó a escribir en catalán. Entonces en algún sitio tuve que aprender a escribir en catalán. Después de que aprendí en la escuela, todos los conocimientos que tengo teóricos en catalán los aprendí, los he aprendido en la escuela o los he tenido que aprender por mí mismo al leer. En el instituto participaba en dos grupos musicales: uno en catalán y otro en castellano. En ese momento, en uno de los grupos desaparece el cantante que era el compositor, y nadie quería escribir las letras, y entonces me dicen «tú que lees tanto, hazlo tú». Y entonces yo empecé escribiendo letras de canciones. MMP. ¿En que lenguas escribías estas canciones? JMR. En las dos. [...] Llego a la universidad y me junto con una serie de poetas, aprendices de poetas, estudiantes con motivaciones, etcétera, y entonces escribo y publico en el 1998 este librito de las Deudas del viajero, pero es que ese mismo año gano el premio de la universidad de poesía con dos libros, uno en castellano y uno en catalán, y en ese momento, en una conversación (tuve varias conversaciones al respecto) fue Luis Antonio de Villena quien me dijo algo así como «da igual la lengua en la que escribas, pero tienes que escoger una». Yo lo entendí como que conquistar una tradición es subir una montaña y no se puede estar subiendo dos montañas a la vez, porque estás bajando y subiendo, bajando y subiendo, bajando y subiendo. Pues en ese momento tienes que decidir. Yo había estado en la feria del libro de Madrid y me habían presentado a Manuel Borrás, que me propuso publicarme en castellano11. 16 A continuación transcribo un poema de Sangre seca, libro que obtuvo el XXIV Premio de Poesía Ciudad de Córdoba «Ricardo Molina» y se publicó con epílogo de Joan Margarit, quien así define la divisa poética de Josep M. Rodríguez: «oscuro el corazón y el verso claro»12. El libro contiene 32 poemas, uno de los cuales está escrito en catalán en las páginas pares con su traducción al castellano, en las impares. También Rodríguez apela a las metáforas somáticas para nombrar la lengua y elige el corazón: el yo poético es como los pulpos, que tienen más de un corazón, y como el poeta latino Quinto Ennio, quien se vanagloriaba de tener tres corazones por cada una de las lenguas que conocía, latín, griego y osco. HISTÒRIA NATURAL A la llotja, exposades, les formes de la mort: les caixes amb les tímides cloïsses, els llenguados 2D o els raps, amb unes dents sortides d’un malson infantil... Fa temps que vaig llegir que els pops tenen tres cors. De Quint Enni també es deia el mateix, un per a cada una de les llengües que li van ensenyar. A casa meva en vaig aprendre dues: la llengua de la mare i la llengua del pare. Ara la casa és buida i jo Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
64 sóc com un pop que ja ha perdut dos cors. Només me’n queda un. I no l’ensenyo. Potser ho faré qui sap, quan m’exhibeixin dins la meva caixa13. 17 El corazón, centro vital, aparece en plural: uno por la lengua de su padre y otro por la lengua de su madre. Durante nuestra conversación me confirma que el poema fue escrito originalmente en catalán, habla del bilingüismo y lo define. Durante la entrevista, además del corazón, homologa las lenguas con los ojos y apela al acto impactante de la amputación para ilustrar el efecto que en él tendría la renuncia a alguna de sus dos lenguas: Si me dicen tienes que renunciar a una de tus dos lenguas es como si me dijeran que tengo que renunciar a una forma de mirar el mundo, es para mí como perder un ojo. Recuerdo que en una clase en la universidad, cuando hacía el doctorado, una profesora invitada comentaba que en una lengua nórdica no se dice sentarse a la mesa porque como hace tanto frío tienes que ir detrás, donde está también la estufa, entonces te sientas detrás de la mesa para alejarte de la puerta, que es por donde entra el frío. Una lengua es una forma de entender el mundo, entonces renunciar a una de ellas me parecería una amputación. 4. Vanna Andreini: las lenguas hermanas 18 La poeta Vanna Andreini es véneta, nació en Padua, aunque es de familia toscana. A los quince años emigró a Buenos Aires donde reside desde entonces, desde hace treinta y cinco años. Licenciada en Letras por la Universidad de Buenos Aires, traductora y profesora de italiano, formó parte durante muchos años del cuerpo docente del Máster en Relaciones Internacionales Europa–América Latina del Centro de Altros Estudios de la Università di Bologna (la representación en la República Argentina). Publicó los poemarios bruciate/quemadas (1998), Monterinc (2003), Sirenas en la cama (2008) Salud Familiar (2015) y Fatebenefratelli (2020). Ya desde su primer libro bruciate/quemadas –en minúscula y con título bilingüe– combina ambos códigos: «grita/el viento en el parque/ Amor ch’a nulla amato amor perdona»14 donde se cita parte la declaración de Paolo a Francesca, específicamente el verso 103 del Canto V del Infierno de la Divina Comedia dantesca. Durante la conversación que mantuvimos en el marco de «Poéticas anfibias» resume su biografía lingüística diciendo que con su padre y con sus hermanas siempre habla en italiano, aun viviendo en Argentina. Esto explica que en muchos de sus poemas se verifique el cambio de código del castellano al italiano en frases rutinarias o fórmulas fijas que pertenecen al registro coloquial del ámbito doméstico o familiar. Por ejemplo, en Salud familiar, la frase de condolencias «riposa in pace» se inserta en italiano. Salud familiar, me explica la autora, es un libro que tematiza la muerte de una de sus abuelas y de todos los muertos de su familia, que están en Italia. Este libro es para ella «el altar de mis muertos»15. 19 Su último libro, Fatebenefratelli, lleva un título que remite al nombre del hospital romano que funciona en la Isla Tiberina, lugar del antiguo templo dedicado a Esculapio. Se trata de un título bisémico que insta a la actitud de hacer el bien («Fate bene fratelli», en imperativo y separado, significa «haced el bien, hermanos»). El libro es inaugurado por el epígrafe de San Giovanni di Dio «Fate bene fratelli a voi stessi per Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
65 amore di Dio» y se trata de una obra de gran organicidad que despliega la idea de hermandad entre lenguas, específicamente entre el italiano y el español. A veces estas lenguas son identificadas con las figuras bíblicas de los hermanos fundacionales, Caín y Abel, que asumen roles intercambiables, sin maniqueísmos. Se trata de un planteamiento innovador porque Andreini elude la nomenclatura de la maternidad de un idioma. Ella prefiere hablar de hermandad, de lenguas siamesas, rompiendo así las jerarquías temporales y espaciales en la construcción de su identidad lingüística. «Soy siamesa en la lengua» dice un verso de este libro. Las lenguas siamesas están «pegadas/ comparten flujos sanguíneos»16, es decir, siguen unidas a través del cordón umbilical. A la pregunta por esta particularidad, Vanna Andreini me responde: Vi una película hermosa de Edoardo de Angelis que se llama Indivisibili. La cuestión de los hermanos siameses es siempre muy interesante. Y es muy hermosa la relación de las dos protagonistas, que están juntas desde siempre pero al mismo tiempo tienen el impulso de separarse. Pero separarse es también un desgarro impresionante. Mientras la miraba pensaba en los idiomas que me habitan, pensaba en mis lenguas maternas que quieren estar juntas y separadas: hay momentos en que una predomina por sobre la otra, como esta relación en la que una quiere ir por un lado y la otra no. Pienso que debe ser así la vida de las siamesas. No siento una lengua materna que sobresalga. 20 Andreini prefiere hablar de lenguas maternas en plural y manifiesta una ruptura de jerarquías. No distingue entre materna y adquirida, o primera y segunda lengua, o lengua de cultura y alfabetización. Sin embargo, su libro tematiza esta convivencia armónica pero con alternancias, altibajos y esferas diferenciadas. Por ejemplo, le reserva la capacidad del insulto –el lenguaje malsonante– al italiano de su infancia: El italiano sotterato saca sus manos esqueléticas de abajo de la tierra cuando mi inestabilidad mi dolor o mi rabia alcanzan las yemas de mis dedos non sono bestemmie puerili per casi comuni es el río rompiendo el cauce che straripa portando via con sé la decencia contenida en el español aprendido17. 21 Vemos aquí el cambio de código sin marcas que segmenten las fronteras entre ambos idiomas, procedimiento que se verifica en todos sus poemarios. Mientras el español es «decente» y sujeto a control por el hablante, el italiano es instintivo y canaliza la blasfemia, vehicula los estados de ánimo extremos, los cambios de humor, el dolor y el enfado. Andreini elabora una notable analogía –un hallazgo creativo– entre sus lenguas hermanas y el juego de construcción conocido como lego. Los intercambios entre lenguas son un juego cooperativo, filial y fraterno, y las piezas de encastre o ladrillos son las palabras que se van prestando una a la otra: Hermana: [...] jugamos con los legos de la hermandad Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
66 piezas de colores que se mueven según el día según me prestes o no18. 22 Como fue señalado con anterioridad, hay determinadas zonas discursivas ligadas a la infancia que irrumpen en el poema en italiano. Así sucede con las canciones para niños (las filastrocche). Los poemas son cunas donde se mecen las hermanas: Italiano español o español italiano ahora aquí en este poema los recuerdos desembarcan saltan del bote pisan la orilla en el español ahora este poema es una cuna nueva [...] como Caín sin casa sin patria en la luna che fa le frittelle19. 23 Los espacios familiares y domésticos primigenios, originarios, deben ser nombrados en italiano insertados dentro del marco colector del castellano, como sucede en este poema donde se evoca la sala de estar de la abuela Pia: Dormíamos juntas nel salottino verde della nonna Pia refaccionado sin signos de nuestra presencia nueva entre muebles permanentes arriba lo inhabitado las cajoneras olvidadas la ropa vieja20. 24 Andreini cita una apreciación de Sylvia Molloy acerca de las lenguas que se infectan como los colores: también en la escritura la elección de un idioma automáticamente significa el afantasmamiento del otro pero nunca su desaparición, puesto que «la ausencia de lo que se ha postergado continúa obrando, oscuramente, en lo escrito, y lo percude. O mejor, lo infecta, como dice Jacques Hassoun, usando el término como se usa en pintura cuando un color se insinúa en otro: Nous sommes tous des ‘infectés’ de la langue»21. 5. Gigliola Zecchin: un tributo a la lengua materna 25 Canela –nombre artístico de Gigliola Zecchin– es una escritora y periodista cultural nacida en Vicenza que en 1952 emigró con su familia a la Argentina, donde reside hasta hoy. Estudió Castellano y Letras Modernas en Córdoba, donde inició su tarea como Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
67 comunicadora. La dictadura de Onganía la obligó a interrumpir sus estudios. Sus libros Marisa que borra y La silla de Imaginar fueron distinguidos por el «White Ravens». En 2008, in movimiento resultó finalista en el Premio Internacional de poesía «Olga Orozco». Sus relatos y poemas integran antologías de Argentina, Latinoamérica e Italia. En 2007 fue declarada personalidad destacada de la cultura por la Legislatura de Buenos Aires. 26 En la poesía de Gigliola Zecchin existe una tensión tácita entre palabra y silencio. La ecuación es: cuanto menos se dice, más se comunica. Esta dinámica se sustenta en un uso peculiar de los espacios tipográficos, en la disposición de las palabras, el empleo de la puntuación y la coexistencia de la lengua adquirida –la lengua de cultura o de alfabetización– con la lengua materna. Su idiolecto poético es una construcción indisociable de su biografía atravesada por la temprana emigración de Italia a la Argentina22. 27 En una entrevista con Juan Páez para la revista Cuadernos del Hipogrifo (Roma, 2016) titulada «Mudar de lengua, cambiar de nombre: Entrevista a Gigliola Zecchin, Canela» la escritora reflexiona sobre la falta de equivalencias interlingüísticas perfectas para ciertas palabras o giros con una alta carga emotiva, situación que la empuja necesariamente al préstamo: JP: ¿Todavía hay palabras que solo puedas decirlas en italiano? ¿Cuál es la sensación cuando esas palabras aparecen? GZ: [...] Siempre tuve que recurrir a las palabras de mi lengua madre en algún momento. La palabra represión, por ejemplo, nunca me salía, descubrí que en italiano no tiene traducción… Se usan distintos términos que la definen pero nunca directamente como nosotros aquí… A la inversa, sfollata (el separarse de las familias en la guerra por razones de supervivencia) no existe en castellano 23. 28 Como Canela publicó un importante número de libros para chicos, pero sus poemarios están firmados por su nombre anagráfico, Gigliola Zecchin. Los tres primeros llevan un título en italiano: Paese (2001), arte povera (2006) e in movimento (2008), estos dos últimos con inicial minúscula. El bilingüismo asoma desde el principio: los tres títulos se conciben en italiano pero los tres libros están escritos en español aunque se incorporen préstamos y citas esparcidas en lengua materna que funcionan como breves cortocircuitos interlingüísticos (cambios de código) y aportan una atmósfera de extrañamiento a nivel del sonido y del sentido que enriquece estilísticamente el conjunto. Sus últimos poemarios son 17 haikus venecianos para Adolfo Nigro (2012), Qué sueño es este (2019) y La mejor herida (2020), todos ellos recopilados en 2021 por Ediciones en Danza de Buenos Aires con el título Poesía reunida 2020-2000. 29 El título de una obra es un dato relevante porque constituye la primera información que se ofrece al lector, conservando siempre una dosis de ambigüedad. Estudios pioneros de Claude Duchet (1973), Leo H. Hoek (1981), Gérard Genette (1987) y Umberto Eco (1980) se han concentrado en la relevancia de este paratexto. Se trata de una clave interpretativa que suscita curiosidad aunque no la agote y está situado entre la información y la seducción, proponiendo al destinatario un enigma a ser interpretado. Es autónomo por posición, tipografía, estructura sintáctica, semántica y de funcionamiento, pero a la vez dependiente de su referente primario, el texto. En la conversación que mantuvimos en diciembre del año pasado le pregunté por la particularidad de sus títulos italianos en libros castellanos: MMP. ¿Que es lo que te lleva a titular en italiano libros escritos en español? Y no solamente libros, sino también poemas, porque hay varios poemas como Eredità, por ejemplo, que están escritos enteramente en español pero que necesitan tener su Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
68 título en italiano. ¿Por qué? GZ. Es un tributo, un gracias que quiero decir en mi lengua materna. Luego, como vos bien indagás, está la lengua de la cultura, que muchas veces es una urdimbre de las dos lenguas, porque yo aprendí a leer y escribir en italiano y luego aprendí a escribir en castellano. Fue la lectura la que me llevó a la plena comprensión del castellano, al uso del castellano. Hay cosas que pienso en italiano. Desde hace unos días, desde que sé que voy a encontrarme con vos, contigo, no sé por qué pero me aparecen pensamientos poéticos en italiano: no lo puedo evitar. Y hay cosas que, dichas en italiano, me sostienen el corazón, aun en pensamientos duros, difíciles. Esta mañana me desperté con un poema en italiano pero no lo escribí porque me tenía que poner linda para este encuentro24. 30 Entre los autores entrevistados, las razones que subyacen a la titulística poética son distintas. Mientras para Gigliola colocar un título en italiano a un poema en castellano es un tributo a su lengua materna, para Josep. M. Rodríguez este tipo de intervención bilingüe en un poema suyo no es viable. En la entrevista mantenida en noviembre de 2021 le comento el caso de Zecchin y me responde: «Yo no le podría ponerle un título catalán a un poema en castellano, además no sé si estaría bien visto. Tampoco un título castellano a un libro catalán». Esta declaración refleja una diferencia que existe entre el bilingüismo endógeno y el exógeno, puesto que las cuestiones de susceptibilidad ligadas al respeto del espacio propio de cada lengua, sin incursiones que puedan ser interpretadas como invasivas de uno idioma en otro, son más evidentes en el bilingüismo endógeno. En el exógeno, en cambio, una operación de mezcla entre título y texto como la señalada puede deberse a la voluntad de rendir tributo, a una forma de agradecimiento. 31 Volviendo a la poética de Zecchin, ya en el primer título de la trilogía poética temprana, Paese, asistimos al despojamiento de ornamentos, a una poesía liberada de signos de puntuación. La escritura se desnuda de marcas y se convierte en un «arte povera» en lo que concierne a la tipografía. Los versos capturan instantáneas del paisaje véneto, de la Segunda Guerra Mundial, de la Italia fascista con sus «camicie nere» (esta metonimia identifica la prenda de vestir con las milicias fascistas) y sus manoplas de hierro, hay mujeres con banderas y estampas de soldados así como retazos de historias sobre los desplazamientos de las personas de la ciudad al campo durante los bombardeos de la guerra. Numerosos juegos fonéticos conceptistas operan en los versos de Zecchin, por ejemplo, las paranomasias partir / parir, donde se identifica la emigración con el dolor de un parto que a su vez traerá una nueva vida, o palabras que son falsos cognados: la palabra «cerca», que en español es un vallado o tapia, en italiano es un verbo conjugado que significa «busca». En la poesía de Zecchin un universo polisémico se activa cuando ambas lenguas se ponen a dialogar. 32 Su segundo poemario, arte povera, continúa las exploraciones del primero, con variaciones y nuevas aportaciones. Se acentúa el papel amenazante de la memoria del exiliado. Aparecen voces italianas de marineros y mujeres, fragmentos de cantos de la madre en italiano, cuerpos violentados por el hambre, la presencia de los niños en el marco de las batallas. Gigliola Zecchin había abandonado Italia huyendo de la Posguerra, como afirma en una entrevista: su familia buscó «abandonar el pánico» que la guerra les había metido dentro, la memoria del ocultamiento en los sótanos por los bombardeos. Es decir: el recuerdo de la guerra y del hambre los empuja a partir en 1952 pero ya no se trata de la amenaza real sino de la amenaza del recuerdo. Las palabras del miedo (acompañadas del grito) deben ser necesariamente pronunciadas en italiano, como afirma en la entrevista udinese: Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
