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                    LES TATOUAGES
ÉTUDE
ANTHROPOLOGIQUE ET MÉDICO-LÉGALE

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Laboratoire de médecine légale de la Faculté de Lyon. LES TATOUAGES ETUDE ANTHROPOLOGIQUE ET MÉDICO-LÉGALE PAR Le D r A. LACASSAGNE Médecin-m;ijor de Professeur de médecine légale à la l re classe, Faculté de médecine de AVEC PLANCHES PARIS LIBRAIRIE J.-B. BAILLIÈPE et FILS rue Hautefeuille 19, près du boulevard Saint-Germain 1881 Lyon.

LES TATOUAGES, ÉTUDE ANTHROPOLOGIQUE ET MÉDICO-LÉOALE. J'ai donné (1) un aperçu des matériaux que j'avais réunis sur cetle question. Je m'étais proposé de présenter certaines considérations sur la un point médecine légale, suivi, et, spécial de l'anthropologie et de en indiquant le procédé que j'avais permettre de collectionner des dessins qui sont indis- pensables pour l'enseignement, et n'acquièrent une certaine importance que lorsqu'on peut cher. Mon les grouper ou les rappro- travail a été fait en entier sur des recherches per- sonnelles et il ne contient aucune mention des auteurs qui m'ont précédé dans cette voie. Il m'a semblé plus commode de faire voir d'abord les résultats auxquels j'étais arrivé, réservant à un travail plus complet l'exposition de quel- ques travaux écrits sur ce sujet. Tl n'est pas en nécessaire d'étudier certains points de effet l'historique delà question, qui ont été parfaitement traités et exposés dans en 1869 (1). la Tous magnifique étude de M. Berchon, parue les travaux anlérieurs à cette date quelque rapport avec le et ayant tatouage ont été résumés et pré- sentés in extenso dans ce travail. Je me propose de faire connaître les recherches puis la publication de l'ouvrage de mes propres études. Il M. Berchon et faites de- d'exposer est peut-être nécessaire aujourd'hui (1) Lacassagne, Recherches sur les tatouages et principalement du tatouage chez les criminels. {Annales d'hygiène et de médecine légale, t. V, n* 4,1881.) (2) Berchon, Histoire médicale du tatouage. Paris, 1869, in-8, 181 p.
6 LACASSAGNE. A. sujet si fécond de donner une sorte de revue critique sur ce et, à ce en déductions anthropologiques ou médico-légales, en faire une dernier point de vue, je compte bien un jour étude plus complète que celle que je présente aujourd'hui. CHAPITRE PREMIER. QUELQUES FAITS DE L'HISTOIRE DU TATOUAGE. M. Rerchon a parfaitement montré les origines du mot tatouage, et M. Littré (1) emprunte sa définition au savant médecin de Le mot la marine. est d'origine océanienne, il est la traduction du mot polynésien, taiau qu'il faut prononcer tatahou, et qui signifie les marques ou dessins tracés sur la peau humaine ; tatou dérive de erreur, dit la, qui signifie dessin, empreinte. C'est par M. Berchon, que l'expression océanienne les que le Anglais ont rendu par tahoo célèbre Cook a le premier écrit tattoio. une bonne fortune que chercheurs, M. Berchon est arrivé à Avec un grand luxe d'érudition n'ont pas toujours les et trouver dans les auteurs anciens des considérations importantes sur le tatouage et sur les marques indélébiles que l'on produisait alors sur la peau par l'application d'un causti- que ou du faire fer rouge. Mais, pour ces dernières, remarquer que nous n'admettons, avec il le bon de même au- est y a tatouage que lorsque des matières colorantes, végétales ou minérales sont introduites sous l'épiderme et à teur, qu'il des profondeurs variables, à l'effet de produire une colora- tion ou des dessins apparents de longue durée, quoique non absolument indélébiles. Ce ne sont pas seulement des cicatrices, mais des cicatrices colorées par l'introduction de particules coloranlcs dans les mailles du stitue. (i) Littré, Dictionnaire de la langue française. tissu qui les con-
7 LES TATOUAGES. On lira dans le travail de M. Berchon les documents an- ciens qu'il a véritablement découverts. C'est un de Scribonius Hangus, médecin du temps récit de l'empereur Claude, puis des citations importantes tirées d'Aetius, de Pétrone (1), de Paul d'Egine, d'Avicenne, Nous ne pouvons reproduire etc. tous ces renseignements et pré- férons indiquer ceux que nous avons relevés hous-même dans nos recherches. On a pensé que Moïse avait interdit le tatouage breux facilement enclins à toutes les pratiques félichiques si «Vous ne vous ferez point d'incisions vous ne vous imprimerez sur et fausses divinités » sur vous. soit ; corps aucun caractère de le un usage chez tous sémitique. Voici ce que dit de Dieu pour pleurer un mort : (2). C'était d'ailleurs tion aux Hé- le Koran Il a dit : les peuples d'origine « Que la malédicm'empare d'une cer- (3) je : taine portion de tes serviteurs; je leur inspirerai des désirs, je leur ordonnerai d'alLérer la création Le traducteur Kasimirski note : « Mahomet fait de Dieu. » suivre ce verset de cette s'élève ici contre certaines coutumes des Arabes idolâtres. Les commentateurs pensent que pour les mots « Je leur ordonnerai de changer, d'altérer la création : Mahomet de Dieu», esclaves, les a voulu condamner coutume d'affiler les ture tant parmi hommes que parmi les (4) le Koran dit lecture de nos versets, dit : dents et encore imprimerons une marque sur Les tatouages chez les Arabes été étudiés par le D r : « le et leurs crime contre na- les femmes. Cet homme » qui, à la ce sont des contes anciens, nous lui (1) castration des marques imprimées sur leurs visages corps, la Plus loin la Bertherand le nez. » et les Kabyles ont encore (5) et le général Daumas. Pétrone, Salyrieon. Lévitique, ch. XIX, p. 28. (3) Ch. IV, p. 118. (2) (4) Ch.LXVIII, p 15) Bertherand, Médecine . 15 et 16. et hygiène des Arabes, 1855, p. 321 à 326.
A. 8 Nous allons indiquer ici LACASSAGNE. ce qu'ont dit ces intéressants obser- vateurs, nous proposant de revenir plus loin sur les éludes que nous avons faites nous-même à Aumale ou à Médéah. D'après M. Berlherand, le tatouage est surtout en honneur chez tre les les deux Kabyles. Les femmes portent sur sourcils, sur le front en- une narine ou sur une joue, une par delà poudre à ca- petite croix bleuâtre qui est produite non ou de l'oxyde d'anlimoine : Quand « la jeune fille vient à se marier, le taleb fait ordinairement disparaître ce signe par l'application d'un mélange de djer (chaux vive) et de saboun-akhal (savon noir). Presque toutes les prostituées arabes portent aussi des croix ou des fleurs sur les joues, sur les bras. D'ordinaire, les filles publiques mauresques offrent sur les seins des pointes rouges carmin. » ou des plaques de Les nègres ont des tatouages plus profonds et qui résultent de scarifications faites dès le jeune âge avec un couteau rougi au feu. On s'est demandé si ces incisions n'avaient pas un but hygiénique comme le feu de précaution qu'ils mettent de bonne heure aux jambes de leurs jeunes chevaux ou aux schlougui, leurs chiens préférés « Le tatouage est, du reste, défendu par la religion, qui traite ces marques particulières de Ketibet ech chitan ou signes du diable. Mais les indigènes se tirent d'affaire en prétendant qu'avant d'entrer au paradis, chacun doit subir une purifi: cation de feu qui enlèvera toutes les impuretés terrestres Quelques anciens auteurs grecs touage, ainsi que ! » ont parlé du ta- et latins montré M. Berchon. Voici quelques citations que nous avons notées dans nos lectures. Hérodote (1) fait mention de ces marques extérieures colorées. La phrase Thraces. Voici la gardent avec soin leurs parents. (1) ch. l'a Livre LXIX. II, la plus curieuse est celle où traduction de les femmes M. Giguet et les Une peau marquée ch CXIII ; livre IV, ch. : « il parle des Les Thraces achètent à grand prix de de piqûres témoigne d'une CXCI: livre V, eh. VI: livre VI
9 LES TATOUAGES. noble origine; celui qui n'est poinl tatoué est de basse naissance. » Lucien (1) dit aux mains, soit : « Tous s'amusent au cou, portent des stigmates. (3) allusion à ces » Il fait Timon ou rieures dans Tacite et le à se faire des piqûres, soit voilà pourquoi tous Misanthrope les Assyriens marques exté- (2). parle de la coloration noirâtre que les Ariens mettaient sur la peau pour avoir un aspect plus féroce. César (4) d'où leur signale la nom de Pietés même (5). Nec habitude chez C'est ce falso que dit les Bretons, Claudien (6) : nomine Pictos Edomvit Et dans la pièce Membraque In Rufinum : qui ferro gaudet pinxisse Gelonus frontemque secari Ludus et occisos pulchrum jurare parentes. Nous ne pouvons que donner une mention aux stigmates ou marques que l'on imprimait sur le front ou le corps des criminels, des prisonniers de guerre, des esclaves fugiLifs. C'étaient des stigmates honteux. Mais marques qui n'entraînaient pas Pinfamie. On gravait le nom du maître sur le corps des esclaves, et les soldats eux-mêmes faisaient marquer le nom de leur général. il y Un avait de ces auteur contemporain (7) dit qu'on peut consul- ter sur ce sujet une monographie curieuse de Biedermann De characteribus corpori impressis, et une autre de Dressig: : (2) Lucien, La déesse syrienne, p. 50, traduction Talbot, Lucien, P: 361-1. (3) Tacite, (1) (4) Mœurs des Germains, p. xliii. C«sar, Commentaires, 5° campagne, ch. XIV. (5) Voir une curieuse citation de Saint-Isidore de S6ville, in Berchon, (6) Claudien, (7) De tertio consulntu Honorii. Dictionnaire de Larousse. Art. Tatouage. •