69 [...] las palabras que no aparecen son las palabras del miedo, que están ahí escondidas, como agazapadas. Yo he tratado, con la palabra sfollata, de imaginar una flor que se deshoja y, aunque no lo creas, cuando veo una rosa, que es la que mas evidentemente y armónicamente se deshoja, inmediatamente aparece lo sfollamento de mi familia. O sea, eso está profundamente radicado en mi memoria. Eso sí, no se me va. [...] A la inversa, en italiano, no me sale cómo se llamaban los campesinos y los ciudadanos que se escondían para luchar contra el ejército. ¿Como se dice? partigiani! La palabra partigiano no me sale porque ser partigiano era muy peligroso. No había partigianos en mi casa porque éramos hoteleros, no podíamos dejar de ejercer el oficio, porque no se permitía el cierre de los bares y de los restaurantes porque los soldados necesitaban bares y restaurantes. Hubo mucha guerra en mi ciudad, en Vicenza, donde nací. [...] me resulta triste decirlo pero me cuesta mucho amar a Vicenza porque tengo el registro de la Vicenza destruida, de la Vicenza amenazante por la presencia de los invasores –en ese momento eran los invasores alemanes, que para nosotros serán siempre invasores– y la memoria de una infancia con muy poca comida y con muchísimo silencio: no se podía gritar, no podíamos quejarnos. Nos acostumbramos a essere miti, como se dice en italiano. A no molestar, a no ser un problema. [...] Entonces mi hermana adolescente se iba bajo el puente por donde pasaba el tren y, cuando pasaba el tren, gritaba, porque era la única oportunidad que tenía para gritar. Eso yo lo tengo registrado. A mí me asustaba muchísimo verla gritar. No entendía por qué gritaba, ni me lo podía explicar, pero yo era parte del grito. 33 Existen, en la poesía de Zecchin, tres mecanismos de composición bilingüe: poemas con título y cuerpo en español, poemas con título en italiano y cuerpo en español, y poemas con cambio de código. Por ejemplo, en su tercer libro, in movimento, encontramos el poema «finestra chiusa», con título también en minúscula. Aquí sólo aparece el título en italiano pero el texto es enteramente castellano. Distinto es el caso de «vigilia» (una palabra que se escribe igual y significa lo mismo en ambas lenguas), del que transcribo unos versos: los ácaros de la almohada provocan alucinaciones mi vedo in bianco e nero accanto a lui [...]25. 34 Concluyo este breve apartado sobre la poética bilingüe de Zecchin con una reflexión suya sobre la traducción como proceso creativo individual que presenta alguna similitud con el concepto de capilaridad expresado por Fabio Morábito. Esta reflexión fue incluida en el volumen 5 poetas italianos. Traducción y conversaciones (2005) que nació de una actividad coordinada por Antonio Melis, profesor de la Università degli Studi di Siena, y Elena Bossi, docente de la Universidad Nacional de Jujuy, en la que participaron poetas argentinos e italianos junto a sus traductores para reflexionar sobre el proceso de traducción. Zecchin afirma que el traductor, cualquiera sea la suma de su experiencia técnica y la posición teórica e ideológica respecto de su trabajo, no podrá eludir el uso personal de la lengua, su jardín secreto, en palabras de André Malraux. De acuerdo con esta metáfora, dice Zecchin, es posible imaginar la circulación de la vida, la hojarasca, el humus, las espinas a través de la(s) lengua(s), de modo que «cada texto impondrá al traductor una postura reflexiva frente a las palabras en las que intervendrán tanto sus saberes teóricos como su uso personal de la lengua» 26. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
70 6. Yolanda Castaño: la fidelidad de la autotraducción 35 Yolanda Castaño nació en Santiago de Compostela. Desde hace más de veinte años publica sus poemarios primero en gallego, luego ve la luz la edición castellana, con su traducción. Sus poemarios le han valido galardones como el Premio de la Crítica, el Espiral Mayor, el Ojo crítico y el Nova Caixa Galicia. Activa dinamizadora cultural, desde 2009 dirige varios proyectos estables, siempre con poetas gallegos e internacionales. Su último libro es Materia, publicado en junio de 2022 por Edicións Xerais de Galicia, todavía sin versión en español. En la entrevista que le hice el año pasado me concentré en su poemario A segunda língua / La segunda lengua, publicado por PEN Clube de Galicia en 2014 y luego en edición bilingüe por Visor. La segunda lengua es un título inteligentemente ambiguo: si lo interpretamos desde el punto de vista de la biografía lingüística de la autora, la segunda lengua –por no materna– sería el castellano. Pero si lo enfocamos desde el punto de vista del posicionamiento del gallego como lengua cooficial, y de las políticas culturales y lingüísticas de difusión a nivel nacional, entonces el título encierra una ironía amarga. «Segunda lengua» podría ser asociada a la locución adjetiva coloquial «de segunda», que para el diccionario significa algo de poca categoría, calidad o importancia. Este sentido se ve refrendado por el tono crítico del poemario respecto de la posición periférica del idioma gallego en la Península. 36 Por otra parte, es frecuente, en este libro, la mención a idiomas diferentes (algunos no ibéricos) como estrategia de descripción, por oposición, del gallego. Como si el gallego se definiera por la diferencia –por lo que no es y por lo que no quiere ser–, incluidos aquellos rasgos articulatorios, fonéticos, semánticos o de cosmovisión que no comparte con otros idiomas. Por ejemplo, en este pasaje de «La palabra Galicia»: A PALABRA GALICIA Para contarche de onde veño ténoche que sacar a lingua. Ónde se viu que o lume lamba as follas, lamba a cortiza, lamba a raíz e lamba un pouco de todo sen apenas entreabrir os labios. Hai pobos tan educados Que nunca ensinan a lingua [...] 27. 37 El enunciador poético afirma que para poder explicar su lugar de proveniencia tendría que sacar la lengua, de este modo juega con dos significados: con los puntos articulatorios de las consonantes en la lengua gallega (que obligan a mostrar la lengua más de lo que sucede en otros idiomas) y con la idea de burla, de desenfado. Jocosamente relaciona este atributo sonoro con la falta de educación: hay pueblos tan educados que nunca enseñan la lengua. Nuevamente el lenguaje oral o escrito adquiere una doble valencia, una calidad bisémica, en el poema «Traducción»: se hace alusión a un interlocutor árabe (esto se deduce del uso del vocablo habibti) y nuevamente define al gallego en relación con el árabe. El árabe se escribe de derecha a izquierda, y aunque el gallego se escribe de izquierda a derecha, de todos modos ambas lenguas tienen un elemento en común: En todo caso, en todas partes, nosotros escribimos hacia el margen y otros hacia el centro28. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
71 38 Naturalmente la empatía e identificación con la escritura en árabe le sirve para denunciar la posición secundaria o periférica del gallego, su condición de escritura en los márgenes, alejada del centro. 39 En lo que concierne a su bilingüismo, al preguntarle a Yolanda Castaño sobre su biografía lingüística confirmo la precocidad de su doble dominio. Su familia, gallega por ramas paterna y materna por generaciones, explica su elección del gallego como lengua de expresión y como lengua materna, por la fuerte presencia en la esfera familiar y en el entorno rural en el que estuvo inmensa desde pequeña: Nací y crecí en la capital de Galicia, en Santiago, por lo tanto en un entorno urbano, pero mi mamá y mi abuela son gallegas, soy santiaguesa compostelana de tercera generación de las que no abundan. Mi papá, en cambio, viene de una zona rural, de una aldea, un lugar pequeñito cerca de Noia, en una de las rías que componen nuestra atractiva costa. Tanto por la familia materna como por la paterna crecí ligada a la aldea. Explico esto porque en el contexto rural se hablaba y se habla más gallego, mientras que en las ciudades la presencia del castellano es potente. De esta manera crecí en contacto con dos lenguas, quizá un poco más con la lengua castellana desde casa y desde el colegio (desde mi formación), pero siempre teniendo presente, estando ahí, esa presencia fuerte del gallego 29. 40 Considerando esta fuerte inmersión en el doble código no es extraño que la escritora se autotraduzca al castellano. Durante nuestra conversación me concentro en este aspecto, para conocer cómo concibe el proceso autotraductivo: MMP. Quería preguntarte por tu proceso de autotraducción. ¿Buscas más equivalencias perfectas, fidelidad a la lengua original, o te das el permiso para ampliar, expandir, modificar, adaptar el texto? ¿Cómo es este proceso? YC. Yo creo que para dar una respuesta honesta y con sentido debo remontarme precisamente al propio proceso de creación. El texto se va construyendo en mi cabeza, antes de lanzarme al papel necesito tener una idea del poema, una idea de las imágenes, versos, construcciones lingüísticas. Y una vez que las escribo ya quedan como muy sólidas, muy consolidadas y las concibo tan así que me cuesta cambiarlo. Quizá en eso influya el hecho de que cuando me autotraduzco, de algún modo siento que debo ser muy literal con la versión original e intentar aproximarme lo más posible a su música. También es cierto que me lo permite la cercanía entre las dos lenguas y mi decente dominio de ambas. Esto me permite, quizá, intentar una mayor proximidad. Trato de no hacer grandes innovaciones. Yo creo que abordo la traducción como un ejercicio creativo, así que ocupándome yo misma de la traducción me responsabilizo de los errores que pueda cometer. Pero bueno, también los aciertos quedan en casa, no deja de ser otro poema mío, con sus aciertos y errores incido en el mismo ejercicio creativo. 41 En sus palabras resuena la idea de responsabilidad creativa, de control autoral y de aproximación entre versión original y traducción. Yolanda Castaño intenta evitar la autonomía entre ambos poemas, no construir sentidos muy diferentes y distanciarse lo menos posible del texto de partida. Señala Maria Alice Antúnes que el movimiento de aproximación demuestra el trabajo del traductor intentando mantenerse fiel a un texto de partida «eligiendo ítems lexicales que promueven la construcción de sentidos parecidos a aquellos activados por las pistas impresas en el texto original» 30. Señalo aquí el posicionamiento frente a la autotraducción de dos autores catalanes para ilustrar cuán personal es el proceso de autotraducción endógena. La poeta catalana Mireia Vidal-Conte (Barcelona, 1970), en un correo electrónico responde a mi pregunta sobre los motivos para autotraducirse explicando que: «lo hago por muchos motivos, pero quizás los más importantes son: por un lado, porque sé exactamente qué quiero decir y cómo. Y, por el otro, porque cuando me ha traducido según quién (del catalán al Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
72 castellano) no he quedado del todo satisfecha»31. Como Castaño, también Vidal-Conte persigue la fidelidad, la aproximación entre ambos poemas, y prefiere tener el control de este proceso. Caso ligeramente distinto es el de Joan Margarit, quien opta por la autonomía autotraductiva: «No me preocupan las diferencias entre los dos poemas resultantes: tienen un origen común y buscan ser dos buenos poemas. A pesar de todo, no pienso –y aquí está el libro para confirmarlo o negarlo– que haya demasiada distancia entre ellos»32. 7. Conclusiones parciales de una investigación en curso 42 El análisis de las biografías lingüísticas y del corpus –reducido pero significativo– de poemas de los cinco autores estudiados nos ha permitido recabar algunas informaciones ligadas al desempeño del escritor bilingüe de poesía. 43 En primer lugar, hemos intentado echar luz sobre las decisiones ambientales y personales que motivan la elección de la lengua de expresión literaria e indagar si esta coincide o no con la materna (en los casos de Morábito, Andreini y Zecchin no coincide, en el de Castaño sí). En segundo lugar, hemos investigado si los autores eligen autotraducirse (Castaño y Rodríguez sí, con autotraducción vertical) o delegan esta tarea en otro traductor, y por qué lo hacen (Morábito ha explicado sus motivos para desconfiar de la autotraducción horizontal). También hemos analizado cuál es el posicionamiento autotraductivo respecto de los movimientos de autonomía y aproximación o fidelidad entre ambas versiones. 44 Por otra parte, hemos mostrado, aunque lateralmente, cuáles son las decisiones editoriales en caso de que exista autotraducción: si hay o no simultaneidad de publicación, es decir, si la versión en la lengua original se publica en el mismo momento de la segunda lengua, o no. 45 Hemos podido constatar, en estos testimonios, el rol fundamental de la educación reglada (Rodríguez, Zecchin), la comunicación familiar (Andreini, Castaño) y la inmersión contextual (Morábito) para afianzar competencias de escritura y de comprensión lectora. 46 Una conclusión significativa de este estudio es que los escritores bilingües acuñan metáforas somáticas para explicar su propio bilingüismo: músculos, corazones, ojos, cordón umbilical, estómagos, quistes y lengua (en el sentido de órgano bucal), como si las destrezas lingüísticas fueran a la vez funciones físicas y vitales, imprescindibles para la supervivencia del hablante-organismo. 47 Sostienen Dolors Poch y Jordi Julià que el escritor bilingüe que crea su obra en un contexto de contacto de lenguas, así como el traductor o el autor que vierte en otro idioma su obra, no hace otra cosa –consciente o inconscientemente– que escribir con dos voces. Siempre tiene, como mínimo, dos vocablos que conoce bien para expresar aquello que percibe, aquello que siente, y la conceptualización de la realidad a menudo va a verse condicionada o modificada por la existencia de otro término, otra voz (en el sentido de palabra, o vocablo) para formalizar lingüísticamente una idea o un contenido de la imaginación perteneciente a otra lengua. Concluyen que «quizá la particularidad de su escritura se deba a esta riqueza idiomática» 33. Las circunstancias tan íntimas e irrepetibles por las que cada autor transita su bilingüismo –y hemos visto Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
73 aquí algunos ejemplos– contribuyen a consolidar un idiolecto anfibio y una obra estéticamente atractiva, diferenciada y singular. BIBLIOGRAFÍA ACCAME, Jorge; ANDRUETTO, María Teresa; BAREI, Silvia; BOSSI, Elena; CASASCO, Guillermina; CONTA, Edwin; DORRA, Raúl; ZECCHIN, Gigliola. 5 poetas italianos. Traducción y conversaciones. Córdoba: Alción Editora, 2005. ANDREINI, Vanna. bruciate/quemadas. Buenos Aires: Siesta, 1998. ANDREINI, Vanna. Furias. Buenos Aires: Belleza y felicidad, 2003. ANDREINI, Vanna. Monsterinc. Buenos Aires: Ediciones Vox, 2004. ANDREINI, Vanna. Fatebenefratelli. Buenos Aires: Barnacle, 2020. ANTUNES, Maria Alice. «Autotraducción: el caso de João Ubaldo Ribeiro». En DASILVA, Xosé Manuel; TANQUEIRO, Helena (eds.). Aproximaciones a la autotraducción. Vigo: Editorial Academia del Hispanismo, 2011, p. 11-22. BRAVI, Adrián. La gelosia delle lingue. Macerata: Edizioni Università di Macerata, 2017. CASTAÑO, Yolanda. La segunda lengua. Madrid: Visor, 2014. CASTRO, Olga. «Apropiación cultural en las traducciones de una obra (autotraducida): La proyección exterior de Herba moura de Teresa Moure». En DASILVA, Xosé Manuel; TANQUEIRO, Helena (eds.). Aproximaciones a la autotraducción. Vigo: Editorial Academia del Hispanismo, 2011, p. 23-43. DASILVA, Xosé Manuel. «La autotraducción transparente y la autotraducción opaca». En Xosé Manuel DASILVA, Xosé Manuel; TANQUEIRO, Helena (eds.). Aproximaciones a la autotraducción. Vigo: Editorial Academia del Hispanismo, 2011, p. 45- 67. GARAFFA, Maria; SORACE, Antonella; VENDER, Maria. Il cervello bilingue. Roma: Carocci, 2020. GRUTMAN, Rainier. «Self-Translation». BAKER, Mona; SALDANHA, Gabriela (eds.) Routledge Encyclopedia of Translation Studies. London: Routledge, 2009, p. 257-260. GRUTMAN, Rainier. «Diglosia y autotraducción vertical (en y fuera de España)». En DASILVA, Xosé Manuel; TANQUEIRO, Helena (eds.). Aproximaciones a la autotraducción. Vigo: Editorial Academia del Hispanismo, 2011, p. 69-91. KROH, Aleksandra. L'aventure du bilinguisme. Paris: L'Harmattan, 2000. MARGARIT, Joan. «Sobre les llengües d’aquest llibre / Sobre las lenguas de este libro». Estació de França. Madrid: Hiperión, 1999, p. 8-11. MARGARIT, Joan. «Epílogo». En RODRÍGUEZ, Josep. M. Sangre seca. Madrid: Hiperión, 2017, p. 69-72. MARTÍNEZ PÉRSICO, Marisa. «Palabras en el puño del deseo (prólogo)». PÁEZ, Juan. La niña y el barco (La poética de Gigliola Zecchin). Córdoba: Alción Editora, 2021, p. 13-24. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
74 MARTÍNEZ PÉRSICO, Marisa. «Entrevista al poeta italomexicano Fabio Morábito». Università degli Studi di Udine: Poetiche anfibie. Scrivere tra due lingue / Poéticas anfibias. Escribir entre dos lenguas. Incontri dedicati alla poesia, la traduzione e il bilinguismo, 16 de noviembre (2021). https:// www.youtube.com/watch?v=GncJRATflUo [consultado el 22-03-2022] MARTÍNEZ PÉRSICO, Marisa. «Entrevista al poeta catalán Josep Maria Rodríguez». Università degli Studi di Udine: Poetiche anfibie. Scrivere tra due lingue / Poéticas anfibias. Escribir entre dos lenguas. Incontri dedicati alla poesia, la traduzione e il bilinguismo, 23 de noviembre (2021). https:// www.youtube.com/watch?v=apcytD1ttTM [consultado el 16-03-2022] MARTÍNEZ PÉRSICO, Marisa. «Entrevista a la poeta gallega Yolanda Castaño». Università degli Studi di Udine: Poetiche anfibie. Scrivere tra due lingue / Poéticas anfibias. Escribir entre dos lenguas. Incontri dedicati alla poesia, la traduzione e il bilinguismo, 2 de diciembre (2021). https://www.youtube.com/ watch?v=jq2BUajhDck [consultado el 28-03-2022] MARTÍNEZ PÉRSICO, Marisa. «Entrevista a la poeta italoargentina Gigliola Zecchin». Università degli Studi di Udine: Poetiche anfibie. Scrivere tra due lingue / Poéticas anfibias. Escribir entre dos lenguas. Incontri dedicati alla poesia, la traduzione e il bilinguismo, 9 de diciembre (2021). https:// www.youtube.com/watch?v=huZrvUBO6lk [consultado el 09-03-2022] MARTÍNEZ PÉRSICO, Marisa. «Entrevista a la poeta italoargentina Vanna Andreini». Università degli Studi di Udine: Poetiche anfibie. Scrivere tra due lingue / Poéticas anfibias. Escribir entre dos lenguas. Incontri dedicati alla poesia, la traduzione e il bilinguismo, 16 de diciembre (2021). https://www.youtube.com/watch?v=ZW1OYsXfkq8 [consultado el 27-03-2022] MOLLOY, Sylvia. Vivir entre lenguas. Buenos Aires: Eterna Cadencia, 2016. MORÁBITO, Fabio. «Un poema». Vuelta, Ciudad de México, vol. XII, 149 (abril de 1989), p. 12. MORÁBITO, Fabio. Ventanas encendidas. Antología poética. Madrid: Visor, 2012. MORÁBITO, Fabio. El idioma materno. México: Sexto piso, 2014. MUSCHIETTI, Delfina; CARESANI, Rodrigo; PERCIA, Violeta; VIGNOLO, Alejandro. Traducir poesía. Mapa rítimo, partitura y plataforma flotante. Buenos Aires: Paradiso, 2014. PÁEZ, Juan. «Mudar de lengua, cambiar de nombre: Entrevista a Gigliola Zecchin, Canela». Cuadernos del Hipogrifo, Roma, 2016, p. 53-58. PÁEZ, Juan. La niña y el barco (La poética de Gigliola Zecchin). Córdoba: Alción Editora, 2021. POCH, Dolors; JULIÀ, Jordi (eds.) Escribir con dos voces. Bilingüismo, contacto idiomático y autotraducción en literaturas ibéricas. València: Universitat de València, 2020. RECUENCO PEÑALVER, María. «Más allá de la traducción: la autotraducción». TRANS. Revista de Traductología, Universidad de Málaga, 15 (2011), p. 193-208. RODRÍGUEZ, Josep. M. Sangre seca. Madrid: Hiperión, 2017. ZECCHIN, Gigliola. Lo que cuentan los inmigrantes. Buenos Aires: Sudamericana, 2015. ZECCHIN, Gigliola. Poesía reunida 2020-2000. Buenos Aires: Ediciones en Danza, 2021. NOTAS 1. «El bilingüismo no describe solamente a quien tiene una competencia equilibrada en los dos idiomas y habla ambos al mismo nivel: también es bilingüe quien tiene un idioma dominante y Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
75 usa otro en circunstancias específicas […] de un modo eficaz y adecuado a determinada situación comunicativa». GARAFFA, Maria; SORACE, Antonella; VENDER, Maria. Il cervello bilingue. Roma: Carocci, 2020, p. 8. La traducción es mía. 2. Esta analogía entre el mundo zoológico y el literario fue utilizada por el sociólogo y lingüista británico Basil Bernstein pero su productiva aplicación al campo de la crítica de la poesía contemporánea la he conocido gracias a las investigaciones de la estudiosa italiana Loretta Frattale sobre el signo poético intermedial de Rafael Alberti, poeta-pintor que combinó el código verbo-alfabético con el espacio-figurativo para crear una sólida obra que respira y se nutre de los dos soportes sígnicos y materiales. 3. MOLLOY, Sylvia. Vivir entre lenguas. Buenos Aires: Eterna Cadencia, 2016, p. 23. 4. «A veces me entristezco en una lengua y después me alegro en otra. Y así, saltando de un idioma a otro, cambio de humor. Al no tener una infancia en italiano, rara vez siento nostalgia en este idioma». BRAVI, Adrián. La gelosia delle lingue. Macerata: Edizioni Università di Macerata, 2017, p. 23. La traducción es mía. 5. MORÁBITO, Fabio. El idioma materno. México: Sexto piso, 2014, p. 181. 6. Texto completo en línea: MARTÍNEZ PÉRSICO, Marisa. «Entrevista al poeta italomexicano Fabio Morábito». Università degli Studi di Udine: Poetiche anfibie. Scrivere tra due lingue / Poéticas anfibias. Escribir entre dos lenguas. Incontri dedicati alla poesia, la traduzione e il bilinguismo, 16 de noviembre (2021). https://www.youtube.com/watch?v=GncJRATflUo [consultado el 22-03-2022] 7. MORÁBITO, Fabio. «Un poema». Vuelta, Ciudad de México, vol. XII, 149 (abril de 1989), p. 12. 8. MORÁBITO, Fabio. Ventanas encendidas. Antología poética. Madrid: Visor, 2012, p. 175-176. 9. MORÁBITO, Fabio. El idioma materno. México: Sexto piso, 2014, p. 149. 10. MORÁBITO, Fabio. Ventanas encendidas. Antología poética. Op.cit., p. 209. 11. Texto completo en línea: MARTÍNEZ PÉRSICO, Marisa. «Entrevista al poeta catalán Josep Maria Rodríguez». Università degli Studi di Udine: Poetiche anfibie. Scrivere tra due lingue / Poéticas anfibias. Escribir entre dos lenguas. Incontri dedicati alla poesia, la traduzione e il bilinguismo, 23 de noviembre (2021). https://www.youtube.com/watch?v=apcytD1ttTM [consultado el 16-03-2022]. 12. MARGARIT, Joan. «Epílogo». En RODRÍGUEZ, Josep. M. Sangre seca. Madrid: Hiperión, 2017, p. 72. 13. RODRÍGUEZ, Josep. M. Sangre seca. Madrid: Hiperión, 2017, p. 40. 14. ANDREINI, Vanna. bruciate/quemadas. Buenos Aires: Siesta, 1998, p. 9. 15. Texto completo en línea: MARTÍNEZ PÉRSICO, Marisa. «Entrevista a la poeta italoargentina Vanna Andreini». Università degli Studi di Udine: Poetiche anfibie. Scrivere tra due lingue / Poéticas anfibias. Escribir entre dos lenguas. Incontri dedicati alla poesia, la traduzione e il bilinguismo, 16 de diciembre (2021). https://www.youtube.com/watch?v=ZW1OYsXfkq8 [consultado el 27-03-2022] 16. ANDREINI, Vanna. Fatebenefratelli. Buenos Aires: Barnacle, 2020, p. 16. 17. Ibid., p. 26. 18. Ibid., p. 28. 19. Ibid., p. 12. Existen distintas versiones de esta canción popular infantil italiana que Andreini cita literalmente en el último verso de su poema. Una de las más conocidas dice: «Vedo la luna, vedo le stelle,/ vedo Caino che fa le frittelle,/ vedo una tavola apparecchiata,/ vedo Caino che fa la frittata,/ vedo San Pietro con un fiasco di vino/ che gioca a carte con Caino». 20. Ibid., p. 15. 21. MOLLOY, Sylvia. Vivir entre lenguas. Op.cit., p. 24. 22. En estos temas me detengo en el prólogo que escribí para el ensayo de PÁEZ, Juan. La niña y el barco (La poética de Gigliola Zecchin). Córdoba: Alción Editora, 2021, p. 13-24. 23. PÁEZ, Juan. «Mudar de lengua, cambiar de nombre: Entrevista a Gigliola Zecchin, Canela». Cuadernos del Hipogrifo, Roma, 2016, p. 56. 24. Texto completo en línea: MARTÍNEZ PÉRSICO , Marisa. «Entrevista a la poeta italoargentina Gigliola Zecchin». Università degli Studi di Udine: Poetiche anfibie. Scrivere tra due lingue / Poéticas Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
76 anfibias. Escribir entre dos lenguas. Incontri dedicati alla poesia, la traduzione e il bilinguismo, 9 de diciembre (2021). https://www.youtube.com/watch?v=huZrvUBO6lk [consultado el 09-03-2022] 25. ZECCHIN, Gigliola. Poesía reunida 2020-2000. Buenos Aires: Ediciones en Danza, 2021, p. 122. 26. ACCAME, Jorge; ANDRUETTO, María Teresa; BAREI, Silvia; BOSSI, Elena; CASASCO, Guillermina; CONTA, Edwin; DORRA, Raúl; ZECCHIN, Gigliola. 5 poetas italianos. Traducción y conversaciones. Córdoba: Alción Editora, 2005, p. 60. 27. CASTAÑO, Yolanda. La segunda lengua. Madrid: Visor, 2014, p. 90. 28. Ibid., p. 95. 29. Texto completo en línea: Martínez Pérsico, Marisa. «Entrevista a la poeta gallega Yolanda Castaño». Università degli Studi di Udine: Poetiche anfibie. Scrivere tra due lingue / Poéticas anfibias. Escribir entre dos lenguas. Incontri dedicati alla poesia, la traduzione e il bilinguismo, 2 de diciembre (2021). https://www.youtube.com/watch?v=jq2BUajhDck [consultado el 28-03-2022]. 30. ANTUNES, Manuel; Maria Alice. «Autotraducción: el caso de João Ubaldo Ribeiro». En TANQUEIRO, DASILVA, Xosé Helena (eds.). Aproximaciones a la autotraducción. Vigo: Editorial Academia del Hispanismo, 2011, p. 14. 31. VIDAL-CONTE, Mireia. Comunicación personal. Correo electrónico del 4 de marzo de 2021. 32. MARGARIT, Joan. «Sobre les llengües d’aquest llibre / Sobre las lenguas de este libro». Estació de França. Madrid: Hiperión, 1999, p. 11. 33. POCH, Dolors; JULIÀ Jordi (eds.). Escribir con dos voces. Bilingüismo, contacto idiomático y autotraducción en literaturas ibéricas. València: Universitat de València, 2020, p. 7. RESÚMENES À travers la méthodologie de l'étude de cas, cet article analyse quelques-unes des modalités que le bilinguisme endogène ou exogène acquiert. Je présente quelques biographies linguistiques de poètes des communautés historiques d'Espagne, ainsi que d’Italie et d’Amérique latine, interrogés pour cette recherche : Fabio Morábito (Italie-Mexique), Gigliola Zecchin (ItalieArgentine), Yolanda Castaño (Espagne : Galice), Josep Maria Rodríguez (Espagne : Catalogne) et Vanna Andreini (Italie-Argentine). Nous incluons également les commentaires ou déclarations des Catalans Joan Margarit et Mireia Vidal-Conte et des Argentins Sylvia Molloy et Adrián Bravi. L’étude est complétée par quelques réflexions sur l'autotraduction verticale et horizontale, le rôle de la scolarisation dans la compétence bilingue et l'impact du contact linguistique sur l’idiolecte poétique (changement de code, emprunts, calques, allusions ou citations intertextuelles), ainsi que l’invention de métaphores somatiques pour décrire le propre bilinguisme. This paper analyzes some of the modalities acquired by endogenous or exogenous bilingualism through the methodology of the case study. I present some linguistic biographies of poets from the historical communities of Spain, as well as from Italy and Latin America interviewed for this research: Fabio Morábito (Italy-Mexico), Gigliola Zecchin (Italy-Argentina), Yolanda Castaño (Spain: Galicia), Josep Maria Rodríguez (Spain: Catalonia) and Vanna Andreini (Italy-Argentina). Also included are comments by the Catalans Joan Margarit and Mireia Vidal-Conte and the Argentines Sylvia Molloy and Adrián Bravi. The study is completed with some reflections on vertical and horizontal self-translation, the role of schooling in bilingual competence and the Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
77 impact of linguistic contact on the poetic idiolect (code switching, loanwords, calques, allusions, or intertextual quotations) as well as the coining somatic metaphors to describe one’s own bilingualism. ÍNDICE Keywords: bilingualism, self-translation, poetry, endogenous translation, exogenous translation Mots-clés: bilinguisme, autotraduction, poésie, traduction endogène, traduction exogène AUTOR MARISA MARTÍNEZ PÉRSICO Università degli Studi di Udine marisa.martinezpersico[at]uniud.it Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
78 Requiem, d’Antonio Tabucchi ou l’aventure portugaise d’un Italien Aina López Montagut Se qualcuno mi chiedesse perché questa storia è stata scritta in portoghese, risponderei che una storia come questa avrebbe potuto essere scritta solo in portoghese, e basta.1 Antonio TABUCCHI 1 Beaucoup d’auteurs écrivent dans une seule langue et ne se traduisent jamais, d’autres illustrent des cas de bilinguisme ou plurilinguisme d’écriture, d’autres encore écrivent toujours dans une langue qui n’est pas leur langue première et enfin, certains écrivent et s’auto-traduisent. Il existe cependant aussi des auteurs qui, pour une raison donnée, écrivent exceptionnellement une œuvre dans une langue qu’ils n’ont pas l’habitude d’utiliser comme outil d’écriture. C’est le cas, par exemple, d’Antonio Tabucchi, Italien amoureux du Portugal et de sa langue, qui produit l’une de ses œuvres en portugais : Requiem (1991). Il s’agit là d’un excellent exemple d’alloglossie. 2 L’alloglossie est un choix linguistique extrêmement intéressant en ce qu’il peut être justifié de différentes façons. Parfois, c’est la situation politique du pays de l’auteur ou ce qui en découle qui le pousse à s’exiler et par conséquent à expatrier son écriture, en passant par le choix d’une autre langue (par exemple Milan Kundera ou Eduardo Manet, tous deux avec le français). Il arrive également que ce soient des raisons socio-culturelles comme le poids culturel et esthétique d’une langue dans la société (par exemple Filippo Tommaso Marinetti ou Martino da Canale, eux aussi écrivains en français). Enfin, il peut aussi y avoir des raisons affectives (par exemple Elias Canetti, en langue allemande) ou bien d’autres raisons que nous ne citerons pas ici. 3 En règle générale, les auteurs concernés justifient tant bien que mal leurs choix linguistiques. Tout comme Elias Canetti, Antonio Tabucchi entre dans la catégorie des Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
79 écrivains qui ont, à un moment donné, changé leur langue d’écriture pour des raisons affectives, que ce soit pour toute la production littéraire à venir ou bien pour une seule œuvre. Qu’ils se contentent d’écrire dans la langue autre, ou qu’ils décident de créer un pont littéraire entre deux systèmes linguistiques, les auteurs transmettent bien souvent à travers leurs écrits la volonté et parfois même la preuve d’une acquisition linguistique et culturelle complètes et une grande intercompréhension entre les langues utilisées dans leur écriture. 4 Nous analyserons dans cet article l’exemple de Tabucchi. Nous pourrions émettre l’hypothèse d’un choix linguistique fait par facilité, puisque l’auteur domine à la perfection la langue source. Cependant nous verrons que l’écriture en portugais se justifie par des raisons plus sentimentales2 mais qu’elle s’est imposée surtout après un essai d’écriture dans une autre langue source. Nous verrons également que son deuxième choix, à savoir celui de ne pas traduire lui-même l’œuvre dans sa langue maternelle, l’italien, est tout à fait justifié. Nous présenterons tout d’abord une brève biographie afin de mieux comprendre les acquis linguistiques de l’auteur puis passerons dans un deuxième temps à l’étude de cas avec des exemples tirés du roman Requiem, ainsi qu’à des propositions de traduction. Les citations extraites des traductions permettront d’illustrer la grande liberté que prennent ou doivent prendre, par obligation, les traducteurs, dans certains cas précis, comme par exemple lorsqu’il y a des jeux de mots. 5 Antonio Tabucchi grandit dans une famille italienne et vit son enfance en Toscane. Il se spécialise pendant ses études en littérature portugaise et s’intéresse tout particulièrement à l’œuvre de Fernando Pessoa. Son expérience professionnelle en tant que professeur des universités lui permet d’enseigner dans différentes universités italiennes et de traduire entre autres de nombreuses œuvres de Fernando Pessoa, ce qui le rendit célèbre dans son pays. Dans sa production littéraire, il est tout particulièrement influencé par des auteurs étrangers tels que Gustave Flaubert, Miguel de Unamuno et Jorge Luis Borges, ou encore italiens comme Luigi Pirandello. Il a publié de nombreux romans, mais également des recueils de nouvelles, deux monologues pour le théâtre, ainsi que plusieurs essais sur la narration, le récit, le surréalisme et sur l’œuvre de Fernando Pessoa. Tabucchi a un lien très fort avec le Portugal, sa langue et sa culture, dès le début de ses études, et ce jusqu’à sa mort, puisqu’il vit une partie de sa vie à Lisbonne, aux côtés de son épouse portugaise. 6 Son cas est extrêmement intéressant en ce qu’il illustre à la fois deux choix linguistiques d’écriture. D’une part, l’alloglossie avec son roman Requiem (1991) écrit en portugais, d’autre part un bilinguisme d’écriture pour sa production littéraire générale, puisque le reste de ses œuvres, produites aussi bien avant qu’après Requiem, sont en italien. Au sujet de son lien avec la langue portugaise, l’auteur déclare : Moi et le portugais, on s’est adopté mutuellement. Écrire un texte littéraire dans une autre langue que la sienne est une expérience très importante. […] chaque langue porte en soi un bagage émotionnel différent. Et lorsqu’on a écrit un roman dans une autre langue, on ne peut plus dire que cette langue ne nous appartient pas. On se l’est appropriée totalement. À partir de là, on a deux langues. C’est une source d’enrichissement permanente, chacune des deux cultures et des deux Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
80 langues ayant sa propre vérité. Peu à peu on devient une troisième réalité à cheval sur deux cultures3. Ce lien tout d’abord intellectuel puis assez vite affectif avec la langue de Pessoa, permet à Tabucchi d’avoir une connaissance précise et absolue du portugais. Ainsi, lorsque le hasard le mène à devoir faire un choix entre produire un texte en italien ou en portugais, dans des circonstances que nous verrons par la suite, le portugais ne lui pose aucun problème, ce qui lui offre une grande liberté. Nous verrons à présent que la genèse de Requiem justifie, ne serait-ce que pour l’auteur, son choix linguistique. 7 Requiem suit le personnage principal, qui n’est jamais nommé, pendant toute une journée, à travers Lisbonne. Le protagoniste enchaîne en rêve les rencontres, parfois insolites, avec des fantômes de son passé parmi lesquels son père. Chacun des personnages qu’il rencontre lui apprend quelque chose comme une recette culinaire ou engage avec lui une conversation beaucoup plus profonde. Tous les événements qui se produisent le long de ce roman fantastique conduisent le protagoniste à la mystérieuse rencontre finale, avec celui que l’on devine être l’un de ses plus grands inspirateurs, Fernando Pessoa. Tabucchi justifie par ailleurs le choix du sous-titre de son œuvre, Requiem. Uma alucinaçaõ, lors d’un échange avec Carlos Gumpert : […] c’est de cela que parle ce livre, des visites que reçoit le protagoniste, car c’est lui, apparemment, qui rend visite aux fantômes, alors qu’en réalité il se passe le contraire : […] ce sont les fantômes qui viennent à sa rencontre. Le narrateur ne peut faire autrement qu’accepter ces conversations […] et il le fait probablement dans une sorte d’hallucination, d’où le sous-titre que j’ai donné à l’œuvre, qui est celui-ci : “une hallucination”4. 8 Dans la genèse de l’écriture de Requiem (1991), Tabucchi évoque dans un premier temps le rêve qu’il a fait de son père décédé. Dans ce rêve, il s’adresse à ce dernier en portugais, alors qu’il avait l’habitude de lui parler en italien, sa langue maternelle. L’étrangeté de cette situation pousse le romancier à traduire en italien les notes prises en portugais suite à son rêve, mais le résultat ne le satisfait guère, car le texte s’avère maladroit et artificiel. Il affirme en effet la chose suivante : « […] une voix m’était arrivée dans une langue et je l’avais travestie ; j’avais défiguré un texte littéraire, c’està-dire une créature qui était née d’une certaine manière, qui s’était exprimée en quelques pages dans sa langue à elle »5. 9 L’imperfection du texte que Tabucchi est en train de rédiger dans sa langue maternelle, lui ouvre les yeux sur une réalité qui n’est autre que la traduction d’un choix linguistique logique : « Se qualcuno mi chiedesse perché questa storia è stata scritta in portoghese, risponderei che una storia come questa avrebbe potuto essere scritta solo in portoghese, e basta »6. 10 Pour Tabucchi, il est évident que l’histoire rêvée, que ce soit en raison du contexte ou de la langue employée par son père puis par lui-même dans leur échange oral, ne peut être retranscrite que dans la langue originale, à savoir le portugais. Pourtant, la langue de son père et de sa mère était le dialecte toscan, avec ses particularités lexicales et musicales, et Tabucchi a été élevé dans un seul univers linguistique, sans aucune interférence. Cela rend donc l’échange en portugais avec son père étrange aux yeux de Tabucchi, bien que ce soit dans le monde onirique. Il affirme en effet la chose suivante : « Ho capito che non potevo scrivere un Requiem nella mia lingua, e che avevo bisogno di una lingua differente : una lingua che fosse un luogo di affetto e di riflessione »7. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
81 11 Requiem est le seul livre qu’Antonio Tabucchi a écrit en portugais, une langue qu’il a faite sienne, alors qu’il a refusé de s’autotraduire en italien. Il a choisi de vivre cette situation qu’est le bilinguisme d’écriture car sa relation avec le Portugal, les Portugais et la langue portugaise est une relation d’admiration, à laquelle s’ajoute un profond sentiment d’affection, comme le précise l’écrivain lui-même dans le paratexte de Requiem : « […] questo libro è un omaggio ad un paese che io ho adottato e che mi ha adottato a sua volta, ad una gente a cui sono piaciuto e che, a sua volta, è piaciuta a me »8. Le cas de cette œuvre est donc à la fois, comme nous l’avons dit, une illustration d’un cas d’alloglossie, de bilinguisme d’écriture et se caractérise de plus par le refus de Tabucchi de s’auto-traduire en italien, laissant ainsi la traduction à un autre locuteur de sa langue maternelle. 12 L’auteur justifie de quatre façons son choix de ne pas retranscrire son texte en italien. Premièrement, il fait référence au fait qu’il s’agit d’une aventure mentale vécue en portugais et qui ne peut être revécue dans une autre langue. Deuxièmement, l’autotraduction aurait impliqué une réécriture du livre. Troisièmement, Tabucchi souhaite que son livre soit reçu comme une œuvre étrangère dans son pays d’origine, mais aussi reconnu et consacré au Portugal. Enfin, l’auteur avoue une certaine crainte face au défi que représente la production d’une même œuvre dans deux langues : j’ai manqué de courage pour parcourir en même temps mes deux rivages linguistiques et affectifs […]. J’ai été capable d’aller jusqu’à l’autre rive, oui, mais non de m’en revenir avec le même bateau9. Pour résumer la genèse linguistique particulièrement originale de Requiem, nous présentons le schéma suivant : Schéma proposant de résumer la genèse linguistique de Requiem d’Antonio Tabucchi Document réalisé par l’auteure de l’article L’absence d’autotraduction de la part d’Antonio Tabucchi lui permet d’éviter des difficultés linguistiques, propres à chaque traduction, mais également la traduction de jeux de mots ou le fait de devoir faire des choix entre traduire ou adapter. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