10 LACASSAGNE. A. Dissertatio de usu stigmaium apud me beaucoup de n'avoir pu Une veteres. Je regrette procurer ces deux mémoires. citation de Procope, relevée par M. Berchon, semble indiquer que les premiers chrétiens avaient adopté cette coutume: Quod Christi nomen pevmulli, « vel crucis signum, inpalmis aut brachiis inuri sibi curarent. » fense des pères de l'Église et même Malgré la dé- d'un concile, dit M. Ber- chon, on n'en a pas moins continué, en Palestine, à se ou faire tatouer les bras tant la croix ou Thévenot se dit-il, fit comme poignets des signes représen- monogramme du le Christ. Nous employâmes, nous faire marquer les bras avril, à font ordinairement les pèlerins tiens de Bethléem suivant Godard constatait il le rite latin ce sont des chré- : qui font cela.» Ernest persistance de cet usage en 1862, et la nous pouvons affirmer lem, où Le voyageur ainsi tatouer en 1658: « mardi 29 tout le les qu'il est encore en vigueur à Jérusa- constitue une véritable industrie pour les mar- chands d'objets de dévotion qui se tiennent auprès de Nous avons dans notre collection le tatouage d'un jeune homme, fils d'un de nos consuls en Orient, qui, en 1878, l'église. alla à fit Jérusalem en compagnie de princes maronites tatouer avec tous ses assuré que le compagnons de voyage. 11 il se nous a grand duc Nicolas de Russie portait un sem- blable dessin fait aussi à Jérusalem. coutume fréquente après C'est d'ailleurs les pèlerinages en Italie, et broso a observé un grand nombre de tatouages chez siteurs ; une Lomles vi- du sanctuaire de Lorette. Si les voyageurs comme Cook et Dumont d'Urville avaient observé les tatouages chez les différents peuples qu'ils ont visités, les médecins et les anlhropologisles ne se sont réel- lement occupé de ces marques importantes au point de vue de l'ethnographie vaux de Lesson, Tardieu (1) (1), et des signes d'identité qu'après les tra- Casper, Chéreau, Hutin, Follin, Cordier, Tylor, Darwin, Berchon. C'est ce dernier au- Tnrdieu, Etude médico-légale sur signe d'identité (Ann. d'hyg, 1855, t. III, le tatouage considéré p. 171). comme
LES TATOUAGES. teur qui a publié touage et, ficiles les premier une Histoire médicale du ta- le sans avoir épuisé la question, a rendu bien dif- recherches de ses successeurs. Signalons toutefois médecine légale (1), le un rapport de Horteloup à travail de publié en Allemagne, les travaux broso 11 (2) et de l'Ecole italienne Kranz sur si la Société de le talouage, remarquables de Lom- (3). Citons aussi un mémoire de M. D r Robert le (4), sur les inoculations syphilitiques accidentellement produites par le tatouage, et les récents traités de médecine légale (3) qui nous font connaître l'opinion des médecins légistes en Alle- magne et en Angleterre (5). Au point de vue anthropologique, et nous ne pouvons que renvoyer à il serait trop long la collection de citer des Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, qui renferme un grand nombrede communications ou de notes sur le tatouage chez les différents peuples. CHAPITRE DES PROCÉDÉS DU Le tatouage, disent Littré et II. TATOUAGE. Robin (6), est une opération qui consiste à piquer la peau jusqu'au sang et à étendre, sur la partie piquée, des poudres fines comme du vermillon, du charbon porphyrisé. Il y a dans cette définition plusieurs erreurs. Les tatoueurs ne piquent jamais la peau jusqu'au sang parce qu'alors le taDu (1) Horteloup, (2) Lombroso, Uomo delinquente, tatouage (Ann. d'Injg., 1870, t. XXXIV, p. 440). ch. III. (3) Oe Paoli, Notes sur le tatouage à l'asile d'aliénés de Gênes (1879) (Archivio del professoie Lombroso). (4) Robert, Recueil de Mémoires de médecine militaire, n* 173, p. 609, 1879. (5) Hoiïraann. Nouveaux éléments de médecine légale. Introduction et commentaires, par P. Brouardel Paris, 1881, 1 vol. in-8. Taylor, Médecine légale. . (6) Littré et — Robin, Dictionnaire de Nysten, 14» édition. Paris, 1878.
12 A. touage ne réussit pas, ticules pulvérulentes LACASSAGNE. le liquide sanguin entraînant les par- que Ton porte dans l'épaisseur de la peau. Dumont à laquelle « Le une opération de tatouage d'Urville décrit ainsi il assista : patient subissait cette opération sur la joue droite, la gauche étant déjà recouverte de ces honorables marques. La femme qui opérait avait étendu sur la peau une préparation noire, figurant les dessins qu'elle voulait exécuter. Elle se servait ensuite d'un petit instrument batros ajusté à angle droit sur bois, d'al- bout d'un petit manche de ressemblant à une lancette de vétérinaire ou bien à un très petit pic de mineur. L'os était tranchant à son extrémité, de manière qu'en frappant sur tit le composé d'un os bâton, il ouvrait la peau le dos du manche avec un et l'incisait sang coulait en abondance, mais l'artiste pe- profondément. Le en tatouage avait soin de l'essuyer au fur et à mesure, tantôt avec le revers de la main, tantôt avec une spatule en bois. Lorsque couleur était déposée dans l'incision au était entaillée, la moyen d'un petit ment et pourtant peau la pinceau. Le patient devait souffrir cruelleil ne poussait pas un soupir. » Les Indiens d'Amérique se servent de charbon en poudre comme substance colorante. Les nouveaux Zélandais donnent au tatouage molio et il le nom de a pour eux une grande importance. Les guerriers un moko seuls ont le droit de le porter; chacun d'eux a cial qui répond à de véritables armoiries. C'est au spé- point qu'un naturel ayant vu à un européen un cachet sur lequel armes étaient gravées ses dit aussitôt : « chaque nouvel Ah ! et s'en c'est le étant fait expliquer l'usage, moko de exploit, le guerrier votre famille. vainqueur » Après inscrit sa vic- toire sur son corps d'une manière indélébile, en multipliant les traits du moko, et en les rendant plus profonds. Une chose extrêmement curieuse, cest que le moko joue le rôle d'une véritable écriture flguratoire et plusieurs naturels l'apposent dans certains cas, comme ils feraient de leur nom et de leur
LES TATOUAGES. signature cet usage. ordinairement ; c'est le Les femmes n'ont pas 13 tatouage du nez qui sert à le droit des incisions sur la face; en revanche, de faire le reste de profon- du corps peut être recouvert des arabesques les plus capricieuses. Voici d'ailleurs les avantages que naîtaux tatouages : « Il ajoute Dumont d'Urville recon- un grand degré d'expression et d'énergie à la physionomie, et l'étranger s'habitue facilement à cet ornement bizarre. met Il à l'abri des piqûres des tiques, des intempéries des saisons; ment l'effet de l'outrage que les il mous- diminue singulière- années font à la figure de l'homme. Enfin, mieux que toute autre décoration extérieure, il révèle à l'instant la condition et le rang de cBlui qui le porte. » Avant de parler des procédés de tatouage dans notre milieu social et puisque nous venons de voir comment touage se pratique chez les le ta- Indiens d'Amérique ou les habi- tants de la Nouvelle-Zélande, il sera intéressant de faire connaître ce que nous avons observé chez les Arabes ou Ka- byles des provinces d'Alger et de Gonstantine, à Sétif, à Aumale, à Médéa. Ce sont généralement des mauresques qui tatouent les Arabes; elles se tiennent le plus souvent sur les marchés ; très rarement on trouve des hommes exerçant celte profes- sion. En général les tatouages sont faits à l'aide d'incisions pra- tiquées dans la peau avec un outil tranchant; on verse alors sur ces incisions représentant un dessin quelconque, du charbon l'encre du bleu de blanchisseuse, rarement on emploie de chine. Le henna remplace le vermillon, mais il est pilé, généralement très peu apparent ; on l'emploie aussi en pou- dre. Quelquefois on tatoue à l'aide d'aiguilles. A la suite du tatouage les opérateurs partie tatouée qu'ils laissent la plaie; cette une herbe une journée sur appliquent sur nomment maghnina herbe a la et qu'ils la propriété
14 LACASSAGNE. A. d'empêcher l'inflammation en sont et les croûtes qui con- la séquence. Le prix des tatouages varie gers que pour toueurs. les hommes Le payement : il est plus élevé pour les étran- faisant partie de la tribu des ta- s'effectue soit en argent, en orge, en blé ou en autres céréales. Les Arabes, pour faire disparaître les tatouages, emploient un emplâtre composé de chaux vive et de savon noir ce : mélange produit une cicatrice semblable à celle d'un vési- catoire. Nous avons remarqué sur différentes prostituées arabes que quelques tatouages portaient des qu'il faut attribuer à la cicatrices de brûlures coutume qu'ont ces femmes de s'ap- pliquer sur les bras l'extrémité incandescente d'une cigarette, lorsqu'elles ont quelque discussion avec un de leurs amants. Disons enfin que beaucoup d'Arabes, surtout les femmes, sont tatoués fort jeunes, plus tard c'est de la coquetterie ou de la vanité. J'ai les dessins et les observations de tatouages pris sur 32 spahis, originaires pour la plupart de la province d'Alger et 16 prostituées de différentes maisons publiques de Médéa. Quel- ques-unes de ces femmes étaient de la province d'Alger, d'au- du sud delà province deConstantine. Il m'aurait été facile de collectionner un plus grand nombre de tatouages, mais la monotonie et l'insignifiance des dessins rend ce travail tres aussi fastidieux qu'inutile. trouvé des tatouages, surtout chez les J'ai face sur le front, aux : inférieure* sur les hommes, à la ailes du nez, au menton, à la lèvre pommettes. Puis aux bras, aux avant- aux poignets; quelques-uns ressemblent par leur disposition générale à la trame d'une dentelle, ceux-là se voient aussi sur la face dorsale des mains et ressemblent à des mi- bras, y en a très souvent à la malléole externe ce derparaît-il, dans quelques tribus désigne un habile ca- taines. nier, valier. Il :