82 13 Nous allons voir à présent quelques exemples comparatifs entre la version originale en portugais de Tabucchi, la traduction italienne de Sergio Vecchio et la traduction française d’Isabelle Pereira. Exemple 1. Portugais : « Gostar na terceira pessoa mas é também a criada do menino, disse o Revisor do Comboio, faz ideia do que é que pode ser ? O Revisor do Comboio sentouse à minha frente e mostrou-me as palavras-cruzadas do jornal. Quantas letras ?, perguntei. Três, disse ele. Ama, disse eu, deve ser ama » 10. Italien : « Voler bene in prima persona ma anche uncino, disse il Controllore del Treno, ha idea di cosa possa essere ? Il Controllore del Treno si sedette di fronte a me e mi mostrò il cruciverba del giornale. Quante lettere ?, chiesi. Tre, disse lui. Amo, dissi io, sarà amo »11. Français : « Instrument qu’on sonne à la chasse, mais ça peut aussi faire mal aux pieds, dit le Contrôleur du Train, vous voyez ce que ça peut être ? Le Contrôleur du Train s’assit en face de moi et me montra les mots croisés de son journal. Combien de lettres ? Demandai-je. Trois, dit-il. Cor, dis-je, ce doit être cor » 12. 14 Texte portugais : Dans la première question du jeu de mots, Tabucchi joue sur l’ambigüité des deux verbes portugais « amar » et « gostar ». La deuxième partie de la définition donnée permet au lecteur portugais de comprendre qu’il s’agit du verbe « amar » puisqu’il sait que la solution ne comporte que trois lettres, d’où l’impossibilité d’avoir une construction verbale basée sur la racine « gost- ». On trouve cette même dynamique dans les deux traductions, qui respectent ainsi la logique des mots croisés. 15 Version italienne : Nous trouvons dans la version italienne la même situation que dans le texte source en portugais. En effet, la définition donnée par le traducteur Sergio Vecchio concerne l’expression « voler bene » : « voler bene in prima persona ». Par la suite nous savons que là aussi le mot concerné n’a que trois lettres, donc il ne peut pas s’agir de la forme à la première personne « voglio bene », mais d’un synonyme. De surcroît le traducteur italien a été obligé de passer de la « terceira pessoa » du texte portugais à une « prima persona » en italien, étant donné que « ama », troisième personne du singulier du verbe « amare », est un terme qui n’a de sens en italien que dans cette forme verbale, ce qui empêcherait le jeu linguistique du texte original qui comprend deux homonymes. En outre le traducteur a ajouté, comme dans le texte portugais, une deuxième définition afin que le lecteur ne pense pas à « voglio bene » : il propose « ma anche uncino », « uncino » étant un « hameçon », un « crochet ». 16 Version française : Dans les deux cas de traduction, aussi bien en italien qu’en français, le choix du traducteur s’avérait plus complexe qu’une traduction à proprement parler, puisqu’il devait ici adapter la définition à la langue du lecteur cible, en donnant deux définitions correspondant à un même mot final qui serait donc polysémique. En français, Isabelle Pereira a gardé le nombre de lettres – trois – et propose des définitions n’ayant rien à voir avec celles proposées en portugais par Antonio Tabucchi. En effet, avec le verbe « aimer » (ou une de ses formes dérivées), il est difficile de trouver un autre homonyme homographe. Isabelle Pereira a donc été obligée de chercher une solution dans un autre champ lexical ; elle propose une alternative : « instrument qu’on sonne à la chasse, mais ça peut aussi faire mal aux pieds ». Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
83 17 Dans ce cas concret, il est évident qu’Isabelle Pereira avait beaucoup plus de liberté de choix que Sergio Vecchio, puisqu’elle n’était pas contrainte par le champ lexical du texte source. Ainsi, un grand nombre de solutions auraient pu être envisagé, que ce soit en gardant le nombre de lettres des mots croisés du texte original, ou bien que ce soit en le modifiant. Par exemple, nous proposons : • « Sensation auditive, mais ça peut aussi être une céréale, dit le Contrôleur du Train, vous voyez ce que ça peut être ? Le Contrôleur du Train s’assit en face de moi et me montra les mots croisés de son journal. Combien de lettres ? Demandai-je. Trois, dit-il. Son, dis-je, ce doit être son ». • « Adjectif possessif masculin à la deuxième personne du singulier, mais ça peut aussi être la hauteur de la voix à un moment donné, dit le Contrôleur du Train, vous voyez ce que ça peut être ? Le Contrôleur du Train s’assit en face de moi et me montra les mots croisés de son journal. Combien de lettres ? Demandai-je. Trois, dit-il. Ton, dis-je, ce doit être ton ». • « Forme verbale à la deuxième personne du singulier, mais ça peut aussi être un plat, dit le Contrôleur du Train, vous voyez ce que ça peut être ? Le Contrôleur du Train s’assit en face de moi et me montra les mots croisés de son journal. Combien de lettres ? Demandai-je. Quatre, dit-il. Mets, dis-je, ce doit être mets ». 18 Voyons à présent un deuxième exemple des difficultés posées par ce texte : Exemple 2. Portugais : « E bebem coca-cola, acrescentou, passam o dia a beber aquela porcaria, não sei se o senhor já esteve na praia de Oeiras na segunda-feira de manhã, está tudo cheio de caricas, é um tapete de caricas. Caricas ?, disse eu, não conheço a palavra. É a tampinha da garrafa, disse o Revisor do Comboio, é como o povo lhe chama »13. Italien : « E bevono coca cola, aggiunse, passano il giorno a bere quella vaccata, non so se il signore sia mai stato sulla spiaggia di Oeiras il lunedì mattina, è tutta piena di botoletti, un tappeto di botoletti. Botoletti ?, dissi io, e cosa vuol dire ? Sono i tappi delle bottiglie, disse il Controllore del Treno, è così che la gente li chiama » 14. Français : « Et ça boit du Coca-Cola, ajouta-t-il, ils passent leur journée à boire cette saleté, je ne sais pas si vous êtes déjà allé sur la plage d’Oeiras le lundi matin, c’est rempli de caricas, c’est un tapis de caricas. Caricas? dis-je, je ne connais pas ce motlà. C’est les capsules de bouteilles, c’est comme ça que les gens les appellent » 15. 19 Texte portugais : Le problème qui se posait ici pour le traducteur concernait l’emploi du mot « caricas ». Si l’on cherche la définition du mot dans un dictionnaire portugaisfrançais tel que celui de Domingos de Azevedo16, on ne trouve rien. Cependant, si on consulte le dictionnaire unilingue portugais Dicionário da Língua Portuguesa, on trouve la définition suivante : « carica : cápsula de garrafa » 17, c’est-à-dire le bouchon d’une bouteille. Le traducteur pouvait donc tout à fait traduire « carica » aussi bien en italien qu’en français, par « tappo » et « bouchon ». Néanmoins le lecteur apprend à la fin de l’extrait que « é como o povo lhe chama », c’est-à-dire le terme utilisé dans un registre plus courant. Le traducteur avait le choix entre : • laisser le terme portugais : entre guillemets, en italique, ou en caractères romains et sans aucune marque de différenciation, tout en expliquant et ou en traduisant le mot en bas de page ; • traduire le mot dans son texte. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
84 20 Version italienne : Sergio Vecchio propose comme traduction « è tutta piena di botoletti ». Il ne se contente donc pas de garder le terme du texte source. Le substantif choisi fait référence à quelque chose de petit et rond. Quelques dictionnaires étymologiques consultés donnent une définition qui fait référence à quelque chose de petit : un petit chien (« botolo », selon Carlo Battisti et Giovanni Alessio 18), une petite saucisse (« botellus », dans le Lessico etimologico italiano 19) et un petit garçon (« PUER » aurait donné PŬTUS -« petit garçon »-, puis le diminutif PŬTULUS qui aurait à son tour donné « botolo » en italien, selon Le Grand Gaffiot20). De plus, pour l’expression « tappi delle bottiglie » il n’existe pas de mot en italien qui résume cette idée, puisque « tappo » peut être utilisé pour divers contenants. Le traducteur se devait donc de trouver une solution autre. En outre, la négation esquissée par « não conheço a palavra » a été traduite en italien par une question directe « e cosa vuol dire ? », ce qui correspondrait à la réaction logique de tout lecteur piqué de curiosité après avoir entendu un mot inconnu. 21 Version française : Ce qui s’avère extrêmement intéressant est le fait que pour un même passage les deux traducteurs ont opté pour des solutions opposées. Nous rappelons que Sergio Vecchio a choisi de trouver une « équivalence » dans la langue source et Isabelle Pereira a quant à elle opté pour la conservation du mot, présenté en caractères italiques, afin de montrer au lecteur qu’il s’agit d’un terme emprunté du texte d’origine, en langue source. En effet, la traductrice propose « c’est rempli de caricas, c’est un tapis de caricas. Caricas ? Dis-je, je ne connais pas ce mot-là. C’est les capsules de bouteilles, c’est comme ça que les gens les appellent ». Ainsi la traductrice invite le lecteur à découvrir le terme portugais et se plonger dans l’environnement du personnage, et évite par là de devoir trouver une équivalence en français. En ce qui concerne la question directe posée par S. Vecchio dans « e cosa vuol dire ? », Pereira respecte l’idée illustrée en portugais et ne propose qu’une phrase montrant que le personnage principal ne connaît pas le terme : « je ne connais pas ce mot-là ». 22 Pour conclure, nous avons vu à travers le cas particulier d’Antonio Tabucchi, un exemple d’alloglossie exceptionnel dans un contexte de bilinguisme parfait et d’intégration culturelle, affective et sociale absolue. En effet, le bilinguisme d’écriture s’avère être à la fois représentatif d’une alternance codique et d’une alternance sociale. L’expatriation de l’écrivain, qui dans un premier temps risque de souffrir de cette situation, devient vite un trésor, aussi bien pour ce dernier que pour tout lecteur qui trouvera dans sa langue habituelle de lecture un contenu lexico-culturel autre. Ainsi, ces chevauchements culturels n’en seront que plus bénéfiques pour l’auteur (parfois auto-traducteur) et le lecteur. Les chevauchements linguistiques seront, quant à eux, acceptables et acceptés tant qu’ils ne prendront pas le pas sur l’identité linguistique de l’un des codes. 23 Par ailleurs, en ce qui concerne plus concrètement la genèse linguistique de Requiem, expliquée précédemment, elle montre à quel point l’acquisition d’un bilinguisme équilibré ne signifie pas forcément être en mesure d’écrire la même chose dans les deux langues. En effet, comme pour la communication orale, il est tout à fait commun que certains concepts ou sentiments soient dits dans une langue ou dans une autre, en fonction entre autres du lien affectif que le locuteur ou l’auteur ont avec ladite langue. Ainsi, on dira parfois que l’on aime plus facilement dans une langue, on jurera peut- Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
85 être plutôt dans une autre, tout comme Antonio Tabucchi, Italien, qui a déclaré son amour pour Lisbonne, le Portugal et la langue portugaise dans sa langue de cœur, le portugais, et non dans sa langue de sang, l’italien, refusant également de s’autotraduire. 24 Nous clôturons cet article avec une citation d’Antonio Tabucchi :Qui sait si un roman écrit dans une langue qui n’est pas la nôtre ne peut pas naître d’un minuscule mot qui, lui, est exclusivement à nous, et n’appartient à personne d’autre. Une syllabe peut parfois contenir un univers21. BIBLIOGRAPHIE Dicionário da Língua Portuguesa. Porto : Dicionários Editora, Porto Editora, 1997. Le Grand Gaffiot. Dictionnaire Latin Français. Paris : Hachette, 2000. AZEVEDO, Domingos de. Grande Dicionário de Português/ Francês. Braga : Bertrand Editoria, 1992. BATTISTI, Carlo (ed.). Dizionario etimologico italiano. Florence : G. Barberà Editore, 1975. COYAULT, Sylviane (études rassemblées et présentées par). L’écrivain et sa langue : romans d’amour. De Marcel Proust à Richard Millet. Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise Pascal, 2005. GUMPERT, Carlos. L’atelier de l’écrivain. Conversations avec Antonio Tabucchi (trad. de l’espagnol par M. J. Wagner). Genouilleux : La passe du vent, 2001. PAZ, Octavio. Traducción : literatura y literalidad. Barcelone : Tusquets Editor, Cuadernos Marginales 18, 1971. PERLI, Antonello. Auctor in fabula. Un essai sur la poétique de Tabucchi. Ravenne : Giorgio Pozzi Editore, 2010. PFISTER, Max. LEI. Lessico etimologico italiano, vol. VI. Göttingen : Hubert & Co., 1991. TABUCCHI, Antonio. Requiem. Uma alucinaçaõ. Lisbonne : Dom Quixote, 2007 [1 e éd. 1991]. TABUCCHI, Antonio. Requiem. (trad. du portugais par Sergio Vecchio). Milan : Feltrinelli, 2008 [1 e éd. 1992]. TABUCCHI, Antonio. Requiem (trad. du portugais par Isabelle Pereira). Paris : Gallimard, 2009 [1 e éd. 1993]. NOTES 1. TABUCCHI, Antonio. Requiem (trad. du portugais par Sergio Vecchio). Milan : Feltrinelli, 2008 [1 e éd. 1993], p. 7. Traduction de la citation : « Si quelqu’un me demandait pourquoi cette histoire a été écrite en portugais, je répondrais qu’une histoire comme celle-ci n’aurait pu être écrite qu’en portugais, un point c’est tout ». Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
86 2. Nous renvoyons vers COYAULT, Sylviane (études rassemblées et présentées par). L’écrivain et sa langue : romans d’amour. De Marcel Proust à Richard Millet. Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise Pascal, 2005. 3. Antonio Tabucchi, cité par PERLI, Antonello. Auctor in fabula. Un essai sur la poétique de Tabucchi. Ravenne : Giorgio Pozzi Editore, 2010, p. 132. 4. GUMPERT, Carlos. L’atelier de l’écrivain. Conversations avec Antonio Tabucchi (trad. de l’espagnol par M. J. Wagner). Genouilleux : La passe du vent, 2001, p. 240. 5. TABUCCHI, Antonio. Requiem (« Un univers dans une syllabe »). Paris : Gallimard, 2009, p. 180-181. 6. TABUCCHI, Antonio. Requiem (trad. du portugais par Sergio Vecchio). Op. cit., p. 7. Traduction de la citation : « Si quelqu’un me demandait pourquoi cette histoire a été écrite en portugais, je répondrais qu’une histoire comme celle-ci n’aurait pu être écrite qu’en portugais, un point c’est tout ». 7. Ibid., p. 7. Traduction de la citation : « J’ai compris que je ne pouvais pas écrire un Requiem dans ma langue et que j’avais besoin d’une langue différente : une langue qui fût un lieu d’affection et de réflexion ». 8. GUMPERT, Carlos. L’atelier de l’écrivain. Op. cit., p. 7-8. Traduction de la citation : « […] ce livre est un hommage à un pays que j’ai adopté et qui m’a adopté en retour, à des gens à qui j’ai plu et qui, à leur tour, m’ont plu ». 9. Ibid., p. 239-240. 10. TABUCCHI, Antonio. Requiem. Uma alucinaçaõ. Lisbonne : Dom Quixote, 2007 [1 e éd. 1991], p. 79. 11. TABUCCHI, Antonio. Requiem (trad. du portugais par Sergio Vecchio). Op. cit., p. 83. 12. TABUCCHI, Antonio. Requiem (trad. du portugais par Isabelle Pereira). Op. cit., p. 93. 13. TABUCCHI, Antonio. Requiem. Uma alucinaçaõ. Op. cit., p. 80. 14. TABUCCHI, Antonio. Requiem (trad. du portugais par Sergio Vecchio). Op.cit., p. 84. 15. TABUCCHI, Antonio. Requiem (trad. du portugais par Isabelle Pereira). Op. cit., p. 94-95. 16. AZEVEDO, Domingos de. Grande Dicionário de Português/ Francês. Braga : Bertrand Editoria, 1992. 17. Dicionário da Língua Portuguesa. Porto : Dicionários Editora, Porto Editora, 1997, p. 318. 18. BATTISTI, Carlo (ed.). Dizionario etimologico italiano. Florence : G. Barberà Editore, 1975, p. 573. Ce dictionnaire donne une deuxième définition pour le terme ; il s’agirait aussi d’une « specie di cefalo ». Peut-être pouvons-nous aussi y voir la petitesse des bouchons des bouteilles (dans ce cas le dictionnaire nous signale que l’étymologie n’est pas connue), p. 573. 19. PFISTER, Max. LEI. Lessico etimologico italiano, vol. VI. Göttingen : Hubert & Co., 1991, p. 1291. 20. Le Grand Gaffiot. Dictionnaire Latin Français. Paris : Hachette, 2000, p. 1299. 21. TABUCCHI, Antonio. Requiem (trad. du portugais par Isabelle Pereira). Op. cit., p. 185. RÉSUMÉS L’alloglossie peut s’expliquer de différentes façons : que ce soit pour des raisons politiques, socioculturelles, affectives ou d’autres encore, les auteurs concernés justifient tant bien que mal leurs choix linguistiques. Qu’ils se contentent d’écrire dans la langue autre, ou qu’ils décident de créer un pont littéraire entre deux systèmes linguistiques, les écrits qu’ils produisent traduisent la volonté et parfois même la preuve d’une acquisition linguistique, ainsi qu’une grande intercompréhension entre les langues utilisées. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
87 Nous nous intéresserons ici au cas de l’auteur italien Antonio Tabucchi, et tout particulièrement au roman Requiem (1991), écrit en portugais. Cet exemple est d’autant plus intéressant que l’auteur a refusé de s’autotraduire en italien, laissant ainsi la traduction à un autre locuteur de sa langue maternelle. Tabucchi justifie très clairement le pourquoi de ce choix de langue d’écriture, qui s’est imposé à lui comme une évidence. Alloglossia can be explained in different ways: whether for political, socio-cultural, emotional or other reasons, the authors concerned justify their linguistic choices to some extent. Whether they simply write in the other language, or decide to create a literary bridge between two language systems, the writing they produce reflects a willingness and sometimes even evidence of linguistic acquisition, as well as a high degree of inter-comprehension between the languages used. We will focus here on the case of the Italian author Antonio Tabucchi, and particularly on the novel Requiem (1991), written in Portuguese. This example is all the more interesting because the author refused to translate himself into Italian, leaving the translation to another native speaker. Tabucchi justifies very clearly the reasons for this choice of writing language, which was obvious to him. INDEX Keywords : alloglossia, translation, self-translation, Tabucchi, Requiem, Portuguese, Italian Mots-clés : alloglossie, traduction, autotraduction, Tabucchi, Requiem, portugais, italien AUTEUR AINA LÓPEZ MONTAGUT Docteure Sorbonne Université ainalopezmont[at]gmail.com Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
88 Plus d’une langue : le sentiment de la langue et ses usages littéraires chez Carme Riera et Ponç Pons Mònica Güell « On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre. » Cioran, Aveux et anathèmes 1 « On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre » 1. On pourrait corriger la maxime de Cioran en mettant le mot au pluriel : on habite des langues. Notre approche des écritures plurilingues et du sentiment de la langue annoncée dans le titre de l’article ne sera pas sociolinguistique, bien que les apports de cette discipline soient nécessaires pour aborder l’histoire linguistique des Catalans. Le tout récent livre de Mireia Galindo, Carles de Rosselló et Francesc Bernat 2 est un précieux outil pour comprendre la place du castillan dans la Catalogne contemporaine et le processus qui a mené à une Catalogne bilingue parmi les classes populaires. De même, l’article de Mercè Pujol « Quelques repères macrosociolinguistiques et microlinguistiques du catalan pour comprendre sa situation actuelle en Catalogne » a le mérite de la clarté3. En Catalogne, le débat sur la langue est brûlant d’actualité, dans un contexte politique très troublé. 2 Nous aborderons ici les écritures plurilingues d’un point de vue littéraire, à partir des exemples du poète de Minorque Ponç Pons et de la romancière de Majorque Carme Riera. Le titre « Plus d’une langue », un peu flou, est emprunté à Barbara Cassin et il permet de recouvrir le vaste champ sémantique du plurilinguisme, du multilinguisme, du bilinguisme4. 3 Carme Riera est née en 1948, Ponç Pons en 1956 : tous deux ont été élevés dans l’Espagne franquiste, lorsqu’écrire en catalan tenait de la résistance. Leur choix linguistique tient aussi de la relation intime avec une langue, que nous appelons sentiment de la langue5, et de l’écolinguistique aujourd’hui. Comment habitent-ils leurs langues ? Leur langue de plume et de cœur est certes le catalan, dans les variantes diatopiques baléares (majorquine ou minorquine), mais leurs ouvrages sont aussi Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
89 traversés par d’autres langues. Comment cohabitent-elles ? De surcroît, les réflexions épilinguistiques ou métalinguistiques y sont nombreuses. 4 L’objectif de cet article est d’analyser le rapport de ces auteurs des Baléares au catalan et aux autres langues dans certains de leurs ouvrages qui relèvent des écritures du soi. Ainsi, nous étudierons dans la première partie Els ullastres de Manhattan, de Ponç Pons, puis dans la deuxième partie Temps d’innocència et Les darreres paraules de Carme Riera. Els ullastres de Manhattan, écrit en 2007 mais publié en 2020, a la forme d’un journal de bord d’un voyage à New York, où le poète avait été invité à un récital de poésie. Temps d’innocència, paru en 2013, est présenté comme un ouvrage autobiographique par l’auteure. Enfin, Les darreres paraules (2016) offre une fiction autour d’un testament trouvé qui rappelle les vieux dispositifs paratextuels et textuels cervantins, parmi d’autres avatars littéraires connus. Dans cette fiction sur la vie de Lluís Salvador d’Habsbourg, écrite à la première personne, il est aussi question de la langue de Majorque. 1. Els ullastres de Manhattan de Ponç Pons, une autobiographie langagière ? 5 À deux reprises, nous nous sommes attachée à étudier l’œuvre de Ponç Pons, au programme de l’Agrégation d’espagnol en 2017. Outre l’impératif pédagogique qui nous poussait à travailler l’œuvre en profondeur, un intérêt personnel nous a incitée à continuer cette première exploration, tout particulièrement sur l’écopoétique et l’écolinguistique6 d’une part et sur la présence massive de la littérature dans son œuvre, écrite sous le signe de l’intertextualité et du plurilinguisme, de l’autre 7. 6 Comme dans tous les autres recueils de poésie de Pons, Els ullastres 8 regorge de citations ou d’allusions à des écrivains de toutes langues avec lesquelles le poète dialogue, en un ouvrage polyphonique9. De quelles langues s’agit-il ? Au catalan, la langue principale du récit, s’ajoutent le français, l’espagnol, le portugais, mais aussi l’anglais et le latin. Leurs modalités énonciatives sont les citations en langue originale – les plus fréquentes – ou les citations traduites. Enfin, des mots étrangers, des anglicismes pour la plupart, émaillent discrètement le récit, en adéquation avec le cadre spatial. Le récit du voyage à New York apparaît ainsi comme un grand collage citationnel. C’est donc un voyage à travers les littératures et leurs langues qui s’offre au lecteur10. 1. 1. Le collage citationnel plurilingue 7 Les citations en langue étrangère sont typographiquement marquées par des guillemets et des italiques, ce qui souligne une double volonté de les montrer. 8 Citations du français : • Les pluies de New York d’Albert Camus : « une île couverte de ses monstres de pierre » et « La pluie de New York est une pluie d’exil » (p. 37). • De Céline, « Nova York és “une ville debout” (“una ciutat erecta”), « pas baisante du tout, raide à faire peur » (“gens ni mica folladora, tibada com per fer por.”) » (p. 43). 9 Cette dernière est la seule citation en français traduite. Celles de Blanchot, en français dans le texte, et de Thoreau, en catalan, sont ainsi transcrites : « Blanchot afirmava que Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
90 “qui écrit est en exil de l’écriture” i Thoreau que “les coses han d’estar a una certa distància per ser descrites” » (p. 49). • Valéry : « Crec amb Valéry “Il faut tenter de vivre !” » (p. 49). 10 On souligne la présence de mots en français issus du champ littéraire, des mots patrimoniaux : « un maelstrom de neó » (p. 28), « un poeta maudit » (p. 47), flâner (p. 88). 11 Citations du castillan : • Julio Cortázar : « Escribo cada letra de mis libros y vivo cada día de mi vida » (p. 19). • Le poème « Nocturno de los avisos » de Pedro Salinas : « ¡Cuantas más luces hay, más hay, de dudas! » (p. 28). • Ernesto Cardenal (p. 28). • Neruda : « Pero hacia ti, pequeña patria mía, / como un caballo oscuro mi corazón galopa » (p. 78). - Le célèbre commentaire du curé dans le Don Quichotte sur le roman de chevalerie Tirant lo Blanc : «¡Válgame Dios!, -dijo el cura, dando una gran voz-. ¡Que aquí está Tirante el Blanco! Dádmele acá, compadre, que hago cuenta que he hallado en él un tesoro de contento y una mina de pasatiempos.» (p. 41). • Unamuno : « El campo ahoga a la ciudad » (p. 44). 12 Citations de l’anglais : • L’américaine Emily Dickinson est citée en catalan, probablement à partir de l’Antologia de la lírica nord-americana d’Agustí Bartra, passeur en Catalogne de la poésie de l’Amérique du Nord. Toutefois Pons cite un vers de Dickinson en anglais assorti d’un commentaire en catalan : « Aquest I shall not live in vain em sembla tot un poètic ideari ètic de filosofia literària » (p. 40-41). • Walt Whitman figure aussi en catalan : « Estim tot el que neix a l’aire lliure » (p. 54). • En revanche, le vers de Keats « A thing of beauty is a joy forever » (p. 52), est en anglais, tout comme certains titres du Galois Dylan Thomas : « Do not go gentle into that good night » et « And death shall have no dominion » (p. 46). 13 Enfin, on constate la présence de mots anglais ou américains patrimoniaux, tels que ready-made (p. 81), hot dogs (p. 71), homeless (p. 77) skyline (p. 65, p. 95), et de brefs énoncés tels que « música chill-out » (p. 87), they love New York (p. 96) qui, suivant les contraintes génériques du récit de voyage, contribuent à renforcer l’effet de réel. 14 Citations du portugais : 15 La langue portugaise est représentée par ses plus grands poètes, Camões (Onde a terra se acaba e o mar começa, p. 43) et Pessoa, sous l’hétéronyme d’Alberto Caeiro (Escrevo versos num papel que está no meu pensamento, p. 71). Pons voue une grande admiration pour Pessoa, au point d’intituler un de ses recueils Pessoanes (2003), en dialogue avec le poète portugais. 16 Citations du latin : • « Non ridere, non lugere, neque detestari, sed intelligere, aconsella Spinoza » (p. 78). • « Dura tamen molli saxa cavantur aqua » (Ovide, Ars Amatoria, Livre I) et quelques latins d’église : « Ad maiorem Dei gloriam » (p. 47), « Urbi et orbi » (p. 76), « Tantum ergo » (p. 91). 17 La pratique du collage citationnel plurilingue – celui-ci représente une part très importante de l’espace textuel – rend hommage à la littérature dans toutes les langues, la Littérature tout court, dans une démarche intellectuelle et vitale d’ouverture, de rencontre, vers l’Autre. « Les llengües són territoris que pots habitar, i llegir, encara que sigui traduïda, la literatura d’altres països t’enriqueix amb una variada gamma de Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
91 realitats. Jo sóc jo i la meva biblioteca. A man in progress. » (p. 59) 11. Outre la présence de la métaphore d’habiter les langues, on constate que le locuteur-poète-voyageur se définit dans une phrase averbale en anglais dont le sens rappelle le perpétuel renouvellement grâce à l’Autre. Dans le même ordre d’idées, dans El rastre blau de les formigues, ce sont six langues qui définissent le sujet lyrique dans un poème plurilingue en portugais, français, italien, castillan, anglais, catalan : Tota la meva vida he hagut d’estar lluitant per defensar el nom i els drets d’aquesta llengua en què escric. Ser espanyol cansa12: O PASSEANTE Voyageur de paroles aperto a la belleza del mundo, habito un texto. My language is a bridge. En lloc d’arrels tenc cames13. 18 Quelle meilleure image que celle du pont14 pour se définir en tant que locuteur-poètevoyageur plurilingue ? 19 Examinons à présent un autre aspect remarquable du livre, les réflexions de l’auteur sur sa langue, le catalan. Elles s’articulent doublement autour du plaisir des mots, d’une part, mais aussi autour de la langue menacée, de l’autre. 1. 2. Le plaisir des mots 20 Le récit de voyage, les visites et promenades dans New York sont entrecoupés ou ponctuées par un long poème sur l’histoire de Minorque, de ses guerres et ses invasions. Avec elles, se profile une histoire de la langue catalane, dans sa variante minorquine. Ainsi, évoquant la reconquête de Minorque par Alphonse III, le poète retrace l’histoire de la langue sur vingt-et-un vers composés de deux mots chacun (des vers bimots) : « La llengua es va anar omplint / de paraules nostrades : / baldritxa, salmaienc, / vinjolita, colàrsega, / feruma, somorgoll, / regastalles, burcany, / cobròmbol, estarot, / dianye, sacarins, / pentafena, perpeny... » (p. 23). À cet héritage linguistique, il faut ajouter des mots métisses légués par les Britanniques après le traité d’Utrecht : « boínder, moguin, mèrvels, / estèpel, tornescrú, / berguiner, boi, blecverni, / xumàquer, pinxa, xoc, / siti, xenc, ròfils, grevi... (p. 35). Les mots rendivú 15 et sacardiu 16 proviennent de l’occupation française de Richelieu (p. 39). 21 Les rares mots en castillan – en italiques dans le texte – sont tous connotés de façon négative et se greffent sur le catalan, lors de l’évocation de la période franquiste, lorsque le castillan a été imposé dans tout le pays : « l’Espanya grande y libre / de mosques i toreros, / l’Espanya espanyolista / del flamenc i el futbol / de la furia española, / el garrot vil, el Valle / de los Caídos, / el Cara al Sol… » (p. 90). 1. 3. La langue menacée 22 Recueil après recueil, poème après poème, Pons dit son profond attachement à sa langue toujours menacée, et mène une réflexion militante sur sa place au sein de l’Espagne, et au sein même de Minorque. Dans Els ullastres, la rencontre avec les étudiants newyorkais pose la question de la pluralité des langues de l’Espagne et du Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
92 regard des autres sur les langues minoritaires, réduites à des résidus folkloriques, liton. La valeur péjorative du mot folklorisme, accompagné des adjectifs « exotique » et « résiduel », n’échappe à personne dans le fragment suivant : Nosaltres sembla que fem nosa i espatllam la uniformista castellanitat d’Espanya. // Volen que gallecs, bascs i catalans siguem espanyols, però no els agrada ni interessa que ho siguin les nostres llengües i més d’un voldria reduir-les a expressió local d’un folklorisme exòtic, residual. (p. 32) 23 Un peu plus loin, la question du lectorat, ô combien pertinente, est ainsi posée dans ce dialogue argumentatif fortement ironique : —Però ¿per què escriu en català ? —Perquè és la meva llengua. —Però en castellà tindria més lectors. —I en xinès encara més. —Podria ser famós. —Al meu poble ja ho sóc prou. (p. 32) 24 En conclusion, Els ullastres montrent le rapport admiratif du poète envers les autres langues et leurs littératures, tout en affirmant la nécessité de préserver le catalan – de Catalogne ou dans sa variante de Minorque – toujours menacé. 2. L’œuvre romanesque de Carme Riera, une autobiographie langagière ? 25 La position de Carme Riera, auteure prolifique abondamment primée et traduite, dont l’œuvre fictionnelle est écrite en catalan, est tout aussi militante. On rappelle qu’elle est académicienne de la Real Academia Española depuis 2013, et qu’en 2015 elle a reçu le Premio Nacional de las Letras. Son discours de réception à la Real Academia Española affirme d’emblée son bilinguisme, dès l’incipit : Como escritora, en las dos lenguas que tengo por mías, me he pasado la vida tratando de encontrar las palabras precisas, las más exactas y oportunas para nombrar las cosas, las sensaciones, las emociones o las ideas 17. 26 Carme Riera s’est aussi autotraduite en castillan. Avant d’examiner Temps d’innocència et Les darreres paraules, voyons d’abord quelle est sa position 18 sur la traduction et l’autotraduction, puis son choix du catalan comme langue d’écriture. 2.1. Position de Carme Riera sur la traduction et l’autotraduction 27 Sa position traductive (sur la traduction ou l’autotraduction) est connue et a maintes fois été citée par la critique. Toutefois il n’est pas inutile de la rappeler, car elle touche au sentiment de la langue qui guide notre propos ici. Pour paradoxal qu’il puisse paraître, le postulat de départ de Carme Riera est que la littérature est intraduisible. Qu’est-ce à dire ? Citons un texte de 1997 : Entenc la literatura, concretament la novel·la que és el meu camp, com la creació d’un món autònom mitjançant la manipulació lingüística, i és aquesta manipulació la que em sembla impossible de reproduir; només aquells textos que presenten una llengua absolutament funcional, els que anomenem com a eminentment denotatius poden, al meu entendre, ser traduïts sense perdre’n quasi res; els altres, aquells que es basen en l’exploració i l’explotació dels recursos lingüístics, com intento que siguin els meus, perden sempre19. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
93 28 L’exploitation des ressources linguistiques dont est pétrie la littérature serait intraduisible ? Plus loin on lit que la traduction est un manque : « La traducció és sempre una mancança. Per molt bona que sigui, per molt que intenti conservar el color, el gust, l’olor de l’original, el resultat mai no serà el mateix, encara que sigui bo serà tota una altra cosa »20. Le choix de mots tels que « couleur », « goût », « odeur » témoignent sans conteste d’une approche sensitive et sensorielle de la langue qui dépasse son aspect purement linguistique, et cette approche est insaisissable. L’autotraduction devient alors pour qui la pratique une tâche ardue et insatisfaisante. Malgré tout, Carme Riera s’est parfois autotraduite en castillan. C’est le cas de Te deix, amor, la mar com a penyora (1975), Jo pos per testimoni les gavines et Dins el darrer blau (1990) – Premio Nacional de literatura en 1990 –, de Cap al cel obert (1994) qui en est la suite, de La meitat de l’ànima (2003) 21 et de Temps d’innocència. Son expérience a été difficile, avoue-t-elle, à cause de la contrainte de la langue qui est la matière première de la fiction, avant même la fabula. La contrainte de la langue a impliqué, pour l’autotraduction de Cap al cel obert, la réécriture partielle du roman : Em tradueixo al castellà perquè és l’única llengua a la qual em puc traduir. Ho vaig començar a fer perquè em barallava amb la traductora. Traduir-se és una experiència difícil. Més que traduccions faig versions. Mentre traduïa Cap al cel obert em vaig trobar amb una plana que no em sortia. La dificultat era tan gran que vaig decidir canviar l’acció del text. El llenguatge et condiciona moltíssim 22. 2.2. Le choix du catalan comme langue d’écriture 29 Dans le même texte de 1997, elle s’exprime sur le choix du catalan, et sur l’incompréhension de certains pour le choix d’une langue minoritaire. En ce sens, nous retrouvons la même position militante déjà rencontrée chez Pons : En aquest aspecte, l’Estat de les autonomies no ha fet canviar gens les coses; encara hi ha molta gent que aconsella als autors catalans el mateix que li aconsellava Galdós a Narcís Oller, que es passés al castellà. No entenia Galdós, no entenen ara tampoc el públic ni molts col·legues i fins persones intel·ligents i molt assenyades que, si pots emprar dues llengües per comunicar-te, si de fet ets bilingüe, n’empris la que ells consideren inferior i t’entestis en escollir-la per crear, és a dir per ésser. I per ésser escullis precisament la més minoritària per abastar el teu món, per abastar el teu àmbit. Per això crec que, en el fons, ens castiguen amb la ignorància que és sempre el despreci o una forma de despreci. És clar que nosaltres no els fem cas. »23 2.3. Temps d’innocència, ou « la langue sauvée »24 30 Temps d’innocència mérite une attention particulière du point de vue linguistique. La narratrice adulte, revêtant la peau de l’enfant qu’elle fut, nous livre un récit de son enfance, sur les moments qui l’ont le plus marquée, de l’âge de sept à douze ans. Comme on le lit dans le prologue, cette anamnèse passe par la nécessité de retrouver un héritage linguistique en péril, c’est-à-dire par la recréation lexicale de mots tels que amo, madona, missatge, jornalera, botiga, qui ont une signification locale, de certaines formes de respect, comme « senyora-àvia », « senyor-avi », ou la formule de salutation « bon dia tenga ». Toujours dans le prologue, Carme Riera dresse aussi un bilan de la politique de la normalisation linguistique aux Baléares25 : « També la nostra parla era més rica quan jo era petita que no ara. La normalització lingüística, a la llarga, no ha estat tan positiva com pensàvem, també ha servit per pisonar, o al manco, arraconar Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
94 molts termes »26. C’est sur la richesse de cette langue sauvée que nous nous arrêtons à présent. 2.4. Le sentiment de la langue 31 La langue – la parla – de la tante Celestina était à la fois riche et simple, dépourvue des fleurs de la rhétorique, mais d’une plasticité magnifique, comme on peut le percevoir avec des mots ou expressions tels que niala27, aclucada28, tenir l’ànima en els peus : Xerrava, idò, la tia C. un mallorquí d’una vivacitat extraordinària. De fet, ella i les Rondaies em donaren les pautes en començar a escriure. Era la seva una parla alhora rica i planera, sense escarafalls ni retòrica, però d’una plasticitat magnífica. Quan no es trobava gaire bé deia que estava niala o aclucada i sovint tenia l’ànima en els peus de debilitat. (p. 31) 32 La narratrice offre l’exemple suivant de cette langue imagée : « “fer s’ullastre esbrancat”, frase que sovint sortia de la seva boca i que a mi m’agrada emprar encara 29 per senyalar la disposició d’algú per desteixinar-se pels altres. » (p. 31). L’on voit ici la force des mots de l’enfance et des images qu’ils charrient hanter la narratrice jusqu’au présent de l’écriture. Des mots issus de la végétation de l’île, els ullastres, les oléastres, aux branches arrachées ou coupées (esbrancat) pour signifier que l’on se plie en quatre pour les autres. Dans « La blava flor romanial », qui est un hommage à la langue des Rondaies, la fleur bleue de Novalis s’est acclimatée pour devenir romarin. La langue porte en elle la sève (llecor) de la terre30. 33 D’autres aspects remarquables du livre sont les énumérations et les jeux linguistiques. Rappelons, par exemple, l’énumération alphabétique et chaotique des vivres et objets que l’on trouvait dans le seul magasin du village entre Valldemossa et Sóller dans « Can Rasca i l’olor del paradís ». Pour retrouver l’odeur de ce paradis, y a-t-il d’autre moyen que de nommer tous les éléments qui le composent ? Il y a un plaisir évident à les nommer : « A Can Rasca hi havia de tot : arengades, arròs, alfàbies, alambre, ametlles, anous, anís, agulles de cosir i de cap, bobines, bacallà, bòtils, cafè, cabdells de fil de cosir » pour finir sur le chocolat, « xocolate » (p. 110-112). L’évocation se ferme sur l’odeur de Can Rasca, qui était une synthèse d’odeurs, et dont la narratrice donnerait le plus cher des parfums pour la retrouver. Ce fragment littéraire n’est pas sans rappeler, à notre avis, celui de la boutique – butica – du grand-père du narrateur dans Histoire d’une jeunesse. La langue sauvée : 1905-1921 de Canetti, où l’enfant plonge avec délectation les mains dans les grands sacs de céréales. On y vendait aussi du thé, du café, du chocolat, des couteaux, des ciseaux, des pierres à aiguiser, des serpes et des faux 31. 34 Les jurons et les insultes sont aussi évoqués avec un plaisir évident dans « Jutipiris i insults ». Les gamins qui jouent dans la rue insultent la petite fille restée chez elle, en haut : « Mirau-la, s’entabanada, com mos vetlla des d’aquí dalt, boga morta, cara de pancuit…Poma, més que poma, bleda! », insultes auxquelles l’enfant réplique : « Beneits, bàmbols, curts de gambals, doiuts, polissons, esburbats, oiosos… » et auxquelles ils répondent à leur tour : « Ala, vés, tutup, boca molla, betzola, somera, poca-alatxa… » (p. 164-165). 35 Les parémies, ou locutions figées ou semi-figées, sont très nombreuses. Nous avons choisi celles qui sont spécifiquement majorquines : « Polls entrats en costura » (p. 33) 32, « noces de pinyol vermell » (p. 45)33 ; « No fermàvem els cans amb llonganisses » (p. 63)34. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