15 LES TATOUAGES. Hommes ou femmes et plus en présentent rarement sur rarement encore sur le ventre et la partie la poitrine supérieure des cuisses. Bon nombre de prostituées se font tatouer des grains de beauté, des mouches, qui se trouvent à la commissure des ou inférieure, sur lèvres, à la lèvre supérieure la joue ou près de l'ouverture externe des paupières. J'ai trois observations de prostituées dont les dessins représentent trait ou l'inscription du sur l'autre bras nom le portrait un por- d'un ancien amant et à côté ou ou le nom d'une femme. Cette observation avait déjà été faite par Parent-Duchatelet (1) et s'il est mes arabes il curieux de constater ce convient de lui donner une J'ai des tatouages sur des spahis ves, des spahis, des Arabes, chez des fem- fait même explication. représentant des zoua- Abd-el-Kader, des inscriptions arabes, des palmiers, une gazelle et même un crucifix. Ces tatouages ont été faits ou à l'hôpital ou dans les postes du sud, par des zouaves ou des hommes du bataillon d'Afrique, qui se font en général payer assez cher leur talent de mau- vais dessinateur. Je n'ai pas pu arriver à trouver des tatouages spéciaux aux différentes tribus. Cependant ceux du cercle de Boghar, me de la tribu des Zaoulas, près d'Orléansville, semblent assez caractéristiques. Beaucoup d'Arabes n'ont souvent qu'un tatouage représentant un trait, long d'un centimètre et large de deux mil- du nez. de reconnaître dans la plupart de ces tatouages limètres, situé sur l'aile droite 11 est facile les traces des scarifications ou incisions qui les ont produits. D'ailleurs, l'âge et il un grand nombre de tatouages s'effacent avec faut attribuer cette disparition à l'emploi du char- bon. Je vais donner maintenant les notes que (l) Parcnt-Duchatclct, De la prostitution dans la tions, Paris, 1857. j'ai ville prises sur le de Paris. 3° édi-
16 A. LACASSAGNE. procédé employé pour l'exécution d'un tatouage qui s'est passé sous mes yeux. G..., venir ayant manifesté l'intention de se le nommé S..., on son camarade de détention, habile commença toueur, qui faire tatouer, du tatouage l'opération fit ta- 30 décem- le bre 1879, vers 3 heures du soir. ayant exprimé lie tatoué couche fessière, se A l'aide de désir d'être tatoué sur la région à plat ventre sur d'accord avec G... sur tours à l'aide d'une le le un banc; le tatoueur, dessin à exécuter, en trace les con- plume trempée dans de l'encre ordinaire. trois aiguilles fines n° 10, fixées à ceau de bois par un bout de fil, qu'il un petit mor- trempe dans un peu d'encre de Chine délayée dans de l'eau, il fait les premières piqûres en enfonçant obliquement les aiguilles à une pro- fondeur d'un demi-millimètre. Cette première opération quelques gouttelettes de sang paraissent sur mais en piquée très petite quantité. Le premier tracé terminé, seconde la surface faite, sur fois le le tatoueur repique encore une tatouage en enfonçant les aiguilles à un millimètre et aussi exactement que possible dans les pre- mières piqûres. L'opération est terminée et les gouttes de sang deviennent plus abondantes. Une demi-heure après commence l'inflammation de 31 décembre. un zouave Un la partie tatouée. des personnages du dessin représentant est terminé ; les parties rouges de son costume au vermillon paraissent plus enflammées. Autour du faites tatouage existe une congestion diffuse et tout à cielle. l or Il Le tatoué n'éprouve aucune fait superfi- souffrance. janvier 1880. L'inflammation est moins forte qu'hier. y a eu des essais infructueux de tatouage avec un vermil- lon de mauvaise qualité. Le 2. Un second personnage du dessin représentait un Le tatoueur ne sachant dessiner le cheval, le calqua sur une gravure à l'aide de papier huilé, puis ayant pointillé le dessin avec une épingle, il y mit dessus une cavalier. couche de charbon de bois pilé, et l'appliquant sur la partie
17 LES TATOUAGES. à tatouer, le dessin s'y trouva reproduit par la poudre de charbon Le et il commencer n'eut plus qu'à en la piqûre. Les contours du cavalier sont terminés; 3. y a peu il d'inflammation; pas de douleur. Les croûtes sur dessin le exécuté le 31 décembre sont encore très visibles. Le 4 état, Le et le 5. mais Les croûtes sont à peu près dans autre tatouage est Le tomber. et à Un fait. Les croûtes sont à peu près tombées sur 7. même elles blanchissent. Les croûtes commencent à sécher 6. le le dessin représentant un zouave. Le 8. Les croûtes ont complètement disparu. Les parties tatouées en vermillon deviennent très apparentes. Le Les croûtes sont partout tombées 13. rouges sont luisantes et Le Le rouge 14. comme moirées. est toujours très vif, complète des croûtes permet de calquer sins aussi facilement que les surfaces ; la et les disparition différents des- eussent été tatoués depuis s'ils longtemps. Le Le zouave tatoué 19. tatouage de vieille date. ties le Dans 31 décembre ressemble à un les autres tatouages les par- rouges ont encore un aspect luisant. De ces diverses observations, il résulte qu'après un mois les tatouages ne changent plus d'aspect et paraissent avoir été faits anciennement. Je vais ment faire suivre cette observation les différentes notes que j'ai qui indique nette- phases d'installation du tatouage, des prises sur les procédés ordinaires ou la pra- tique des tatoueurs. Il y a à Paris, à Lyon, dans les grandes villes, des individus qui vivent de la profession de tatoueur. On les connaît par les camarades d'atelier ou de régiment. Parfois nent boutique chez certains marchands de vin ; ils ils tien- vont dans les fôtes. Ils ont des espèces d'albums renfermant des dessins Lacassagne. 2, faits
'18 à LACAS5AGNÈ. A. la main et qu'ils offrent au choix des amateurs. Le prix est ordinairement de 50 centimes par sujet. Le plus souvent du papier tillés le Les huilé. tatoueur emploie des dessins traits faits sur principaux des dessins sont poin- à l'aide d'une épingle. Le papier étant appliqué sur la partie à tatouer, on applique au-dessus du noir de fumée qui, passant à travers les piqûres du papier, reproduit sur peau du dessin. Lorsque les traits bien dessiner, il Alors pour aiguilles le à exécuter. tatoueur emploie des plus souvent assez fines. Celles-ci, dont les pointes sont au trois, parfois dessin, le le tatoueur sait assez plume le dessin trace à la piquer le la même niveau, sont en général au nombre de de cinq, et même de dix lorsque les parties doivent être fortement ombrées. Les aiguilles sont mainte- nues à l'aide de fils et fixées à l'extrémité d'un morceau de bois. Les bons tatoueurs font une première piqûre en enfonçant obliquement les aiguilles à mètre, et très rarement sang; ils une profondeur d'un demi-milli- ils déterminent un écoulement de ont soin d'ailleurs de tendre fortement la peau du tatoué afin, disent-ils, d'éviter la douleur et de donner au dessin une grande netteté. Quelques tatoueurs ne font qu'une seule piqûre; d'autres repiquent une seconde fois afin d'avoir des contours plus nets et plus apparents. Les aiguilles sont alors enfoncées à un millimètre et toujours obliquement. Puis l'opération ter- minée, l'eau, le de tatoueur lave parfois la surface du dessin avec de la salive ou de l'urine. Des dessins assez compliqués sont exécutés en une demiheure. Nous avons vu un beau tatouage haut de 20 mètres et large de 13, représentant un indien tenant peau des Etats-Unis, qui avait été fait à centi- le dra- New-York, en vingt-cinq minutes. Ce tatouage avait été payé 15 francs. Le tatoué nous racontait que celui qui lui avait fait ce dessin était un Irlandais habitué des maisons où vivaient les mate-
19 LES TATOUAGES. album où avait un lots. Il les du tatouage était marqué à sa vie amateurs choisissaient, prix le Cet industriel gagnait ainsi côté. son gain s'élevait certains jours à 100 existait aussi, dans la même ville en 1871, un au- et, paraît-il, francs. Il tatoueur qui avait des planches gravées d'avance et ar- tre mées la partie à tatouer, sur On d'aiguilles représentant des dessins. les appliquait l'impression se faisait en une minute nous raconte-t-on, sans souffrance. et, Le plus souvent, dans nos pays, les tatoueurs font usage d'encre de Chine et de vermillon. Parfois charbon de bois rarement pilé et délayé dans ils emploient le l'eau, l'encre bleue, plus bleu de blanchisseuse. le C'est l'encre de Chine qui occasionne le mation consécutive. Il moins d'inflam- n'en est pas ainsi avec le vermillon qui de plus, disparaît plus facilement. Le prurit occasionné par les croûtes de vermillon donne une vive irritation, le malade arrache celles-ci avec les ongles et souvent, ainsi que nous avons pu les le constater, fait disparaître les particu- de vermillon. D'ailleurs, avec le temps cette couleur dis- paraît souvent, et sur des tatouages n'ayant pas plus de cinq ou dix ans de date, nous avons constaté l'absence de cette coloration employée. Le charbon en poudre dure encore moins longtemps, il détermine peu d'accidents inflammatoires. Ainsi que la troisième l'a fait ou de remarquer M. Berchon, jusqu'à la quatrième semaine, sont plus larges qu'elles ne assez bien le les érysi pèles. de les lignes tatouées seront plus tard et ressemblent aux traînées de nitrate d'argent pour délimiter la fin Puis lorsque faites sur la peau les croûtes se sont détachées, la peau reprend sa souplesse et son aspect nor- mal au voisinage du dessin. pour les ta Louages icur chute Il au vermillon une surface luisante faut ; et un peu plus de temps les croûtes laissent après moirée plus persistante.