95 36 Les mots castillans figurent abondamment, dans une écriture évocatrice du bilinguisme de l’époque franquiste, où la Guardia Civil, les religieuses ou les vendeurs de boniments parlaient en castillan. Voici quelques exemples en style direct issus de « La Guàrdia civil » : « Estamos de servicio, muchas gracias, no podemos », « Uno se siente com un pajarito entre las redes de esta mujer » (p. 120), « Deben de ser los pescadores de langosta de Sóller (p. 121) ; les mots cuartelillo (p. 120), cabo (p. 121). Ailleurs : ses civiles (p. 156), els caballitos (p. 170), el contrabando (p. 124). Voici la phrase du « vendeur de paroles » (« Venedors de paraules ») : « Son las señoras las encargadas de la decoración del hogar, principalmente » (p. 171)35. En revanche la langue de la poissonnière est bien le catalan (p. 13). 37 « El virus de la lectura », rappelle les nombreuses lectures en castillan de l’enfant : Rubén Darío, Bécquer, Machado, Zorilla, Valle-Inclán. Ce sont les sons d’une langue littéraire inconnue qui la subjuguent : […] sense voler preguntar a ningú què volien dir les paraules que no entenia, els sons de les quals eren capaços de transportar-me enfora, empesa per la seva màgia. Les paraules, més que no el cavall de la princesa, tenien ales que em permetien volar… (p. 90). 38 Dans une moindre mesure, le roman Les darreres paraules (2016) 36 sur la vie de l’archiduc Lluís Salvador d’Habsburg, contient aussi des allusions linguistiques. Ce personnage étranger, haut en couleurs, qui a nourri l’imaginaire populaire de Majorque et des textes littéraires37, a succombé au charme de l’île. En effet, lors d’un de ses voyages, l’archiduc s’éprend de la voix de Catalina Homar : « Abans l’Emperadriu que la madona de s’Estaca, aquella al·lota, la veu de la qual quan encara era nina em va entendrir fins al moll dels ossos, sense ni tan sols haver-la vist. » (p. 106). Le texte précise la langue de la chanson : « La cançó parlava del mar en la llengua de l’illa » (106). Ensorcelé par cette voix enfantine, Lluís Salvador veut acheter une maison en ruine à Miramar : Record amb quina cara d’estranyesa van contemplar els pagesos la meva proposta de comprar la casa de Miramar […] Quin pebre em feia coure els ulls 38 al davant aquell paisatge que ells no consideraven gens atractiu? Així exactament m’ho digueren, en la seva llengua tan gràfica, tan plenes de referències als treballs i als dies, que de seguida em va robar el cor i la vaig voler aprendre. (p. 109) 39 La parémie « Quin pebre em feia coure els ulls », spécifique des Baléares, est assortie d’un commentaire épilinguistique du narrateur, qui souligne le graphisme de la langue et son effet sur lui, locuteur étranger : elle le ravit (« em va robar el cor ») à tel point qu’il voulut l’apprendre. Plus loin, c’est une remarque sur le rapport intime avec la personne aimée qui est évoqué : « Ella va ser la primera amb qui vaig començar a parlar en mallorquí i potser per això la llengua dels habitants de l’illa té per a mi encara avui cadències de tendresa » (p. 114). Comme dans d’autres romans de Riera, il y a des mots en français, patrimoniaux, issus du champ littéraire comme cocotte (p. 131), demimondain (p. 144), champagne (p. 85) ou de l’italien : palazzo Pitti (p. 98), campaniles (p. 123) « grazie tanta, signore » (p. 119) ; le latin manes (p. 139), alter ego (p. 150) ; des titres d’ouvrages ou de journaux cités en anglais, en français, en allemand… 40 Les exemples choisis dans ces deux ouvrages montrent, au-delà de leur différence générique – Temps d’innocència ouvertement autobiographique, Les darreres paraules un récit de voyage fictionnel à la première personne – la place cruciale du sentiment de la langue chez Riera et son exploitation littéraire. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
96 41 Si Carme Riera et Ponç Pons se considèrent bilingues – aussi bien sur le plan de l’oral que de l’écrit – et font discrètement des incursions dans le terrain des écritures plurilingues ou de l’autotraduction (Riera), leur langue d’écriture coïncide avec la langue maternelle, le catalan, dans ses différentes variantes. De par les nombreuses réflexions linguistiques qui jalonnent les textes, la position militante des auteurs qui y est énoncée et les contraintes génériques qui relèvent des écritures du soi, les trois ouvrages étudiés peuvent être appréhendés, dans une certaine mesure, comme des autobiographies langagières. BIBLIOGRAPHIE ALCOVER-MOLL. Diccionari català-valencià-balear. Palma de Mallorca : Editorial Moll, 2005. Edició electrònica : https://dcvb.iec.cat/ BERMAN, Antoine. Pour une critique des traductions : John Donne. Paris : Gallimard, 1995. BIBOLAS, Noemí. « La memòria són els ulls de l’escriptor ». Avui, 10/06/2006. CANETTI, Elias. Histoire d’une jeunesse. La langue sauvée : 1905-1921. Trad. de l'allemand par Bernard Kreiss. Paris : Albin Michel, 1980. CASSIN, Barbara. Plus d’une langue. Paris : Bayard Jeunesse, 2012. CIORAN, Émile. Aveux et anathèmes. Paris : Gallimard, 1987. CORRONS, Fabrice. « Carme parle de Riera. Pour une biographie plurielle et fragmentaire de l’auteure de la Meitat de l’ànima ». Dans CORRONS, Fabrice ; FRAYSSINHES, Sandrine (eds.). Lire Carme Riera. À propos de La meitat de l’ànima / Llegir Carme Riera. A propòsit de La meitat de l’ànima. Péronnas : Éditions de La Tour Gile, 2010, p. 41-42. GALINDO, Mireia ; DE ROSSELLÓ, Carles ; BERNAT, Francesc. El castellà a la Catalunya contemporànea : història d’una bilingüització. Benicarló : Onada Edicions, La Nau, Sèrie Minor, 23. GÜELL, Mònica. « Espace et territoire dans l’œuvre de Ponç Pons. Notes pour une écopoétique ». Caplletra, 68 (Primavera, 2020), p. 43-58. GÜELL, Mònica. « Els ullastres de Manhattan de Ponç Pons : journal de voyage et poétique des origines ». Revue des Langues Néo-latines, 398 (2021), p. 23-35. MASSIP I GRAUPERA, Estrella. « El plurilingüisme a la poesia de Ponç Pons ». Dans PUJOL BERCHÉ, Mercè (coord.). El llenguatge a la cruïlla de les disciplines. Homenatge al professor Christian Lagarde. Le langage au carrefour des disciplines. Hommage au professeur Christian Lagarde. Perpignan : Presses Universitaires de Perpignan, 2020, p.101-116. MENCÉ-CASTER, Corinne. Pour une linguistique de l’intime. Habiter des langues (néo) romanes : entre français, créole et espagnol. Paris : Classiques Garnier, 2021. PONS, Ponç. Pessoanes. Alzira : Bromera, 2003. PONS, Ponç. El rastre blau de les formigues. Barcelone : Quaderns Crema, 2014. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
97 PONS, Ponç. Els ullastres de Manhattan. Barcelone : Quaderns Crema, 2020. PUJOL BERCHÉ, Mercè. « La construcción de una identidad plurilingüe y la autotraducción al castellano de La meitat de l’ànima de Carme Riera ». Dans LAGARDE, Christian ; TANQUEIRO, Helena (ed.). L’autotraduction aux frontières de la langue et de la culture. Limoges : Lambert Lucas, 2013, p. 213-224. PUJOL BERCHÉ, Mercè. « Mirades creuades Illes Balears i Catalunya: llengua i política lingüística ». Dans GÜELL, Mònica (dir.). Les Illes Balears : Literatura, llengua, història, arts /Les îles Baléares : Littérature, langue, histoire, arts. Canet : Éditions Trabucaire, 2015, p. 47-60. PUJOL BERCHÉ, Mercè. « Quelques repères macrosociolinguistiques et microlinguistiques du catalan pour comprendre sa situation actuelle en Catalogne ». Dans PUJOL BERCHÉ, Mercè (coord.). El llenguatge a la cruïlla de les disciplines. Homenatge al professor Christian Lagarde. Le langage au carrefour des disciplines. Hommage au professeur Christian Lagarde. Perpignan : Presses Universitaires de Perpignan, 2020, p. 299-320. RIERA, Carme. « L’autotraducció com a exercici de recreació ». V Seminari sobre la Traducció a Catalunya. Quaderns divulgatius, 8 (1997), p. 45-52. RIERA, Carme. Temps d’innocència. Barcelone : Edicions 62, 2013. RIERA, Carme. « Sobre un lugar parecido a la felicidad ». Discurso leído el día 7 de noviembre en su recepción pública por la Excma. Sra. Da Carme Riera y contestación por el Excm. Sr. Pere Gimferrer. Madrid : Real Academia Española, 2013. RIERA, Carme. Les darreres paraules. Barcelona : Edicions 62, 2016. SIOUFFI, Gilles. « Du sentiment de la langue aux arts du langage ». Éla. Études de linguistique appliquée, n° 147 (2007/3), p. 265-276. DOI : 10.3917/ela.147.0265. URL : https://www.cairn.info/ revue-ela-2007-3-page-265.htm [consulté le 27-07-2022]. NOTES 1. CIORAN, Émile. Aveux et anathèmes. Paris : Gallimard, 1987. 2. GALINDO, Mireia ; DE ROSSELLÓ Carles ; BERNAT, Francesc. El castellà a la Catalunya contemporània : història d’una bilingüització. Benicarló : Onada Edicions, La Nau, Sèrie Minor, 23. 3. PUJOL BERCHÉ, Mercè. « Quelques repères macrosociolinguistiques et microlinguistiques du catalan pour comprendre sa situation actuelle en Catalogne ». Dans PUJOL BERCHÉ, Mercè (coord.). El llenguatge a la cruïlla de les disciplines. Homenatge al professor Christian Lagarde. Le langage au carrefour des disciplines. Hommage au professeur Christian Lagarde. Perpignan : Presses Universitaires de Perpignan, 2020, p. 299-320. 4. Le concept de bilinguisme est labile, comme l’ont montré tout récemment Francesc Bernat, Mireia Galindo et Carles de Rosselló (d’un point de vue socio-linguistique) et Corinne MencéCaster (linguistique). 5. Par sentiment de la langue nous entendons, tout simplement, un rapport affectif à la langue. Voir aussi MENCÉ-CASTER, Corinne. Pour une linguistique de l’intime. Habiter des langues (néo) romanes : entre français, créole et espagnol. Paris : Classiques Garnier, 2021 et S IOUFFI, Gilles. « Du sentiment de la langue aux arts du langage ». Éla. Études de linguistique appliquée, n° 147 (2007/3), p. 265-276. DOI : 10.3917/ela.147.0265. URL : https://www.cairn.info/revue-ela-2007-3-page-265.htm [consulté le 27-07-2022]. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
98 6. GÜELL, Mònica. « Espace et territoire dans l’œuvre de Ponç Pons. Notes pour une écopoétique ». Caplletra, 68 (Primavera, 2020), p. 43-58. 7. Le plurilinguisme chez ce poète a été étudié de façon très détaillée par Estrella Massip et c’est dans le prolongement de cet article que nous analysons Els ullastres de Manhattan. GRAUPERA, Estrella. « El plurilingüisme a la poesia de Ponç Pons ». Dans MASSIP I PUJOL BERCHÉ, Mercè (coord.). El llenguatge a la cruïlla de les disciplines. Op. cit., p. 101-116. 8. PONS, Ponç. Els ullastres de Manhattan. Barcelone : Quaderns Crema, 2020. Dorénavant Els ullastres. 9. Voir GÜELL, Mònica. « Els ullastres de Manhattan de Ponç Pons : journal de voyage et poétique des origines ». Revue des Langues Néo-latines, 398 (2021), p. 23-35. 10. Les exemples suivants ne prétendent pas être exhaustifs, mais ils sont suffisamment représentatifs de la démarche de l’auteur. 11. Un autre passage d’Els ullastres rappelle, dans la même phrase, la nécessité de préserver le catalan tout en admettant la diversité : « M’agrada la diversitat, la varietat, la diferència. Si tots féssim el mateix tipus de poema seria molt avorrit, igual, empobridor. L’alteritat i la mescla inspiren, enriqueixen, però hem de preservar la llengua i evitar que ens desvirtuïn el territori » (p. 69). 12. La notion de fatigue et de lassitude est de même mise en avant par Emili Boix-Fuster dans le prologue du livre de GALINDO, Mireia ; DE ROSSELLÓ, Carles ; BERNAT, Francesc. El castellà a la Catalunya contemporànea : història d’una bilingüització : « Cansament. Ja fa decennis que em dedico a intentar entendre com ens comuniquem els de la meva cultura, de Fraga a l’Alguer i de Salses a Guardamar. Per què ens resistim, com una colla d’Àsterixs encaparrats, a deixar-nos assimilar pels romans (llegiu espanyols, o francesos)? » (Op. cit., p. 13). 13. PONS, Ponç. El rastre blau de les formigues. Barcelone : Quaderns Crema, 2014, p. 175. Poème cité par Massip dans la conclusion de l’article mentionné en note 6, p. 115. 14. La métaphore in praesentia du pont signifie ailleurs le danger qu’encourt la langue du poète : « Cada llengua és un pont, però el nostre perilla i poca gent el creua » (Ibid., p. 197). 15. De rendez-vous. 16. De sacré Dieu. 17. RIERA, Carme. « Sobre un lugar parecido a la felicidad ». Discurso leído el día 7 de noviembre en su recepción pública por la Excma. Sra. Da Carme Riera y contestación por el Excm. Sr. Pere Gimferrer. Madrid : Real Academia Española, 2013, p. 9. 18. Pour « position traductive » nous suivons BERMAN, Antoine. Pour une critique des traductions : John Donne. Paris : Gallimard, 1995. 19. RIERA, Carme. « L’autotraducció com a exercici de recreació ». V Seminari sobre la Traducció a Catalunya. Quaderns divulgatius, 8, (1997), p. 45-52, repris dans CORRONS, Fabrice. « Carme parle de Riera. Pour une biographie plurielle et fragmentaire de l’auteure de La meitat de l’ànima ». Dans CORRONS, Fabrice ; FRAYSSINHES, Sandrine (eds.). Lire Carme Riera. À propos de La meitat de l’ànima / Llegir Carme Riera. A propòsit de La meitat de l’ànima. Péronnas : Éditions de La Tour Gile, 2010, p. 41-42. 20. Ibid., p. 41-42. 21. Voir PUJOL, Mercè. « La construcción de una identidad plurilingüe y la autotraducción al castellano de La meitat de l’ànima de Carme Riera ». Dans LAGARDE, Christian ; TANQUEIRO, Helena (ed.). L’autotraduction aux frontières de la langue et de la culture. Limoges : Lambert Lucas, 2013, p. 213-224. 22. BIBOLAS, Noemí. « La memòria són els ulls de l’escriptor ». Avui, 10/06/2006, repris dans Lire Carme Riera. À propos de La meitat de l’ànima. Op. cit., p. 42. 23. Ibid. 24. Pour reprendre le beau titre d’Elias Canetti, auteur plurilingue. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
99 25. Sur la politique linguistique dans les Iles Baléares, voir l’article de PUJOL BERCHÉ, « Mirades creuades Illes Balears i Catalunya: llengua i política lingüística ». Dans GÜELL, Mercè. Mònica (dir.). Les Illes Balears : Literatura, llengua, història, arts /Les îles Baléares : Littérature, langue, histoire, arts. Canet : Editions Trabucaire, 2015, p. 47-60. 26. RIERA, Carme. Temps d’innocència. Barcelone : Edicions 62, 2013, Prologue, p. 9. 27. ALCOVER-MOLL. DCVB : « 4. adj. (f. NIALA) fig. dial. Buit, mancat de substáncia o de bona gràcia (mall.); cast. huero. 5. adj., fig. Indispost, mancat de salut completa o de bon humor (mall.); cast. alicaído». 28. ALCOVER-MOLL. DCVB : « Aclucar. 2. Estrènyer, oprimir; cast. oprimir. || 3. Carregar una persona, animal o cosa, fins a fer-lo caure per l'opressió del pes; cast. abrumar ». 29. Nous soulignons. 30. « A més i sobretot dec a les Rondaies mallorquines recollides per en Jordi des Racó, pseudònim emprat per Mossèn Alcover [...] el fet d’haver pogut fer meva la llengua gustosa i rica, plena de llecor de la nostra terra, que ell empra com ningú. En defensa de la nostra llengua, posaria les Rondaies mallorquines de lectura obligatòria a totes les escoles de Mallorca » (Op. cit., p. 96). 31. CANETTI, Elias. Histoire d’une jeunesse. La langue sauvée : 1905-1921 . Trad. de l'allemand par Bernard Kreiss. Paris : Albin Michel, 1980. Dans notre édition de poche, p. 13-14. 32. ALCOVER-MOLL. DCVB : « Poll entrat en costura: persona pujada de no-res i que pretén d'esser molt i de comandar els altres (Mall., Men.) ». 33. ALCOVER-MOLL. DCVB : « Noces de pinyol vermell: de gran qualitat, extremadament bo (Mallorca) ». 34. ALCOVER-MOLL. DCVB : « Lligar (fermar, estacar, nugar) els gossos (o els cans) amb llonganisses: nedar dins l'abundància, poder fer grans despeses ». 35. Nous respectons le style de l’original, avec ou sans italiques. 36. RIERA, Carme. Les darreres paraules. Barcelone : Edicions 62, 2016. 37. Ibid., p. 16-17. Voir aussi le discours de réception de Carme Riera à la Real Academia Española. 38. ALCOVER-MOLL. DCVB : « Quin pebre et fa coure els ulls?: es diu a una persona que es fica en coses que no li interessen i li poden esser perjudicials si s'hi fica (Mall., Men.) ». RÉSUMÉS L’article étudie la présence d’un sentiment de la langue entendu comme un rapport affectif à celleci dans des ouvrages fictionnels relevant des écritures du soi : Els ullastres de Manhattan de Ponç Pons et Temps d’innocència de Carme Riera ainsi que Les darreres paraules. On y interroge la cohabitation entre les différentes langues qui les habitent, notamment le castillan et le catalan, et on effleure aussi la question de l’autotraduction chez Carme Riera. The article studies the presence of a feeling for language understood as an affective relationship to it in fictional works of writing of the self: Els ullastres de Manhattan by Ponç Pons and Temps d'innocència by Carme Riera as well as in Les darreres paraules. The cohabitation between the different languages that inhabit them, especially Castilian and Catalan, is questioned, and the question of self-translation in Carme Riera is also touched upon. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
100 INDEX Keywords : languages, Catalan literature, translation, self-translation, multilingualism, Riera Carme, Pons Ponç Mots-clés : langues, littérature catalane, traduction, autotraduction, plurilinguisme, Riera Carme, Pons Ponç AUTEUR MÒNICA GÜELL Sorbonne Université - CRIMIC EA 2561 monique.guell[at]sorbonne-universite.fr Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
101 Varia Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
102 Le catalan comme langue étrangère dans l’enseignement supérieur en France : des bonnes racines et une excellente santé mais, quel avenir ? Josep Vidal Arráez 1 – Introduction 1 Le catalan est une langue codifiée et standardisée qui s’étend sur une aire linguistique de 68 000 km2 ; elle est composée de deux grandes variantes dialectales (l’orientale et l’occidentale). L’aire linguistique du catalan, plus communément connue sous le nom de Els Països Catalans (Les Pays Catalans)1, est située à cheval entre 4 États européens : l’Andorre, l’Espagne (dans les régions de la Catalogne, le Pays Valencien, les Îles Baléares, la Frange d’Aragon et le Carxe, dans la communauté de Murcie), la France (dans la région de la Catalogne du Nord) et l’Italie (dans la ville de l’Alghero sur l’île de La Sardaigne). Or, même si la plupart des étudiants adultes de catalan sont présents dans les limites de l’aire linguistique catalane, le catalan est aussi étudié à l’étranger depuis la première moitié du XXe siècle. 2 En effet, bien que nous n’ayons pas de dates précises qui indiquent depuis quand on enseigne le catalan à l’étranger, c’est à partir de 1906 et du Primer Congrés Internacional de Llengua Catalana que l’on peut parler à juste titre d’une vraie étude scientifique de la langue, la littérature et la culture catalanes2. Progressivement et grâce aux efforts et à l’insistance, par exemple, des professeurs catalans exilés, de la diaspora intellectuelle catalane ainsi que grâce à l’intérêt porté au catalan par de grands spécialistes européens en langues romanes, les études de langue et de littérature catalanes ont vu le jour dans les programmes d’universités européennes. 3 Selon le rapport annuel de l’Institut Ramon Llull, à ce jour, les centres universitaires qui offrent des études de catalan comme langue étrangère dans le monde sont au nombre de 1343. L’Institut Ramon Llull (dorénavant IRL) est un consortium créé en 2002 Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