20 LACASSAGNE. A. CHAPITRE III. DES DESSINS DE TATOUAGES. CLASSIFICATION DU TATOUAGE CHEZ LES CRIMINELS. Je vais maintenant donner que j'ai faites et des observations comment on peut collectionner ces que j'ai adoptée. On verra, je pense indiquer dessins, la classification dans ce le résultat travail, l'importance du tatouage au point de vue médico-judiciaire. J'ai réuni plus de que deux mille tatouages. Cette collection, une grande importance, puisqu'elle représente d'une manière absolue les dessins, inscriptions je crois unique, a ou emblèmes relevés sur la peau de cinq cent cinquante individus. Voici le procédé que j'emploie. De la appliquée sur et il la partie. toile transparente est Le dessin apparaît très nettement, un crayon une reproduction mathématique de est facile d'en suivre tous les contours avec ordinaire. On a ainsi l'image, qui devient très visible lorsque la toile est mise sur une feuille de papier blanc. L'on passe alors l'encre bleue ou rouge, selon ou l'autre coloration. Ceci que le les traits à tatouage présente l'une fait, la toile est collée sur un car- ton de dimension qui varie avec la grandeur du tatouage. Au verso du carton, on inscrit les indications suivantes qui constituent l'observation : — Lieu de instruction. — 5° Date des naissance. — Profession Procédé employé. — 7° Nombre de tatouages. — Age. — Renseignements sur séances. — 8° Durée des séances. — tatoueur. — 10° Description des tatouages. — 11° Siège. 12° Coloration. — 13° Changements survenus dans colo— 14° piqûres? ration. Y eu inflammation après 15° Quel temps a mis — 16° Quel s'installer? pour tatouage 1° Numéro d'ordre. — 2° Noms 4° et prénoms. 3° et 6° 9° le la les a-t-il le
21 LES TATOUAGES. est l'état actuel volontairement. du tatouage?— 17° effacé?— 18° Effacé Est-il — 19° Surchargé. — 20° Moralité du tatoué. Ces indications étant toujours les mêmes, les observations sont comparables entre elles et renseignements est facile d'en tirer des il utiles. C'est ainsi qu'il m'est possible de relever 1,333 tatouages pris sur 378 sujets appartenant soit soit à la au 2e bataillon d'Afrique, des pénitenciers militaires. Les premiers constituant grande majorité, soit 360 sur 378, il est nécessaire de don- ner quelques renseignements sur ces individus. un par propar des hommes ayant subi une con- Les bataillons d'Afrique au nombre de vince, sont constitués damnation pour désertion, pour vente un camarade : trois, d'effets, pour vol à tous délits qui n'ont été punis que de prison A ou de travaux publics. de leur peine, ces l'expiration hommes vont achever dans ces bataillons le temps qu'ils doivent à l'Etat. On y envoie aussi les hommes insubordonnés, dont la conduite laisse toujours à désirer ou dont l'indiscipline est constante. C'est cela qu'ils ont reçu, dans le probablement à cause de tout langage militaire, justifient d'ailleurs de Zêphirs, grande clientèle des conseils de joyeux. Ils le de guerre; beaucoup ont deux les cadres, sous-officiers et caporaux, sont constitués par des d'élite et à qu'ils constituent la condamnations. Inutile de dire que tous et trois nom hommes spécialement choisis dans les régiments de France. Le 2° bataillon a son état-major et deux de ses compagnies Médéa (province d'Alger). C'est là que j'ai recueilli en un an les matériaux de ma collection. Je veux seulement montrer que le grand nombre de ta- touages donne presque toujours la mesure de la criminalité du tatoué, ou tout au moins l'appréciation du nombre de ses condamnations et de son séjour dans les prisons. J'ai divisé les tatouages d'après sept catégories distinctes militaires, 3° patriotiques : 1° des le dessin représenté en emblèmes professionnels, ou religieux, 2° 4° des inscriptions,
22 LACASSAGNE. A. amoureux 5° et érotiques, 6° des emblèmes-métaphores, 7° des emblèmes fantaisistes, historiques. comment peuvent Voici 1,333 tatouages se classer, à ce point de vue, les : Emblèmes — — — — patriotiques et religieux. 91 professionnels 98 inscriptions 111 militaires 149 métaphores — amoureux . 260 280 — fantaisistes, historiques.. 344 et érotiques. . 1,333 Sur les 378 sujets examinés, 100 seulement avaient été tatoués avant l'entrée au service, 278 après leur incorporation. 11 ne faudrait pas, d'après ces chiffres, accuser d'une manière absolue la vie militaire. Cette influence est faible et milieu militaire n'a pas à ce point de vue l'importance du le milieu nautique. L'influence vraie est celle de la prison. Pour passer le temps, on se tatoue ou on se fait tatouer. S'il n'y a pas de tatoueur à l'intelligence féconde capable de représenter un sujet quelconque : \q portrait de la femme aimée, Jean Barl, un mousquetaire, une sirène, on prend un livré, dessin dans le dans un journal, sur une boîte d'allumettes c'est Garibaldi, Napoléon, Mac-Mahon, moiselle Granier et même le et alors Petit-Faust, de véritables tableaux , Made- comme une chasse au lion, le martyre de sainte Blandine, la France enchaînée, Y accident (fig- du duc d'Orléans sur la route de Neuilly. 1.) Ce désir d'avoir des tatouages se montre de bonne heure chez ces individus. Nous avons touages avant 21 ans A 6 ans. trouvé pour l'époque des ta- : 1 A 14 ans. 8 11—5 16—9 16—11 17—8 — 19—3 18 10 12 20 —5 7— 8— 9— 10 — 43 - — 3 1 4 4 7 3
Fig. 1.

L.V1S Il 27 TATOUAGES. dans ce tableau faut voir aussi, je crois, nifeste de l'apprentissage et de la vie dans l'influence ma- les ateliers. L'instruction n'aurait aucune action préservatrice d'après le tableau suivant ; Sachant Ne 299 lire sachant pas lire 79 . Je crois qu'il faut tenir compte du degré d'instruction. Beaucoup des individus classés comme sachant avaient une instruction tout à fait lire et écrire élémentaire et je n'ai trouvé qu'une vingtaine de sujets ayant une instruction secondaire. Le siège des tatouages mérite d'être examiné. S'il grande importance au point de vue médico-légal, pas une moindre au point de vue de l'anthropologie criminelle. la a une n'en a il psychologie et de Le caractère spécial du dessin d'après sa localisation, et surtout le nombre des tatouages sont la manifestation de cette vanité instinctive et de ce besoin d'étalage qui sont une des caractéristiques de l'homme primitif ou des natures criminelles. Le tableau suivant indique la distribution du corps le nombre des tatoués d'après des tatouages suivant les différentes régions : Nombre Siège des tatouages. des sujets tatoués. Sur les deux bras et le ventre seulement Sur le ventre seulement Sur les bras et les cuisses seulement Sur la poitrine seulement Sur la verge Sur tout le corps Sur les deux bras et la poitrine Sur le bras gauche seulement Sur le bras droit seulement Sur les deux bras seulement .... 6 8 H ; J'ai vu des tatouages recouvrant tout le 1 4 29 45 59 88 127 , corps : un costume complet, c'était l'uniforme de général ou d'amiral. J'ai vu des dessins et des inscriptions sur la face. même L'un avait sur
28 le A. front comme : martyr de la LACASSAGNE. liberté et un serpent; inscription cette parole prophétique : l'autre avait le bagne m'at- Tous deux avaient subi plusieurs condamnations tend. et étaient encore en prévention de conseil. Sur le ventre, au-dessous du nombril, se trouvent presque toujours des sujets lubriques, des inscriptions pornographi- ques telles que: Robinet d'amour; Plaisir des dames. Venez, Mesdames au robinet d'amour. Elle pense à moi. Sur la verge, onze fois j'ai trouvé tatouées des bottes: bottes à l'écuyère, bottes éperonnées (fîg. 2). Dans un cas, un as de cœur, une flèche (un clard, disait l'individu), le numéro du , tirage au sort. Ce dessin sur la verge est très fréquent quinze dans ma collection et j'en ai bien un signe de pédérastie. Tous les j'en ai vu au moins autant comme on dont je n'ai pas l'observation. Ce n'est point, cru, ; hommes l'a interrogés sur ce point ont tous été d'accord à dire qu'ils n'avaient ce ta- touage que pour faire cet affreux jeu de mots ma mettre La : « Je vais te botte au... » poitrine est réservée pour les grands dessins, les déco- rations, les inscriptions amoureuses, les poignards cœur, Sur les portraits dans le de personnes aimées. les plus grands tatouages. J'ai un m JcanBart qui à 0 ,37 de hauteur sur 0 m ,33 de largeur une Jeanne d'Arc et une Jeanne Hachette deO m ,41 de haut et de le dos se trouvent ; 0 m ,39 de large un Abd-el-Kader de 0 m ,40 de hauteur sur ; 0 m ,30 de large. Sur les fesses, la voile, des sujets lubriques: verges ailées, verges à un œil sur chaque fesse, un serpent se dirigeant vers ïanus; sur chaque fesse un zouave croisant la baïonnette et soutenant une banderolle sur laquelle est l'inscription n'entre pas ; puis des dessins dont trouver : le poivrait de Bismark, Nous verronsplustard sur les parties, je liens à faire : on l'explication est facile à un soldat prussien, un uhlan. les différents dessins qui se trouvent sièges ordinaires de tatouages. Mais ce que remarquer, c'est que je n'en ai jamais trouve sur la partie postérieure et externe des cuisses. Cela se








Fig. 10. F P Fig. 12.
i


LES TATOUAGES. 41 comprend. Cette région est cachée, difficile à découvrir pour exécuter le tatouage, et ne donne pas une caractéristique spéciale aux dessins comme régions du voisinage, celles les des fesses, du ventre, la verge. Le tableau suivant indique les modifications que le dans les tatouages les substances employées et temps ou autres causes avaient amené : Tatouage disparu. Tatou ago ayant Tatouage ayant pâli. Encre de chine. Vermillon Charbon Encre ordinaire. Bleu de Prusse. Avec le Par inPar temps, flammation. accident, Tatouage changé de très net. » » » 7 2 » couleur. 5 » 2 13 2 2 v » » » 3 » » » » » » » » » 1 s » Noir de fumée et noir de lampe. Charbon de terre Nous allons maintenant donner quelques renseignements sur les catégories de tatouages que nous avons indiquées plus haut. 1° Emblèmes patriotiques et religieux. — Parmi les ta- touages les plus caractéristiques, nous signalerons les sui- vants 2 fois 1 — — 6 — 9 2 4 2 2 : — — — — : diables. : vertus théologales. : saint-esprit. : crucifix. : sœurs de charité. : figures de saints : ou de saintes. tombeaux. : tatouages franemaçonniques. : trophées ou panoplies patriotiques. 3 — — : têtes 5 — : des Alsaciennes, d'après 6 de Prussiens. armes de Strasbourg. le tableau de Henner, ouïes
42 A. 14 — 34 — : croix delà Légion d'honneur (douze sur la poitrine, deux sur : LACASSAGNE. les bras). bustes de la République (trente ont le bonnet phry- gien, les quatre autres représentent la figure allégo- rique des pièces de monnaie). C'est encore preuve que, pour pour le les classes inférieures de là une la société, peuple, l'image vraie de la République est toujours accompagnée du bonnet de la liberté. cette allégorie, c'est la seule partie Dans du costume ad- mise par tous. 2° Emblèmes professionnels. d'identité qu'ils ont j'ai relevés — C'est surtout comme signe une grande importance. Voici ceux que : — Varlope, (Pig. Maçon. — Truelle, équerre, marteau, compas, à plomb, hachette. — Truelle, équerre, à plomb. — Truelle, équerre, marteau, ciseau. — Truelle, pic compas, ciseau, à Ebéniste. établi. 3.) fil fil et pic, plomb, équerre. (Fig. Serrurier. fil A.) — Equerre, compas, Vis. équerre, marteau, tenailles. clef, limes, marteau. — — Vis. — Pinceaux, brosse et couteau. (Fig. Lutteur. — Lutteur et poids. — Lutteur avec haltères. — Deux lutteurs. — Lutteur. — Poids, haltères, boulets de caPeintre en bâtiment. non. (Fig. 5.) 6.) — Un homme conduisant un cheval. (Fig. couTailleur d'habits. — Dé, ciseaux. — Tailleur assis Charretier. 7.) et — Ciseaux et fer à repasser. (Fig. 8.) Ferblantier. — Compas et cisailles. — Marteaux, sant. compas et cisailles. (Fig. 9.) — Tète de cheval. Musiciens. — Violon avec archet (Fig. Palefrenier. 10). — Piston. — Tambour. Charpentier. pas. (Fig. 11.) — Compas et hache. — Hache, scie et com-


Fi?. 20.

47 LES TATOUAGES. — Vigneron. Outils de vigneron, grappe de raisin. (1) (Pig. 12.) — Tête de cheval et de (Fig. 13.) Boucher. — Tête de bœuf et couteaux. — Tête de bœuf, Tête de bœuf, masse, deux couteaux. — Outils divers. couperet et hache-viande. — Têtedebœuf, couteau, — Tête de bœuf, couteau, couperet, deux couteaux, Veneur. cerf. - fusil, scie, fusil. masse. (Fig. 14.) — Tonnelier. Un tonnelier arrangeant une barrique. (Fig. 15.) Marchand de chevaux. Armurier. Menuisier. — Une — Un pistolet. Un rabot. tête de cheval. (Fig. 16.) — Tailleur dê pierres. — Compas, équerre, masseltes. — — Compas, à plomb, marteau et Marteau, ciseau à froid. fil masseltes. Scieur de long. Couvreur. — Une — Enclume hache. marteau. (Fig. 17.) et Jockey. — Un jockey à cheval. Marine. — L'inscription Une ancre. : marine. — Une ancre câblée. — — Un matelot. — Un baleauet ancre câblée. — Insignes de la marine, tonneau et hache. — Massettes. — Barres à mines, — Outils divers. — Massette, barre Mineur. hache. massette, à mine, pioche. (Fig. 18.) — Compas, marteau, tenailles, alênes, botte. — Botte. — Botte, maillet. — Botte et Trousse de cordonCordonnier. nier. (Fig. 19.) — Balance. — Insignes professionnels au complet: balance, coupe-pâte. — Balance, coupe-pâte, braise, pelle. — Coupe-pâle) pelle à enfourner, pain, tirebraise. — Planche à enfourner, -braise, balance, coupe Boulanger. tire- tire (1) Dans les figures 12, 16, 23, 2\, les parties indiquées par de petits cercles. - carminée* ou rouges sont
48 A. LACASSA.GNË. pâte. — Balance, pelle à enfourner, tire-braise. — Tire-braise balance. (Pig. 20.) Prévôt d'armes. aux armes. — Deux — Trois — Fleurets, masque, plastron, un masque. sabres, deux gants, — fleurets. Fleurets, honneur gants. — Deux — Deux gants, deux cannes. masque, plastrons. (prévôt de canne). fleurets, — Deux cannes croisées — Gant, deux chaussons (maître de chaus- son). (Fig. 21.) Maréchal-]'errant teaux. Fer à cheval, enclume, pinces, mar- — Fer à cheval. — Fer à cheval, — Fer Fer à — Compas, enclume, marteau cheval. — Fer, marteau, taille-corne, cheval entouré de petits (Fig. 22). — enclume. à fers. clous. Terrassier. — Pelle et pioche. — Pelle et pioche. — Pelle, pioche et brouette. — Truelle. Bourrelier. — Collier Sabotier. — Sabot. Plâtrier. 3<> (Fig. 23.) et autres outils (Fig. 24.) Tatouages, inscriptions. — Ces inscriptions sont tout à Ce sont des sentences, des formules, des proverbes, des dates commémorativcs rappelant la date de naissance, de tirage au sort, le numéro de la conscription, le numéro matricule du régiment, la .date du tatouage, le jour où il aétécondamné. Un homme avait trois inscriptions c'étaient fait caractéristiques. : les dates successives condamné des trois conseils (Pig. 25). D'autres fois l'inscription de colère ou de vengeance : c'est la d'une nature en révolte contre • deguerre qui l'avaient semble un cri manifestation évidente la société. Voici quelques-unes de ces inscriptions (Fig. 25 à 34): Enfant du malheur (8 fois). — Pas de chance (9 fois). — — Afrique (5 — Ami du — — Souvenir (5 contraire (3 — Pensez à moi (5 Mort aux femmes infidèles (5 Souvenir d'Afrique fois). fois). (6 fois). — Amitié (4 fois). fois). fois). fois). — Enfant du malheur né sous une mauvaise — Enfant de gaieté — Vengeance (2 fois). la étoile (2 fois). (3 fois). — Le


11 l 10T (s Fis. 25. PAS D£ CH ANCE L'ENTRANT' DU MA L H £ U Fig 20.

TOUJOUR, LE MÊME Fig\ 2S. .PAS DE Fig, 29.

viit CLV Fig. 33. \ L'A MI Contraire Fig. 34. MALHEUR Fie. 35. Fig. 36.

passé m'a trompé, vante (3 fois). le Ol TATOUAGES. LfiS présent tourmente, V avenir m'épou- me — Honneur aux armes (2 Vit seul, car les fois). — Vive France — Arrive qui plante. — Toujours amis sont morts. la et les le pommes de terres frites. Martyr de la liberté. même. — Mort aux bêtes brutes. La vie n'est Honneur aux martyrs. Mort aux tyrans. — — — — — Plutôt mort que de changer. — Ami des — Mort aux français. — Mort aux frères à chaous. — Malheur aux vaincus. — Mon bras aux amis. — mort. — La liberté à Sans-Souci la Violette. — A la mépris mort. — Au bout du fossé la culbute. — Haine ou que déception. la la côte. officiers la vie, et la aux faux amis, Emblèmes 4° etc., etc. militaires. — Je n'ai pas à dire grand'chose de ces tatouages. Tous les différents corps de l'armée sont présentés. 11 n'y a qu'à signaler le grand re- nombre dezouaves. Cette proportion excessive de ces militaires est assez facile à expliquer. 5° Des L'esprit emblèmes-métaphores. du peuple s'y — Ils sont bien intéressants. montre sous son vrai jour dans toute et sa naïveté. Que demandent en effet les natures peu instruites? La représentation objective ou symbolique d'une idée ou d'un groupe d'idées. De là la grande fréquence des cœurs percés, des étoiles (étoiles de bonheur ou de malheur) (Pig. 35); des ancres (ancres de marine, de salut, de sauvetage), des mains entrelacées (serment d'amour ou d'amitié); des mains entre- tenant une pensée avec des initiales (Fig. 36) c'est un tatouage que j'ai trouvé sur plusieurs pédérastes des poignards dans la région mammaire gauche (c'est le poignard lacées, : ; dans cœur, une blessure mortelle, une plaie toujours ouverte et sur les bords de laquelle le dessinateur ne manque le jamais de figurer trois ou cinq gouttes de sang). Le poignard est l'instrument tragique, celui qui impressionne le plus. On ne le trouve pas représenté seulement sur la poitrine, mais encore sur d'autres parties. Je dos, à la partie antérieure l'ai vu sur les bras, dans le des cuisses. Souvent ce sont deux
62 LAGASSAGNE. A. poignards croisés ou bien deux mains tenant ensemble un poignard et au-dessous l'inscription Mais l'emblème même à vie, la mort. On plus répandu est la pensée. peut dire que c'est presque l'unique espèce de la flore des Sur 97 tatoués. telles le à la : que fleurs, je relève 89 pensées, 8 fleurs diverses, fleurs exotiques, roses, une seule marguerite. La que recherchent, disent-ils, les fleur chantée par les poètes et amoureux n'a populaire. L'homme du peuple n'admet aucun caractère symbolique dans réellement que même pensée. C'est la fleur du souvenir Une pensée ou plus souvent surmonte à moi, à est suivie elle, et ma mère, à ma sœur, à fleur parlante; très souvent la de l'espérance, à Marie, mots les etc. C'est : une femme aimée portrait de la le milieu le se trouve sur la fleur elle-même, sur ses pétales; au-dessous le nom de la femme, à Marie, à Rosalie, à Constance. Nous possédons treize cas de cette variété. La faune des tatoués n'est pas plus variée et ce ne sont pas les animaux domestiques qui y occupent le premier rang. Le Lion occupe la première place : c'est le roi des animaux, Ce sont ensuite les chiens, les pigeons messagers, portant tous ou une pensée ou une lettre. Je ne puis m'étendreplus longuement surce sujet, mais j'en puis vient le serpent. ai dit assez pour montrer l'intérêt qu'il présente. chiffres qui feront voir la fréquence de ces emblèmes Pensées • • Cœurs percés Poignards dans Ancres : 89 46 région la mammaire gauche 31 84 41 Etoiles Poignards Mains entrelacéi — — — 11 s 24 < et liées par des chaînes 2 une pensée tenant un poignard 5 et tenant et 7 15 Lions Serpents Tigres Chiens 6° Voici des Emblèmes amoureux et 12 8 5 érotiques. — J'ai rangé dans
Lés tatouages. 63 provoqués par cette catégorie tous les tatouages qui ont été une manifestation de l'instinct génital. Dés bustes de femmes (176), des femmes nues (35), des dessins représentant le coït debout (4), des verges, est impossible une foule de scènes lubriques et de décrire. Ajoutonsencoreque qu'il les indifférents, c'est-à-dire ceux qui ne désirent pas avoir le portrait de leur femme quelconque, maîtresse, mais d'une néral une gleuse, 7° cantiniere, une êcuyère, une la femme-canon. Emblèmes fantaisistes, historiques. du tatoué mais surtout du tatoueur. ou dans les aleliers pénitentiaires, retirer bénéfice marades. ou J'en ai même et, à mes compagnons. » Il — C'est a, y dans la fantaisie les prisons desindividus qui, pour en pour se distraire, tatouent leurs ca- trouvé un qui J'aime à dessiner choisissent en gé- une danseuse, une jon- actrice, me disait : « Ça tue le temps défaut de papier, j'emploie la peau de Nous avons rencontré beaucoup de ta- toués qui ignoraient la signification des tatouages dont ils étaient porteurs. nel Le dessin représente un souvenir person- au tatoueur ou au tatoué, ou bien est la copie d'une image quelconque. C'est une gazelle, uacoq, un lièvre, un bouc, un cafard, un un Indien, un Chinois, des Canaques, les sauvages ou Arabes sont en assez grand nombre, un palmier, un voyou bousier, les de Paris, un vase de fleurs, un_po£ de chambre, un revolver, un aloes, des types de femmes de différents pays, puis des dessins allégoriques : le char de la Fortune, des amours, des pages. Les personnages mythologiques sont peu nombreux. Les sirènessonl surtout fréquentes (8), quelques Bacchus et quelques Vénus, un Apollon, un Cupidon. Les tatouages histori- quessont représentés par des soldats romains, des chevaliers, surtout par des mousquetaires (30), parmi lesquels cinq fois portrait de $! Artagnan. Je ne crois pas qu'il soit possible de donner une meilleure preuve de l'impression produite dans le le peuple par le roman d'Alexandre Dumas. Un personnage
64 A. LACASSAGNE. plus populaire encore, surtout parmi les marins, c'est Jean Bart Napoléon (surtout le premier 4 pour un seul Napoléon III), Marie Stuart, Jeanne d'Arc, Puis viennent (8). les : Charlotte Corday, Garibaldi, Abd-el-Kader, Bismarck, Man- marchand de crayons, Jules Gérard, Denis Papin, Anne d'Autriche, La Fayette, Mac-Mahon, duc de Momy, gin, le Mlle Granier, etc. J'en ai dit assez pour montrer l'utilité de semblables col- Ce n'est que lorsqu'elles sont nombreuses qu'elles acquièrent une véritable valeur. Il serait impossible, je crois, lections. de réunir de semblables matériaux, procédé que cription j'ai même si on n'avait recours au employé. Le souvenir des dessins, leur des- dans des notes n'est rien à côté de leur re- présentation objective. C'est en classant ces dessins, en comparant qu'on arrive à en essayé de le tirer certaines remarques. les J'ai prouver dans ce travail, qui, peut-être, donnera l'idée d'études semblables. CHAPITRE IV — ÉTUDE DES TRAVAUX RÉCENTS SUR LE TATOUAGE. ANTHROPOLOGIQUE DU TATOUAGE. Nous allons donner dans ce chapitre un résumé des travaux de Lombroso et de l'école italienne, et le récit du procès Tichborne qui a occupé les tribunaux anglais pendant près de deux ans, et a porté sur certains caractères de l'identité déduite des cicatrices et des tatouages. Mais ce qui nous paraît surtout important c'est de faire connaître au public français un des plus curieux chapitres de l' Uomo delinquente, le bel ouvrage du professeur de médecine légale de Turin. Nous serions satisfaits partie blic du livre si la traduction ou le résumé d'une de notre savant ami pouvait engager le pu- médical français à faire connaissance avec une œuvre si remarquable. Un des caractères les plus singuliers de l'homme primitif