103 par les gouvernements de la Catalogne et des Îles Baléares qui a pour principal objectif de promouvoir à l’extérieur des terres catalanes les études de langue et culture catalanes dans le domaine universitaire4. Ainsi, et selon les dernières données publiques que nous avons pu consulter, par exemple en Allemagne, le catalan est appris dans 20 centres universitaires, dans 19 centres aux États-Unis, dans 18 au Royaume-Uni et dans 16 en France. Parmi ces 134 universités, 90, distribuées dans 26 pays (71 en Europe, 15 en Amérique et 4 en Asie) accueillent un lecteur coordonné par l’IRL et ont reçu une aide financière de sa part pour assurer l’enseignement du catalan. Dans l’ensemble de ces 90 universités, en 2020, le nombre d’inscrits aux cours de langue et de culture catalanes étaient de 6 5455, dont la plupart en France (2 018), en Allemagne (675), au Royaume-Uni (514) et en Italie (496)6. Plus précisément, ce sont les cours de langue qui présentent les pourcentages d’inscrits les plus élevés (66,4 %), surtout dans les niveaux A1, A2 et B1 (92,4 %) tandis que l’enseignement de la littérature, la culture, la linguistique et la traduction regroupaient 33,5 % des inscriptions 7. 4 Étant donné que la France est le pays de l’Europe qui compte le plus grand nombre d’étudiants de catalan comme langue étrangère (CLE), cette étude cherche, tout d’abord, à actualiser l’histoire de cet enseignement sur ce territoire. Nous rendrons compte ainsi de la typologie actuelle de l'offre de formation en CLE en précisant les caractéristiques du corps enseignant qui la composent. 2 – Histoire du CLE dans l’enseignement supérieur en France : de bonnes racines 5 Comme le notait déjà Corrons en 2011, essayer de faire un état des lieux exhaustif de l’offre de formation en catalan en France est voué à l’échec tant il existe de dispositifs et de combinaisons possibles pour les étudiants au sein d’une même université. En effet, depuis l’autonomie des universités françaises en 2007, les maquettes universitaires, les directives des établissements ainsi que les curricula et les objectifs pédagogiques peuvent changer et évoluer tous les cinq ans et l’enseignement des langues comme le catalan, langue MoDiME (langue moins diffusée et moins enseignée) en France, s’en trouve affecté. Ceci étant dit, nous souhaitons présenter le panorama des études catalanes dans l’enseignement supérieur en France depuis ses origines et jusqu’à nos jours dans leur diversité pour mieux en comprendre les raisons ainsi que son offre pléthorique actuelle. 6 Afin d’aborder l’enseignement du catalan dans les universités françaises, il est indispensable de présenter, tout d’abord, sa double appartenance dans les sections du Conseil National des Universités (dorénavant CNU). En effet, il relève de deux sections du CNU, d’une part, de la 14e section, Langues et littératures romanes : espagnol, italien, portugais, et autres langues romanes ; et d’autre part, de la 73e section, Cultures et langues régionales8. Toutefois, étant donné que nous souhaitons seulement aborder la situation du catalan comme langue étrangère dans l’enseignement supérieur dans les universités françaises, nous aborderons le contexte historique général des études catalanes en France en lien avec la 14e section. Concernant le contexte et l'offre de formation du catalan comme langue régionale (73e section), les ouvrages de Martine Berthelot (2016) et de Josep Vidal (2021) en présentent les principales caractéristiques 9. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
104 7 Tel que l’expose Corrons, le lien étroit entre la langue catalane et le domaine hispanique dans le supérieur est notable « particulièrement lorsqu’on la compare avec d’autres langues des mondes hispaniques, voire d’autres langues MoDiMEs » 10. En effet, le fait que le catalan soit une langue de la péninsule ibérique lui accorde le droit d’intégrer la 14e section du CNU et donc, les départements d’études hispaniques et hispano-américaines des universités françaises. Toujours d’après Corrons, ce lien entre le catalan et le domaine hispanique dans l’enseignement supérieur remonterait au développement de la romanistique entre la fin du XIXe siècle et le début du XX e et à la « politique de diffusion de la langue et de la culture menée à bien par la Mancomunitat puis la Generalitat de Catalunya sous la Seconde République » 11. D’autres auteurs comme Montserrat Casacuberta situent plutôt dans les années 1960 l’essor de l’enseignement du catalan en France12. 8 La plupart des références bibliographiques consultées notent que les premiers enseignements de catalan en France, relevant de la 14e section du CNU, datent de 1966 quand Marie Buira devient la première lectrice, à la Sorbonne. Cependant, selon Barral (1971), les études d’initiation à la langue catalane à l’université de la Sorbonne ont commencé en 1963, avec M. Mut. De plus, Barral (1971)13 ajoute qu’en 1954 débutait ce même genre d’études à Toulouse14. Néanmoins, le nom de Buira et la date de 1966, sont attestés et servent donc de manière tangible de référence. 9 Toutefois, il faut noter qu’un an auparavant (1965), la chaire d’histoire économique et sociale de l’université de la Sorbonne avait été attribuée à un spécialiste de la Catalogne, l’historien occitan Pierre Vilar. Ainsi, nous pensons que l’intérêt pour la Catalogne ou pour les études de catalanistique devait être plus anciens ce qui expliquerait pourquoi, en 1968, Georges Straka, professeur des universités d’études romanes à l’Université de Strasbourg, en collaboration avec l’illustre grammairien Antoni M. Badia i Margarit et le lexicologue Germà Colón, ont lancé le premier colloque international de langue et de culture catalanes. D’ailleurs, c’est ce colloque qui est à l’origine de l’Associació Internacional de Llengua, Literatura i Cultura Catalana (AILLC), association créée ultérieurement, en 1973, à Cambridge, et qui avait par objectif de rassembler tous ceux qui s’intéressaient à la langue et la littérature catalanes ainsi que de promouvoir les manifestations de la culture d’expression catalane. Notons aussi dans ces années-là la publication de deux numéros sur la littérature catalane par la prestigieuse revue littéraire Europe, le premier en mars 1958 (nº 347) et le deuxième en décembre 1967 (nº 464). Enfin, nous n’oublions pas qu’en 1964 il y avait déjà eu trois rééditions de la grammaire catalane pour les Français rédigée par Pompeu Fabra 15, le plus important des linguistes catalans, créateur de la grammaire normative catalane dont la dernière actualisation date de 2016. 10 Cet intérêt académique naissant pour le catalan est confirmé par la quantité d’universités françaises qui mettent en place des cours de catalan à la fin des années 1960 et au début des années 1970, comme par exemple à Toulouse, vraisemblablement depuis 1954 mais recensé à partir 1968, sous la houlette d’Alfons Serra-Baldó ; à Rennes, en 1969, grâce à Mathilde Bensoussan et à Perpignan, en 1971, grâce à Joan Becat. En plus des cours de langue, des universitaires français portent un intérêt à des intellectuels catalans. Citons à Grenoble, Armand Llinarès qui vers les années 1968 travaille sur la figure et l’œuvre du philosophe majorquin de langue catalane Ramon Llull ou encore à Limoges, en 1970, les cours de civilisation espagnole centrés sur la Catalogne de Maurice. Molho16. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
105 11 Ainsi donc, l’intérêt pour l’étude scientifique de la langue, la littérature et la culture catalanes se manifeste dans le milieu français universitaire depuis la deuxième moitié des années 1950. À chaque rentrée et comme en témoigne Eliseu Trenc, « il est important de dire que, généralement, c’est la présence dans ces universités d’un enseignant catalaniste qui a permis l’enseignement du catalan » 17. Le Centre d’Études Catalanes de l’Université de Paris 4 en offre de nombreux exemples : depuis sa création, son potentiel s’est accru avec l’arrivée des professeurs Maurice Molho, Montserrat Prudon, Marie-Claire Zimmermann et, ultérieurement, Denise Boyer et Mònica Güell. Toutefois, « quelques universités importantes qui ont une ancienne tradition d’études hispaniques comme Lille, Dijon, Poitiers et Nantes n’offrent pas de catalan dans leurs programmes d’études simplement car elles n’ont pas de spécialistes de catalan parmi leurs enseignants »18. 12 Cet enseignement du catalan dans les universités françaises a augmenté notablement dans les années 1980 puis dans les années 1990. Concrètement, en 1982 est créé le premier Diplôme d'Études Universitaires Générales de catalan, suivi en 1983 par celle de la Licence de catalan puis, en 1984, de la Maîtrise dans les universités d’AixMarseille, Paris 4, Paris 10, Pau, Perpignan et Toulouse. Parallèlement, des enseignements optionnels continuaient à être proposés aux étudiants 19 : Dans les années 1990, ce mouvement de consolidation de l’enseignement de la langue catalane s’amplifie [...]. [E]n 1991, deux chaires de catalan sont créées en France — une à Paris IV et l’autre à Montpellier — ce qui permet de consolider institutionnellement et scientifiquement l’enseignement de la langue et de la culture catalanes. 13 Le 26 novembre 1990, est créée l’Association Française des Catalanistes (dorénavant AFC) par les enseignants Denise Boyer, Marie Buira, Montserrat Prudon, Eliseu Trenc et Marie-Claire Zimmermann suite au Congrés de l’Associació Internacional de Llengua i Literatura Catalanes tenu à Toulouse en 1988. L’AFC nait avec l’objectif de travailler pour le développement de la recherche et l’enseignement dans tous les domaines de la culture catalane, de répandre et de publier les résultats de leurs recherches ainsi que d’établir un contact permanent entre les chercheurs universitaires et les créateurs artistiques des pays impliqués dans ce domaine. Ainsi, à partir de 1996, l’AFC participe à l’organisation de l’option de catalan du concours national de l’agrégation d’espagnol, organise des colloques internationaux, publie des ouvrages concernant la catalanistique et édite une revue annuelle, la Revue d’Études Catalanes (REC). 14 Par conséquent, ce grand développement de l’enseignement du CLE dans le milieu supérieur français a fini par multiplier de façon exponentielle les offres de formation. 3 – Offre actuelle et corps enseignant des études catalanes dans le milieu universitaire en France : une bonne santé 15 De nos jours et dans le cadre de la 14e section du CNU, le catalan est enseigné dans 17 centres universitaires français distribués dans 13 villes, comme nous pouvons le voir dans le Tableau 1 : Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
106 Tableau 1 – Tableau des villes et des universités français qui offrent un enseignement supérieur de catalan. VILLES UNIVERSITÉS Amiens Université Picardie-Jules Verne Béziers Centre Duguesclin Bordeaux Université Bordeaux-Montaigne Grenoble Université Grenoble Alpes Lille Université Lille Lorient Université Bretagne-Sud École Normale Supérieur de Lyon Lyon Université Lumière Lyon 2 Marseille Université Aix-Marseille Montpellier Université Paul Valéry-Montpellier 3 Sorbonne Université Paris Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis Rennes Université Rennes 2 Saint-Etienne Université Jean Monnet-Saint Etienne Université de Toulouse 1 Capitole Toulouse Université de Toulouse 2 - Jean Jaurès Travail de l’auteur 16 Or, les études de catalan ont aussi existé ponctuellement — mais n’existent plus — dans les 9 centres universitaires suivants20 : à l’Université de Reims Champagne-Ardenne (2020), l’Institut National Universitaire Champollion à Albi (2018), l’Université de Bourgogne (2016), l’Université de Paris 12 (2016), l’Université de Nantes (2016), l’Université Paris Nanterre (2014), l’Université du Littoral Côté d’Opale (2010), l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (2008) et à l’Université de Rouen Normandie (2008 ?)21. En outre, nous trouvons des traces documentaires qui indiquent que les universités d’Artois, Haute Alsace et Rouen ont aussi envisagé de mettre en place un enseignement de catalan mais sans résultats satisfaisants. 17 Cette répartition géographique vaste mais inégale se traduit aussi dans l’offre de formation de chaque université. Cependant, de manière générale, et toujours en Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
107 conformité avec la 14e section du CNU, l’enseignement de catalan est présenté en tant que Master Bidisciplinaire Occitan-Catalan — c’est le cas à l’Université de Toulouse 2 Jean Jaurès (dorénavant UT2J) —, comme Licence LLCER catalan — aussi à l’UT2J — , comme parcours de Licence LLCER espagnol — cas de l’Université Paris-Sorbonne, maintenant Sorbonne Université, par exemple —. Il est aussi proposé pour préparer l’épreuve de catalan à l’agrégation d’espagnol — à l’Université de Bordeaux Montaigne ou à l’École Normale Supérieur de Lyon (dorénavant ENS), entre autres —. Enfin, il est présent comme discipline associée — par exemple, à Paris 8, à l’UT2J et à AixMarseille — 22. 18 De plus, dans un grand nombre d’universités et de façon non exclusive, des unités d’enseignement du catalan sont proposées en tant qu’options pour des spécialistes d’autres disciplines (dorénavant LANSAD) — c’est le cas dans la plupart des universités françaises comme Grenoble Alpes, Picardie – Jules Verne ou Rennes 2 —. De plus, on trouve des Diplômes d’Université (DU) — cas de l’Université d’Aix-Marseille, de Lille ou de Sorbonne Université, par exemple — qui peuvent avoir des formats divers offrant une combinaison imposée ou très ouverte de choix d’unités d’enseignement généralement piochées dans les enseignements de niveau Licence. Toutes les universités, nommées ici en exemples, présentent plusieurs modalités d’apprentissage du catalan. 19 Pour rendre compte de l’ensemble de l’offre de formation concernant le catalan dans l’enseignement supérieur en France, nous avons réalisé un tableau récapitulatif (voir Tableau 2)23. Tableau 2 – Récapitulatif de l’offre de formation des universités française concernant le catalan, année universitaire 2021-2022 Travail de l’auteur 20 Cependant, et nous tenons à le souligner, certaines de ces formations sont mutualisées avec d’autres, c’est-à-dire que par exemple, dans une même université, les trois niveaux de langue qui peuvent être choisis en tant que matière optionnelle correspondent aux trois niveaux (un par an) du DU existant dans l'établissement. Par ailleurs, certains cours organisés en niveaux de langue sont intégrés dans un cursus de Licence qui se combine avec une discipline associée. Ce sont ces solutions internes déjà Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
108 soulignées qui conduisaient Corrons24 à dire qu’« il est impossible de rendre compte des spécificités des dispositifs d’apprentissage du catalan en France » 25. 21 Pour assurer les enseignements dans ces différentes filières, la communauté enseignante de la langue et de la culture catalane doit être conséquente. Cette communauté enseignante intègre des Professeurs d’Université (dorénavant PU) en exclusivité pour le catalan — chaires de Paris 4 (maintenant Sorbonne Université) et de Montpellier26 —, des Maîtres de Conférences (dorénavant MCF) de profil hispaniste dont une partie des enseignements est faite en catalan, des Professeurs Agrégés d’espagnol (dorénavant PRAG), des attachés temporaires d’enseignement et de recherche (dorénavant ATER) doctorants ou jeunes docteurs, des lecteurs ou encore des chargés de cours. La catégorie de personnel dont l’effectif est le plus grand est celle des lecteurs : ils sont 12 dans les 17 universités françaises. 22 À partir du début du XXIe siècle, la multiplication et la diversification de l’offre des études catalanes a été progressivement gérée par la coopération franco-catalane notamment grâce au l’IRL. En effet, l’IRL a compris l’importance stratégique de la France par rapport à la catalanistique internationale et a mis en place, en 2008, une délégation française, poste occupé depuis par Raül David Martínez. Autant l’IRL que son délégué en France mènent un énorme travail de coordination des lectorats de catalan « pour asseoir la projection de la langue catalane », un « développement (qui) est davantage planifié, certaines lignes budgétaires étant allouées à la consolidation de l’offre existante »27. 23 Comme il a été évoqué précédemment, l’IRL soutient plusieurs lectorats de catalan dans le monde, que ce soit au niveau administratif ou financier, dont 11 en France 28. Parmi les 2 018 étudiants universitaires de catalan en France en 2020, 71,1 % suivaient les cours de langue (tous niveaux confondus) et 28,9 % de littérature et/ou de civilisation catalanes dispensés par les lecteurs de catalan de l’IRL. Or, bien que l’offre et les modalités de chaque université diffèrent, nous notons qu’elles se concentrent majoritairement sur les premiers niveaux de langue (A1, A2, B1). 24 En 2022, toute l’offre en catalan encadrée par la 14e section du CNU est assurée par une communauté de 30 enseignants répartis comme suit : 3 PU (Université Bretagne-Sud, Sorbonne Nouvelle et Sorbonne Université)29, 9 MCF (Université Aix-Marseille, Université Bordeaux-Montaigne, Université Grenoble Alpes, Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis, Sorbonne Université [2], Université de Toulouse 1 Capitol et UT2J [2]), 1 PRAG. (Paul Valéry), 2 ATER (Aix et UT2J), 12 lecteurs (Aix, ENS, Grenoble, Jules Verne, Lille, Lyon 2, Paris 8, Sorbonne Université [2], Paul Valéry, Rennes 2 et UT2J), 3 chargés de cours (Paris 3, Saint Etienne et UT2J). Néanmoins, les données sont trompeuses. 25 Par exemple, d’une part, parmi les 3 PU, seulement deux (Bretagne-Sud et Sorbonne Université) font des cours annuels de catalan alors qu’un (Paris 3) enseigne le catalan seulement s'il y a des inscrits pour le concours de l’agrégation en option catalan. D’une autre part, parmi les 9 Maîtres de Conférences comptabilisés, 2 ne font que des cours de catalan dans la préparation pour l’agrégation d’espagnol (Aix et Grenoble), un fait seulement des cours de civilisation catalane en français (Paris 8), un autre fait seulement des cours de traduction (UT2J) et un autre ne fait qu’un cours intensif de langue, en fin d’année, pour les étudiants partant en Erasmus dans des territoires de langue catalane (Toulouse 1 Capitole). Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