65 LES TATOUAGES. ou à l'état quelle soumet se il thétique . sauvage est, dit Lombroso, la fréquence avec la- une opération plutôt chirurgicale qu'es- à (1). Celle pratique est aussi répandue en Italie sous le nom marco, nsito, sègno, devozione, mais seulement dans de les dernières couches sociales, chez les paysans, les marins, les fréquemment encore chez les criconstitue un nouveau et spécial ca- bergers, les soldats, et plus minels, pour lesquels il ractère médico-légal. Lombroso compare un ensemble de 6,784 dont sujets 3,886 soldats et 2,896 criminels, prostituées et soldats criminels. D'après le tableau qu'il présente, comme en France, ou même chez les on voit qu'en Italie sauvages, les femmes donnent une très faible proportion de tatouées. Chez les hommes non en 1873, cpic, criminels, cet usage tendrait à décroître, puis- Lombroso trouve un chiffre dix fois qu'en 1863. Cependant cet usage persiste et grandes proportions dans très militaire, soit civile, la moins élevé même prend de population criminelle, soit puisque sur 3,048 examinés, il en trouve 167 de tatoués, soit 7,9 0/0 chez les adultes et 40 0/0 chez des jeunes gens mineurs. Le plus grand nombre des militaires tatoués se montre en Lombardie, dans moins dans les le Piémont, dans les Marches. y en a provinces de Sardaigne, de Toscane, de La cause pourrait ples. Il celtique des premiers. Na- êlre en partie attribuée à l'origine Les Celtes sont en effet les seuls qui dans l'antique Europe occidentale aient eu cette coutume. Mais cet faut tenir il compte aussi du sancluaire de Lorette, où usage est conservé avec beaucoup d'aulrcs (1) comme un' Dans une communication au congres de l'Association française à ami M. Magitot, qui s'est spécialement occupé des déformaethniquos, a présenté une carte sur laquelle il a essayé, au moyen Alfrcr, notre lions de cinq teintes différentes, d'indiquer la répartition du tatouage par tatouages par piqûres, par incisions, par cicatrices ou bnllures, soiu épidermiques, mixtes. Cos variétés indiquent les différents modes espèces : Opératoires. Lacassagne. 5
66 LACASSAGNE. A. dévot commerce. y a en Il effet, près de l'église, des tatoueurs ou marcatori, qui font payer pour chaque tatouage 60 ou 80 centimes. C'est un prix énorme si l'on pense à la misère des opérés, au petit avantage qu'ils en retirent, aux inconvénients qui en résultent pour beaucoup. Quelques pèlerins ainsi tatoués sont obligés de garder le lit de trois à quinze jours à la suite d'érysipèles, de phegmons, d'adénites et même, ce qui n'est pas rare, pour gangrènes. Lombroso relève ensuite les professions des tatoués avant leur incorporation dans l'armée. et dans çons (9 les Marches, sur 134), des pêcheurs (8), de Carrare, des charpentiers. charretiers ; dans les trouve qu'en Lombardie ma- a surtout des paysans (40), des y il Il En des boulangers, des mineurs Vénétie, ce sont surtout des Romagnes Naples, des pêcheurs et à et des bergers. Au point de vue de la région du corps tatouée, c'est d'a- y en a peu aux épaules, à la poitrine (ce sont alors des marins), aux doigts (les mineurs), et c'est alors une espèce de bague. Lombroso af- bord la face palmaire de l'avant-bras. Il firme qu'aucun tatoué n'en présente dans parties sexuelles, s'il n'a fait le un voyage dans dos ou sur les îles les océa- niennes ou un séjour dans les prisons. Il distingue les tatouages d'après les symboles auxquels em- ces dessins font allusion et reconnaît quatre signes ou blèmes différents : des signes d'amour, de religion, de guerre, de profession. Telles sont des les manifestations extérieures idées et des passions prédominantes chez un homme du peuple. Les signes d'amour sont toujours tais. ils moins nombreux, et presque appartiennent à des Lombards ou à des Piémon- Ce sont ou écrits les le nom ou femme aimée, du premier amour un les initiales en lettres majuscules, l'époque de la ; ou plusieurs cœurs transpercés d'une flèche; deux mains entrelacées ; c'est à la main, ou une femme, habillée en paysanne, une même un fleur court distique d'amour. Les symboles de guerre sont surtout fréquents chez les mi-
67 LES TATOUAGES. litaires, ce qui est fort naturel, puisqu'ils sont un signe pro- Quelques-uns sont dessinés avec tant de finesse ou de variété qu'ils rappellent la minutieuse précision de fessionnel. égyptien ou mexicain. l'art Les porteurs de ces tatouages sont encore le plus souvent des Lombards ou des Piémontais. Ces dessins rappellent une série d'idées semblables à celles de nos soldats. C'est la date de l'engagement, d'une bataille mémorable à laquelle a assisté le soldat, l'arme de son propre régiment, ou toutes ces choses réunies. dans le ou avec genre de ceux-ci le : On trouve aussi des dessins un canon sur boulet qui sort de la gueule croisés avec une grenade sur ramide de boulets dans aux sins spéciaux le ; le point de partir, deux canons entre- triangle inférieur, une py- Ce sont des desde campagne, ou à ceux qui le triangle inférieur. artilleurs servirent l'Autriche. Dans l'artillerie la cavalerie, de place, un cheval avec une croix ; pour ; pour les bombes ; pour gendarmes, une grenade les bersaglieri, chapeau avec des plumes une carabine ou un flottantes. Les symboles religieux sont emblèmes mortier à c'est le les plus fréquents après les militaires, ce qui paraîtra bien naturel « à celui qui connaît l'esprit dévot de notre peuple. » Toutefois il faut ajouter que beaucoup de ceux-ci furent, contrairement aux autres, tatoués avant d'entrer dans l'armée. C'étaient des bergers de Lombardie ou des pèlerins de Lorette. Ces dessins consistaient pour la plupart en une croix sur- montant une sphère un cœur entouré de cierges est spécial aux Lombards, l'image du Saint-Sacrement est particulière : aux Napolitains ; c'est un crucifix, le portrait d'un saint patron, que l'individu a pris en adoration spéciale; c'est tête de mort que l'on une rencontre assez souvent chez les Napo- litains. y a un tatouage presque exclusif aux populations des Romagnes, de Chieli et d'Aquila, c'est le dessin transformé 11
68 A. LA.CASSAGNE. un II majuscule orne d'une ligne transversale en plus et surmonté d'une croix. On peut trouver ce dessin sur des Calabrais, Lombards qui furent à Ancône, puis à Lorette, soit par hasard, soit en pèlerinage, par les peintres et qui se réduit à un souvenir de et qui ont désiré avoir événement sur leur cet propre chair. Quelques marchands d'objets de piélé (di sacre quisqui- qui se tiennent à Lorette, près du sanctuaire, dessinent glie) eux-mêmes pour de grosses récompenses ces tatouages seulement sur cou les bras, mais aussi sur de manière à simuler des une que telle perfection, le non et la poitrine, des médailles, et cela avec colliers, l'on dirait des objets réels et sail- lants. Les symboles divers ont peu de signification. C'est une fleur, un arbre, un anneau, les propres initiales. D'autres peuvent avoir plus d'importance en rappelant certaines cir- constances spéciales de la vie du tatoué. Un individu, par exemple, portait de Naples, avec le mot Gaeia, le portrait del'ex-reine ce qui était bien le signe or- gueilleux d'un vétéran bourbonien. Lombroso a cinq fois un dessin assez bizarre qu'on lui dit représenter une tarentule ou une grenouille. C'étaient sur quatre Napolitains et un Sicilien, tous individus fortement soupçonnés d'être noté affiliés à la Caniorra. talouagc, et il Il ne put savoir ce que voulait dire ce n'est pas éloigné de reconnaissance, de de croire que ce même que les fût un signe carbonari en portaient un à peu près semblable vers 1815. Mais le tatouage devient une particularité de l'homme criminel, puisqu'il est adopté par lui avec un caractère spécial, une étrange fréquence et une diffusion remarquable sur tout le corps. Tout le monde sait que les soldats détenus sont plus sou- vent tatoués que les autres militaires. Ce serait huit d'après Lombroso. decin qui « lui Un soldat, non demandait pourquoi fois plus, tatoué, répondit à ce il mé- n'avait pas de dessins Parce que ce sont des choses que font les galériens. » : Un
69 LES TATOUAGES. médecin militaire disait même que réputation de mauvais soldats. de l'époque ou le les tatoués ont a priori Que nous sommes « tatouage était considéré la loin comme une preuve de virilité et était dans l'armée piémontaise adopté par les courageux » ! Une étude minutieuse des divers tatouages adoptés par criminels démontre que ces signes ont de l'importance et les par leur fréquence et par une caractéristique toute spéciale. En effet, 4 de ces 162 dessins exprimaient bêtement l'es- prit violent, vindicatif Un ou porté à des projets désespérés. avail sur la poitrine, au-dessous de inscription la triste Je jure de : me deux poignards, venger ; c'élaitun ancien marin piémontais, filou et homicide par vengeance. Un Vé- nitien, voleur récidiviste, portait sur la poitrine ces paroles « Malheur à moi, comment Lugubres paroles autrement lugubres que Philippe, l'é- qui rappellent celles finir ai-je? » trangleur des prostituées, s'était fait tatouer sur droit, quelques années avant sa condamnation: une mauvaise : bras le a Ne' sous étoile. » Voici un autre Le 13 février 1881, que fait je viens d'observer. mon collègue, M. le professeur Pierrel, l'autopsie d'un individu décédé à la prison Saint-Joseph. fait Cet individu, âgé d'une trentaine d'années, cordonnier de profession, a été et autres délits. condamné On seize fois pourvoi, mouler a fait vagabondage on conserve ses lobes et cérébraux manifestement inégaux. Sur les bras tatouages. Au bras droit : Pas de chance, et il y a des au-dessous un sabot. Il pre semble, dit Lombroso, que fin et l'inscrit Un le criminel prévoit sa pro- sur sa propre chair. criminel s'était mis sur le front : Mort aux Bourgeois un autre, un trophée surmonté d'un et les Mazzini deux ; M., ce qui voulait ; phrygien Vive un autre avait des tatouages qui rappelaient les événements geance. W. bonnet lettres les plus importants de sa vie dire et ses idées : de ven-