109 26 Ainsi, étant donné qu’il n’y a pas toujours d’inscrits dans les cours de la préparation à l’agrégation — à la différence de toutes les autres typologies de cours qui, historiquement, enregistrent toujours des inscriptions d'étudiants —, on peut dire que le nombre d’enseignants habituels de catalan en France est de 27 distribués comme suit : 2 PU, 7 Maîtres de Conférences, 1 PRAG., 2 ATER, 12 lecteurs et 3 chargés de cours. 27 Ainsi, nous notons que c’est la figure du lecteur qui endosse le rôle le plus important dans la communauté enseignante du catalan en France. Pourtant, la condition du lecteur est temporaire. Dans le décret nº 87-754 du 14 septembre 1987 relatif au recrutement de lecteurs de langue étrangère (1987), il est précisé que, par défaut, le lectorat a une durée d’un an renouvelable pour la même période. Toutefois, le décret fait une distinction entre les lecteurs par candidature spontanée sélectionnés par l’université et les lecteurs désignés par les autorités de leur pays dans le cadre d’une convention de réciprocité dans les échanges. Dans ce dernier cas, au moment de la signature du contrat il faut fixer une durée d’un, deux ou trois ans, renouvelables une seule fois pour la même période. C’est ainsi que d’une université à l’autre, la durée du contrat d’un lecteur peut aller d’une année à trois années, dans les deux cas renouvelables. Cette situation contractuelle des lecteurs semble en contradiction avec leurs missions d’enseignement du catalan en France d'autant plus si l’on considère leur formation académique. 28 En effet, d’après une enquête que nous avons menée en janvier 2022, seulement 58,3 % des lecteurs de catalan en France sont en possession d’une Licence de catalan, 33,3 % n’ont pas suivi d’études de Master en lien avec l’enseignement du catalan ni l’enseignement du catalan en tant que langue étrangère et, 33,3 % se trouvent dans leur première année d’enseignement comme lecteurs. En outre, 25 % de ces lecteurs sont censés donner des cours de civilisation. Enfin, interrogés sur le recours qu’ils pourraient avoir à un manuel dans leurs cours de civilisation, 75 % répondent par la négative car ils n’en connaissent aucun. Ces données rejoignent celles obtenues dans une autre étude portant sur l’ensemble des lecteurs dans le monde, en 2017, lors des Journées internationales des enseignants de catalan. En effet, seulement 43 % des lecteurs avaient suivi une Licence de catalan, 51,35 % n’avaient pas suivi d’études de Master concernant l’enseignement du catalan et dans 85 % des cas, le lecteur était en charge de cours de civilisation. Dans 70 % des cas, ces cours comprenaient au moins un dossier que le lecteur devait créer et 30 % d’entre eux n’utilisait ni dossier, ni manuel. 4 – Conclusions : quel avenir ? 29 Les résultats de notre étude nous amènent à faire deux constats. Le premier est que l’enseignement de la langue catalane comme langue étrangère dans les universités françaises est bien ancré, compte tenu du fait que son enseignement a plus d’un siècle d’histoire ininterrompue. Le deuxième constat est qu’il jouit d’une excellente santé, notamment si nous le comparons avec l’enseignement d’autres langues MoDiMEs de la péninsule ibérique telles que le galicien ou l’euskara, par exemple. Néanmoins, notre étude a permis aussi de mettre en exergue qu’il existe une problématique de fond qui pourrait réduire à néant tous les efforts consacrés et déployés jusqu’à maintenant : laisser reposer sur les épaules des lecteurs la charge pédagogique la plus importante. 30 En effet, comment nous avons pu le mettre en évidence, le corps enseignant du CLE dans les universités françaises est constitué d'une majorité de lecteurs. De ce fait, il Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
110 semble évident que ce soient eux qui assument la plupart des cours existants dans l’offre de formation des études catalanes et, ceci est, pour le moins, préoccupant, principalement pour deux raisons. Tout d’abord, chaque lecteur assure cette fonction de manière éphémère (d’un à six ans). Le fait qu’ils soient embauchés seulement pour une courte durée, et avec un salaire peu conséquent, n’encourage pas trop l’engagement pédagogique, ni de recherche, de ces jeunes enseignants qui, pour la plupart, devront se réorienter après un, deux ou trois ans d’exercice. La deuxième raison de notre préoccupation réside dans le fait que la plupart des lecteurs manquent de formation et de connaissances pour assurer les cours qui leur sont confiés. Les critères de recrutement des lecteurs semblent reposer sur les compétences linguistiques et culturelles de natifs et laissent de côté les compétences pédagogiques qui s’acquièrent avec une formation, particulièrement si on se destine au métier d’enseignant. Ainsi, par exemple, comment les lecteurs de CLE peuvent-ils choisir les contenus culturels à aborder en classe de civilisation s’ils n’y ont pas été formés au préalable et qu’ils ne connaissent pas, non plus, la pédagogie appliquée en France dans l'enseignement des langues dans le supérieur ? D’après quels critères opèreront-ils leurs choix ? Cette situation nous laisse penser, donc, que les lecteurs sont obligés de façon inéluctable soit à reproduire des stéréotypes, soit à se baser sur leur propre bagage culturel afin d’établir les critères qui les amèneront à déterminer les contenus culturels à travailler30. 31 Par conséquent, d’une part, il nous semble fort préoccupant pour l'avenir de l'enseignement du catalan dans les universités françaises qu’il n’y ait pas un nombre plus important de MCF de catalan autant pour assurer les cours offerts, que pour guider convenablement les différents lecteurs qui prennent en charge une tâche si importante, de nos jours, qu'est le développement des compétences linguistiques et interculturelles chez les apprenants. D’autre part, force est de constater le manque d’une véritable volonté des établissements universitaires français pour inverser cette situation. En effet, nous notons qu’au cours des dix dernières années, pas un seul poste de MCF d’études hispaniques fléché catalan n’a été ouvert31. 32 Ainsi, quel avenir ont les études de catalan comme langue étrangère dans les universités françaises ? Il nous semble indéniable que tant le maintien que le développement des études catalans dans l’éducation supérieure en France passent par la création de nouveaux postes qui puissent servir à assurer la survie d’un enseignement qui ne cesse pas de générer de l’intérêt et, par conséquent, de faire augmenter l’offre d’études. BIBLIOGRAPHIE BARRAL, Xavier. L’ensenyament del català a Europa i Amèrica del Nord. Barcelone : Gràfiques Rafael Salvà, 1971. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
111 BENSOUSSAN, Mathilde. « Entorn de la lenta penetració de les lletres catalanes a França ». Estudis romànics, 26 (2004), p. 269-273. https://www.raco.cat/index.php/estudis/article/view/237768 [consulté le 09-03-2022]. BERTHELOT, Martine. « Enseignement et situation du catalan dans les universités françaises ». Revue d’études catalanes, 2 (2016), p. 173-189. https://raco.cat/index.php/REC/article/view/ 375977/469275 [consulté le 09-03-2022]. BORI, Pau. La enseñanza del catalán en el mundo y la catalanística internacional. Departamento de Estudios Ibéricos Facultad de Filología Universidad de Belgrado, 2020. http://doi.fil.bg.ac.rs/pdf/ journals/analiff/2020-1/analiff-2020-32-1-14.pdf [consulté le 09-03-2022]. BOVER, Agustí. Manual de catalanística. Barcelone : PAMSA i Diputació de Tarragona, 1993. CASACUBERTA, Montserrat. « Trenta anys de català a la Universitat de Rennes 2. Resultats de l’enquesta recollida entre els alumnes del curs 1998-1999 ». Dans AA. VV. Els Països Catalans i el Mediterrani : mites i realitats. Barcelone : Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 2001, p. 9-14. CORRONS, Fabrice. « Un corps de caméléon, une tête d’âne et une queue de salamandre... Réflexions sur la présence de la langue et de la culture catalane (langue seconde) dans l’université française en 2010 ». Dans HEITZ, Françoise ; LE VAGUERESSE, Emmanuel (éds.), L’enseignement de la langue dans l’hispanisme français, Reims : EPURE, 2011, p. 155-176. FABRA, Pompeu. Abrégé de Grammaire catalane. Paris : Belles-Lettres, 1928. INSTITUT RAMON LLULL. Memòria 2020. Barcelone, 2020. https://llull.cat/IMAGES_22/ MemoriaLlull2020.pdf [consulté le 09-03-2022]. LACUEVA, Maria. Didàctica Universitària dels estudis culturals. Pràctiques i tendències en la Catalanística i la Hispanística. Sarrebruck : Saarland University Press, 2017. MANUEL-ORONICH, Ruben ; REPISO-PUIGDELLIURA, Gemma ; TUDELA-ISANTA, Anna. «Motivations to learn Catalan outside the Catalan-speaking community: factors and affecting variables». International Journal of Multilingualism. Londres : Routledge, 2021. TUDELA-ISANTA, Anna ; VIDAL-ARRÁEZ, Josep ; REPISO-PUIGDELLIURA, Gemma ; MANUEL-ORONICH, Ruben « Característiques de l’alumnat de català L2 fora del domini lingüístic ». Treballs de Sociolingüística Catalana, 30 (2020), p. 39-55. https://raco.cat/index.php/TSC/article/view/374466 [consulté le 09-03-2022]. TRENC, Eliseu. « L’ensenyament del català a França ». Dans Jornades de catalanística a Praga. Andorre : Imprenta Solber, 2007, p. 252-259. VIDAL, Josep. La représentation de la culture dans la didactique des langues étrangères : le cas du catalan en France. Diss. Universitat de Vic-Universitat Central de Catalunya, 2021. https://tel.archivesouvertes.fr/tel-03370043 [consulté le 09-03-2022]. VIDAL, Josep. « Ipséité et altérité dans le concept de « culture catalane » ». Dans CORRONS, Fabrice ; MARTÍNEZ, Michel (eds.). La présence catalane à l’étranger. Canet : Trabucaire, 2020, p. 69-83. VIDAL, Josep. « La cultura en els manuals de CLES ». Revue d’Études Catalanes, 4 (2018), p. 100-109. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03483936/document [consulté le 09-03-2022]. VIDAL, Josep. « La “culture catalane” dans les manuels d’enseignement de Catalan Langue Étrangère et Seconde ». Lengas, 83 (2018). https://journals.openedition.org/lengas/1473 [consulté le 09-03-2022]. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
112 VIDAL, Josep et al. (2022). « La représentation de la culture catalane dans l’enseignement supérieur en France ». Revue des Langues Néo-Latines, 401 (2022), p. 9-26. NOTES 1. Le concept de Pays Catalans est apparu par la première fois au XIX e siècle sous la plume de Benvingut Oliver Esteller, historien valencien, mais a été surtout popularisé par Joan Fuster, au XXe siècle, dans son ouvrage Nosaltres, els valencians (1962). 2. BOVER, Agustí. Manual de catalanística. Barcelone: PAMSA i Diputació de Tarragona, 1993. Citons par exemple les œuvres comme Das Katalanische (1925), de Wilhelm Meyer-Lübke ; la création de l’Anglo-Catalan Society (ACS) en 1954, ou encore la constitution de l’Associació Internacional de Llengua i Literatura Catalanes (AILLC) en 1973. 3. INSTITUT RAMON LLULL. Memòria 2020. Barcelone, 2020. https://llull.cat/IMAGES_500/ MemoriaLlull2020.pdf [consulté le 09-03-2022]. 4. Il faut quand même souligner que le Gouvernement catalan avait déjà mis en place à ce même effet, en 1997, la Comissió de Promoció de l’Ensenyament del Català a les Universitats de fora de l’Àmbit Territorial de Catalunya. 5. Pour plus d’informations concernant le profil et les motivations des étudiants de catalan à l’étranger, veuillez consulter Gemma ; MANUEL-ORONICH, TUDELA-ISANTA, Anna ; VIDAL-ARRÁEZ, Josep ; REPISO-PUIGDELLIURA, Ruben. « Característiques de l’alumnat de català L2 fora del domini lingüístic ». Treballs de Sociolingüística Catalana, 30 (2020), p. 39-55. https://raco.cat/index.php/ TSC/article/view/374466 [consulté le 09-03-2022] et Gemma ; TUDELA-ISANTA, MANUEL-ORONICH, Ruben ; REPISO-PUIGDELLIURA, Anna. «Motivations to learn Catalan outside the Catalan-speaking community: factors and affecting variables». International Journal of Multilingualism. Londres : Routledge, 2021. 6. La liste complète des universités financées par l’IRL qui offrent des études de catalan dans le monde, pour l’année universitaire 2020-2021, est en ligne sur : https://www.llull.cat/catala/ aprendre_catala/mapa_llengua.cfm. 7. Les rapports annuels de l’Institut Ramon Llull, disponibles sur son site web fournissent toutes les informations concernant les études de catalan dans le monde. 8. La section 73 du CNU a été créée en 1992. Décret 92-70 du 16 janvier 1992 (Berthelot, 2016, p. 166). 9. BERTHELOT, Martine. « Enseignement et situation du catalan dans les universités françaises ». Revue d’études catalanes, 2 (2016), p. 173-189. https://raco.cat/index.php/REC/article/view/ 375977/469275 [consulté le 09-03-2022]. VIDAL, Josep. La représentation de la culture dans la didactique des langues étrangères : le cas du catalan en France. Diss. Universitat de Vic-Universitat Central de Catalunya, 2021. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03370043 [consulté le 09-03-2022]. 10. CORRONS, Fabrice. « Un corps de caméléon, une tête d’âne et une queue de salamandre... Réflexions sur la présence de la langue et de la culture catalane (langue seconde) dans l’université française en 2010 ». Dans HEITZ, Françoise ; LE VAGUERESSE, Emmanuel (éds.). L’enseignement de la langue dans l’hispanisme français. Reims : EPURE, 2011, p. 155-176. 11. Ibid., p. 263. 12. Toutefois, nous notons que des cours de culture catalane commencent bien auparavant, en 1928, suite à la création du Centre d’études de l'Art catalan et de la Civilisation catalane (CEACC), de la main de Francesc Cambó. 13. BARRAL, Xavier. L’ensenyament del català a Europa i Amèrica del Nord. Barcelone : Gràfiques Rafael Salvà, 1971. Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
113 14. Bien que Bori (2020) situe le début des études de catalan à Toulouse en 1949, autant la bibliographie y faisant référence que les sources consultées à l’Université de Toulouse, nous indiquent que ces études ont commencé, plutôt, en 1954. 15. FABRA, Pompeu. Abrégé de Grammaire catalane. Paris : Belles-Lettres, 1928. 16. Toutes ces données ont été extraites de Barral (1971) et Corrons (2011) et nous avons essayé de les confirmer grâce à des entretiens téléphoniques et virtuels avec plusieurs professionnels de la catalanistique française et qui font ou ont fait partie de l’Association Française des Catalanistes. 17. TRENC, Eliseu. « L’ensenyament del català a França ». Dans Jornades de catalanística a Praga. Andorre : Imprenta Solber, 2007, p. 253. 18. Ibid., p. 254. Il faut noter qu’à ce jour, l’Université Charles de Gaulle Lille 3 propose des études de catalan. 19. CORRONS, Fabrice. « Un corps de caméléon, une tête d’âne et une queue de salamandre... ». Art. cit., p. 266. 20. Entre parenthèses est indiquée la dernière année connue où il y a eu des cours de catalan et dont nous avons connaissance. Ces données ont été fournies par le délégué de l’IRL en France, Raül David Martínez. 21. Bien que nous n’ayons pas de certitude sur la date à laquelle les études de catalan ont disparu à Rouen, nous savons qu’elles ont existé jusqu’à l’année universitaire 2007-2008. 22. À l’Université d’Aix-Marseille, à la différence de Paris 8 et de l’UT2J, la « discipline associée catalan » apparaît sous le nom de « axe catalan » et peut être choisie seulement à partir de la deuxième année de licence. 23. La dernière actualisation de ce tableau a été effectuée l’hiver 2022. Les sigles LG, LT, TD et CV correspondent respectivement à cours de langue, cours de littérature, cours de traduction et à cours de civilisation. 24. CORRONS, Fabrice. « Un corps de caméléon, une tête d’âne et une queue de salamandre... ». Art. cit., p. 253. 25. Toutes les informations qui apparaissent dans le tableau précédent ont été extraites des sites web des universités mentionnées, sont issues d'informations obtenues gracieusement par l’IRL ainsi que d’entretiens télématiques avec les différents lecteurs de l’IRL et de quelques responsables des enseignements de catalan en France. L’ordre dans lequel apparaissent les universités est celui établi précédemment dans le Tableau 1 De plus, les onglets « Été » et « Autres » font référence respectivement à des cours intensifs pour les étudiants français partant en Erasmus dans des territoires catalanophones et à des cours et séminaires de Master qui intègrent certains cours en relation avec la langue, la littérature ou la culture catalanes. 26. À la date de rédaction de l’article, la chaire de l’Université Paul Valéry-Montpellier 3 était sur le point de disparaître. 27. CORRONS, Fabrice. « Un corps de caméléon, une tête d’âne et une queue de salamandre... ». Art. cit., p. 267. Il faut préciser que les mots de Corrons font référence à l’IRL en général et non pas à la France en particulier. 28. Il faut souligner qu’à l’Université de Paris 3 et à Saint Étienne, l’IRL ne soutient pas financièrement un poste de lecteur mais celui d'un chargé de cours. 29. Il faut noter que les postes de PU de Bretagne-Sud et de Sorbonne Nouvelle ne sont pas spécifiquement des postes fléchés catalan, mais de postes de PU qui encadrent l’offre de formation. Actuellement, après le départ de Michel Bourret (Montpellier 3), le seul poste de PU catalan en France est celui de Sorbonne Université. 30. LACUEVA, Maria. Didàctica Universitària dels estudis culturals. Pràctiques i tendències en la Catalanística i la Hispanística. Sarrebruck : Saarland University Press, 2017. VIDAL, Josep et al. (2022). « La représentation de la culture catalane dans l’enseignement supérieur en France ». Revue des Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
114 Langues Néo-Latines, 401 (2022), p. 9-26. VIDAL, Josep. La représentation de la culture dans la didactique des langues étrangères : le cas du catalan en France. Diss. Universitat de Vic-Universitat Central de Catalunya, 2021. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03370043 [consulté le 09-03-2022]. Josep. « Ipséité et altérité dans le concept de « culture catalane » ». Dans MARTÍNEZ, CORRONS, VIDAL, Fabrice ; Michel (eds.). La présence catalane à l’étranger . Canet : Trabucaire, 2020, p. 69-83. VIDAL, Josep. « La cultura en els manuals de CLES ». Revue d’Études Catalanes, 4 (2018), p. 100-109. https:// hal.archives-ouvertes.fr/hal-03483936/document [consulté le 09-03-2022]. VIDAL, Josep. « La “culture catalane” dans les manuels d’enseignement de Catalan Langue Étrangère et Seconde ». Lengas, 83 (2018). https://journals.openedition.org/lengas/1473 [consulté le 09-03-2022]. 31. Il faut noter qu’à Sorbonne Université un poste MCF fléché espagnol et catalan a été ouvert. RÉSUMÉS Notre contribution propose, dans un premier lieu, une synthèse sur l’histoire de l’enseignement du catalan dans l’éducation supérieure en France. Deuxièmement, elle dresse un état des lieux de l’offre de formation universitaire actuelle et du corps enseignant qui la soutient. Enfin, elle envisage un possible futur de ces études, après avoir fait émerger certaines contradictions, problèmes et défis qui se présentent face à l’avenir de cet enseignement. À ce jour, nous comptons seulement trois bilans sur la question (Trenc, 2007 ; Berthelot, 2010 et Corrons, 2011), bien que de nombreux changements soient survenus dans cette discipline. Ainsi, dix ans après le dernier bilan, un nouvel état des lieux s’impose. Nous rappelons que l’enseignement du catalan appartient à deux sections du Conseil National des Universités (14e et 73e sections) ; notre article se penche particulièrement sur la 14e section : Langues et littératures romanes. Our contribution proposes, firstly, a synthesis of the history of the teaching of Catalan in higher education in France. Secondly, it provides an overview of the current university training offer and the teaching staff that supports it. Finally, it considers the possible future of these studies, after highlighting some of the contradictions, problems and challenges facing the future of this teaching. To date, there have been only three reviews of the subject (Trenc, 2007; Berthelot, 2010 and Corrons, 2011), although many changes have occurred in the discipline. Thus, ten years after the last review, a new assessment is necessary. We recall that the teaching of Catalan belongs to two sections of the National Council of Universities (14th and 73rd sections); our article focuses on the 14th section: Romance Languages and Literatures. INDEX Mots-clés : enseignement, catalan langue étrangère, universités, France Keywords : teaching, Catalan as foreign language, universities, France Catalonia, 30 | Premier semestre 2022
115 AUTEUR JOSEP VIDAL ARRÁEZ Université Toulouse 2 Jean Jaurès (LERASS-EA827) josep.vidal-arraez[at]univ-tls2.fr Catalonia, 30 | Premier semestre 2022