70 A. LACASSAGNE. avant sa fameuse tentative de régicide avait été condamné pour faux et, à cause de cela, rayé des cadres de la Pieschi Légion d'honneur. poitrine me ne ils « : En prison, Heureusement, il se tatoua disait-il, que une croix sur celle-là la au moins Ce singulier mélange d'une d'une coutume antique indique un esprit l'enlèveront pas vanité moderne et » ! un jugement pervers. Un autre caractère du tatouage chez les criminels fourni par X obscénité du dessin ou la région du corps sur et est la- quelle les dessins sont exécutés. Sur 142 criminels examinés par Lombroso, 5 étaient dans ce cas. Tous portaient le long de la verge le dessin d'une femme un autre avait fait représenter sur le gland le visage d'une femme, de telle sorte que la bouche se trouvait constituée par l'ouverture du méat urinaire sur le dos de la verge étaient les armes de la maison de Savoie. Un portrait, sur les mêmes parties, les initiales de sa maîtresse un autre un bouquet de fleurs. Tous ces faits, dit Lombroso, prouvent l'absence de pu; ; ; deur de sensibilité, car et loureuses Hébra donne la d'animaux et d'arabesques. même dou- chez les Birmans. ils trans- peau en vrai tapis de Perse, par l'assemblage dans le parmi les par Berchon, et moins tatouées que sauvages les Les dessins étaient sur tout le cuir chevelu, sauf cependant les parties génitales, qui étaient nes. Et même les plus d'un Européen dont le portrait formèrent corps, une des régions aussi l'épargne-t-on ; (1) c'est il les régions voisi- n'y a que les Tabitiens, cités indigènes de l'île Viti, cités par Giglioli, qui, par exception, se tatouent à la vulve. Un autre caractère des criminels, qu'ils ont de commun avec les d'après Lombroso, et marins et les d'imprimer des dessins non seulement sur trine, (1) mais aussi sur toutes les parties Hébra, Atlas de dermatologie. les sauvages, est bras et du corps. la poi-
71 LES TATOUAGES. Je n'insisterai pas sur Lombroso mes observations beaucoup plus et je rappelle nombreuses, puisque j'ai les observations et 35 individus, tatoués sur tout le dessins de les corps. Ce grand nombre de tatouages prouve bien sibilité propos par les dessins relevés à ce peu de sen- le des criminels, ce qu'ils ont d'ailleurs de commun avec les sauvages. Un autre qui distingue fait le tatouage des criminels est leur précocité. A la prison générale, fants de 7 à 9 ans. été tatoués entre 9 Lombroso en a trouvé sur des en- Sur 89 criminels en général, 66 avaient et 16 ans. Pour confirmer ce qu'avance Lombroso et qui est en contradiction avec les assertions de Berchon et de Tardieu, je vais donner le tableau suivant d'après mes observations. Il est plus complet que le tableau qui a été publié plus haut, page 20. A A 5 ans, 1 7 — — 4 8 - 1 6 1 9-6 — 11— 12— 10 Il résulle de que presque mes 6 13 ans, 4 14—8 13—9 16 — 13 17—8 18 — 11 19— 20— 5 9 3 6 observations, faites sur des criminels, le tiers des individus avait été tatoué avant l'âge de 20 ans. il Lombroso s'occupe ensuite des tatouages professionnels, donne quelques renseignements sur leur disparition. Des criminels lui touages en auraient avoué avoir fait disparaître des ta- retatouant les parties avec des aiguilles sem- blables trempées dans le suc de la figue verte. Il parle aussi des tatouages surajoutés. Sur 74 tatoués, 41 étaient voleurs, 18 homicides et voleurs de grand chemin, 7 vagabonds, 5 faussaires, 3 incendiaires. Sur 89 tatoués de la gorie, 71 s'étaient tatoués rection, 8 en prison ou à la môme caté- maison de cor- au service militaire, 4 dans des pèlerinages, 4 chez
72 A. LA.CASSAGNE, eux. Sur 50 de ces hommes, 27 étaient .tatoués en bleu par poudre decharbon etdechasse,6 enrouge par 1 en noir par le le cinabre, noir de fumée, 6 à la fois en rouge et bleu. Avant d'énumérer les différentes raisons invoquées par Lombroso sur les causes du tatouage, il nous semble utile de connaître sur ce faire éminents savants qui se MM. Edward Tylor (1) et point les opinions sont occupés Darwin Tylor recherche l'origine de deux des question, la (2). des légendes et l'importance qu'elles ont dans l'explication des mutilations ethniques, à ce propos il et parle des légendes relatives aux tatouages l'une des plus singulières fait comprendre pourquoi les : Fid- jiens ne tatouent que les femmes, tandis que leurs voisins Tongans ne tatouent que les hommes. Il paraîtrait qu'un Tongan fut envoyé aux îles Fidji pour y apprendre comment se pratiquait le tatouage. En revenant, pendant la « Il faut tatouer les femmes et non les roule, il répétait hommes. » Mais, tout à coup, rencontrant un obstacle, il faillit tomber, oublia la fameuse phrase, et à son arrivée à Tonga il dit aux siens «Il faut tatouer les hommes et non les : : les femmes, » et le précepte fut adopté et depuis ce moment appliqué. Cette explication, ajoute Tylor, paraissait toute naturelle aux Polynésiens, car les habitants de Samou racontent une histoire analogue et ne différant que par quelques détails de celle des îles Darwin « insiste sur l'universalité Quiconque lor et de Tonga. lit de certaines coutumes avec soin les intéressants ouvrages de Ty- Lubbock ne peut manquer de remarquer semblance qui existe entre les hommes de relativement aux goûts, au caractère et ce que faire prouve : le plaisir qu'ils une musique grossière, la res- toutes les races aux habitudes. C'est prennent tous à danser, à se peindre, à se tatouer à ou à s'orner de toutes les façons.... Or, lorsque les naturalistes (1) (2) La civilisation primitive, t. I. Darwin, La descendance de i homme, Tylor, etc., t. I, p. 257, t. II, p. 369.
LES TATOUAGES. remarquent une grande similitude dans de nombreux petits détails d'habitudes, de goûts et de caractères entre deux ou plusieurs races domestiques, ou entre des formes naturelles très voisines, ils regardent ce races dépendent d'un ancêtre lités; et, par conséquent, comme une preuve que ces commun doué des mêmes qua- fait groupent toutes dans ils les même espèce. Le même argument humaines avec bien plus de peut s'appliquer aux races force encore. » Darwin cherche à mettre en évidence beauté avec que les les mariages humains. sauvages ont la la Il l'influence de la est notoire, dit-il, passion de l'ornementation, et un philosophe anglais va jusqu'à soutenir que les vêtements ont été imaginés d'abord pour servir d'ornements et non pour se procurer de le professeur Wailz, homme, il la chaleur. « si remarquer misérable que soit un Ainsi que pauvre et si trouve du plaisir à se parer. le fait Les Indiens de » l'Amérique du Sud qui vont tous nus attachent une importance considérable à la décoration de leur corps, prouve l'exemple « d'un homme de haute taille comme le qui gagne avec peine par un travail de quinze jours de quoi payer le chica nécessaire pour se peindre le corps en rouge. anciens barbares qui vivaient en Europe à renne rapportaient dans leurs brillants ou cavernes singuliers qu'ils trouvaient. Les » l'époque du tous les objets Aujourd'hui les sauvages se parent partout de plumes, de colliers, de bracelets, de boucles d'oreilles, etc. Ils se nière la plus diverse. « Si l'on Humboldt, les les nations peintes peignent de la avait examiné, avec la même ma- remarque attention que nations vêtues, on aurait vu que l'imagination la plus fertile et le caprice le plus changeant ont aussi bien créé des modes de peinture que des modes de vêtemenls. » Dans une partie de l'Afrique, les sauvages se peignent paupières en noir; dans une autre, ils les se peignent les ongles en jaune ou en pourpre. Dans beaucoup de localités, les cheveux sont teints de diverses couleurs. Dans quelques pays, les dents sont colorées en noir, en rouge, en bleu, etc., et
74 A. LACASSAGNE. dans l'archipel Malais on considère comme une honte d'avoir comme un les dents blanches un grand pays compris entre seul nord chien. tatouent pas. les bérances en frottant de sel ils des incisions faites sur diverses considèrent que cela constitue Dans les se tatouent, se couvrent de protu- du corps. Les habitants du Kordofan parties au indigènes ne se En Afrique, quelques indigènes mais beaucoup plus fréquemment nommer ne saurait les régions polaires Nouvelle-Zélande au midi où et la nels ». On pays arabes, du Darfour de grands attraits person- « il et n'y a pas de beauté parfaite, tant que les joues ou les tempes n'ont pas été balafrées. Darwin conclut prouvent ainsi : « Enfin, les citations précédentes, remarquable que fait mêmes modes les de modifications dans la forme de la tête, l'ornementation de chevelure, la peinture et le du nez, des lèvres ou des des dents, etc., 11 oreilles, est fort les le percement l'enlèvement et prédominent encore, comme depuis longtemps dans globe. tatouage du corps, parties le limage elles l'ont fait les plus éloignées du improbable que ces pratiques, auxquelles tant de nations distinctes se livrent, soient dues à dition provenant d'une plutôt, de la même que les source commune. une tra- Elles indiquent habitudes universelles, delà danse, des mascarades, et de l'exécution grossière des images, une similitude étroite de l'esprit de l'homme, à quelque race qu'il Il appartienne. » nous paraît indispensable de relater ici le tableau que père Mathias G... trace du tatouage chez les Océaniens Après cette lecture, le (1). on saisira mieux l'importance des causes que nous donnerons ensuite. Le Père Mathias G... trace un fort curieux tableau du ta- touage chez les Océaniens. « J'ai maintenant à dépeindre comment ils s'habillent et soignent leur corps. Bien qu'on les dise tout nus, le soient . en effet une bonne partie du temps, et et qu'ils encore à moitié découverts dans leurs plus grandes cérémonies, où (1) Lettres sur les Ues Marquises, etc., Paris, 1843, p. 129.
75 LES TATOUAGES, pompeux mettent leurs plus ils moins qu'il n'y aurait habits, je vous assure néan- pas peu à dire pour quiconque vou- dans une soigneuse description les détails de car, croiriez-vous que dans la nudité il y a drait épuiser leur toilette; du plus haut fashionabïe? Je me contenterai de vous donner une idée du tout, principalement aux Marquises. Je commence par les âges. « Depuis la naissance jusqu'à 10 et 12 ans, l'enfant des deux aussi de la recherche, de la fatuité et marche sexes si jusqu'à cet âge, ; touage et en : mets je effet il qu'il est si ma que nature la l'a fait, et rarement devant l'étranger qui semblerait trop ce n'est rer tel le rougit, considé- n'y a donc ni habillement, ni ta- il celui-ci il au rang de leur genre de vêtement, même temps commencerai même en est un et des plus beaux, en particulièrement original. Je description parce point. Arrivés à l'âge de 15 à 16 ans, on jette une ceinture aux enfants des deux sexes, et l'on commence le tatouage du reste de leur corps, à chacun suivant le genre qui convient; mais c'est un habillement qui ne se complétera que successivement, et souvent dans un âge avancé un peu douloureux, et il faut du temps pour en supporter les douleurs. On commencera quelquefois par percer les oreilles; et alors il faudra une victime humaine à sacrifier, si ce sont les oreilles princières de quel; car il est que altesse d'un haut rang parmi les femmes, vous l'ai raconté. « Pour cementde le tatouage, on se contentera de quelque fleurs comme je commen- ou de broderie, aux doigts, aux mains jambes. Mais notez bien, avant que j'aille et aux plus loin, que la moindre des opérations de ce tatouage, qui ne fait que commencer, est une chose non commune, mais sacrée, qui ne se qu'en secret, ou dans un lieu saint, par des mains spécialement destinées à une si haute fonction, et avec acfait compagnement de cérémonies qui rehaussent encore l'opération. Ce ne fut que par un privilège spécial que nous obtînmes un jour d'en être témoins, bien que profanes étrangers. « Il y a pour chaque famille princière une famille de la-
LACASSAGNE. A. toueurs qui lui est spécialement affectée, et c'est une dignité qui se transmet de père en premier faut il pétent avec la en sorte qu'à mort du attendre souvent plusieurs années l'âge comfin des études de tatouage du jeune peintre fils, qui doit enfin vous appliquer ses pinceaux sur « Celui que je vis opérer dans •Ioha, et sur. lui-même, était quinzaine d'années, jeune la famille un de homme la le corps. d'un chef appelé ses jeunes neveux, d'une des plus intéressants. Le patient était couché sur la paille, entre les mains de plu- sieurs compagnons qui de chirurgie ché sur lui, la le comme pour tenaient plus douloureuse et le ; l'opération jeune tatoueur, pen- ayant à ses côtés ses tasses de diverses teintu- res avec ses tablettes et ses poinçons, espèce d'ossements de poissons très acérés, lui dessinait res fort jolies, dentelles, broderies, après le dessin tracé, lui sur le corps mille figu- images de poissons; puis, enfonçait dans l'épiderme ses ai- guilles imbibées d'une encre indélébile. Il paraissait bien, aux grimaces du pauvre tatoué, que l'opération avait quelque chose de piquant, car ces hommes, qui jamais ne se plaignent, pas même l'enfant dans les plus grands maux, ne peuvent s'empêcher défaire entendre alors de la tient, douleur. dont le bout de quelques heures, on laisse pauvre tatoué, : on donne à à qui il est celui-ci et défendu pendant plusieurs jours va se coucher dans sa case, où etc., pa- une récompense, de prendre certain genre de nourriture kava, le tatoueur a essuyé bien soigneusement toutes de sang les gouttes le Au les soupirs comme cochon, les dentelles qu'on lui a faites deviennent autant d'ulcères fort douloureux. Ces ulcères guérissent au bout de quelques jours, les broderies reparaissent plus belles que jamais, et pour ne plus s'effacer. « Je vous ai dit que n'est pas le le tatouage de l'un et de l'autre sexe même. Aux femmes, et même aux plus grandes aux brodequins, aux bracelets, au gant souvent d'une seule main, à des épauleltes descendant princesses, il se bornera à moitié du bras, et enfin au pivelé des lèvres et des oreilles. Mais pour les hommes c'est autre chose, il n'y a pour ainsi
L,ES TATOUAGES. pas de partie du corps qui n'ait ses figures dire, commencer par les pieds des bas à jour les mieux dessinés telles, à vus j'aie 77; les ; : genoux ont leurs mollettes, pour rendre le ; ; les cuisses leurs haut du corps se rien n'est épargné ici dessin parfait, sauf les figures grotesques le Les mains ont qui sont ajoutées aux plus fines dentelles. leurs gants, mais des gants à jour qui remontent jusqu'à du bras, où moitié ils rejoignent les bouts de manche du hausse-col. Enfin le tout se termine par la figure; mais, faut le dire, c'est celui-ci est en sens inverse du reste du corps, car brodé avec soin, celle-ci, au contraire, est à des- grotesques qu'elles inspirent la peur et au reste, est il si sein défigurée par des barres transversales obliques, et tention, et mieux brodés que et les distingue par les plus belles cuirasses den- brodequins ce sont des cuissards, tout le dos mille bigarrures et ses le si dégoût. Leur in- de faire peur à leurs ennemis. Sauf celte horrible caricature de la figure, vous jureriez de loin voir le plus beau costume de cotte de mailles de nos anciens che- valiers; et dans dirait qu'il n'y tume fort la nudité des hommes a rien d'indécent, des Marquises on mais seulement un cos- bien assorli au climat et aux goûts guerriers de ce peuple. » . Nous allons maintenant donner d'après Lombroso les causes qui maintiennent cette coutume. C'est l'étude anthro- pologique du tatouage. 1° La religion qui a tant d'influence sur les peuples a une ccrLaine tendance à conserver les habitudes et les anciennes. usage relte. : C'est ainsi qu'elle contribue à maintenir cet son intervention est pour ainsi dire Ceux qui ont un coutumes culte spécial pour qu'en le dessinant sur leur propre chair officielle un ils à Lo- saint croient lui donnent la preuve réelle et l'assurance de leur attachement. Sur 102 criminels tatoués, Lombroso en trouve 31 avec des emblèmes religieux. Rappelons à ce sujet que Jtloïse les tatouages réprouvés par sont assez rares chez les Israélites. Nous en avons
78 LES TATOUAGES. cependant trouvé quelques-uns sur des 2° L'imitation est à Lombroso, qui une seconde cause. de s'être raillait le condamnés. juifs Un soldat répondit tatouer fait : « Nous sommes comme des brebis, nous ne pouvons voir faire quelque chose par un camarade que nous ne l'imitions aussitôt au risque de nous Une compagnie du mal. faire » de l'ancien régiment de Savone se trou- vait presque en grande partie tatouée avec un qu'un des soldats, ancien marin, très dévot ment à Jésus-Christ, avait tatoué grand nombre de ses camarades. 11 cette opération et particulière- même le christ, parce dessin sur un n'exigeait d'ailleurs pour que quelques sous ou une ration de pain. 3° L'oisiveté a aussi sa part. C'est ainsi qu'on peut expli- quer grand nombre de tatouages chez le les déserteurs, les prisonniers, les marins. L'inaction est plus pénible que la douleur même. 4° La vanité' a une bien plus grande influence. Cette pas- sion prépondérante, qui existe chez les animaux, se trouve à tous les degrés de l'échelle sociale et conduit aux actions les plus bizarres et les plus étranges. sauvages, qui vont nus, portent Les poitrine ; les dessins sur la chez nous, à cause des vêtements, les tatouages se trouvent sur les parties les plus facilement découvertes, les avant-bras et plus souvent De même que chez le droit les anciens que Thraces le gauche. et les Pietés cer- tains talouagesdistinguaient leschefs, de même chez un grand nombre de peuples sauvages on voit encore ces dessins servir de marques extérieures de distinction. Dans la Nouvelle-Zélande le genre des dessins varie comme chez nous la mode. c'étaient les lignes courbes Chez lesse ; à les Birmans ne pas Noukaïva, Sumatra, les le n'y a que quelques années maintenant ce sont être tatoué est les nobles plus développés que A ; Il les figures. un signe de mol- peuvent porter des tatouaged peuple. Pagai se font un signe de tatouage pour chaque nouvel ennemi tué.
79 LES TATOUAGES. Dans Nouvelle-Zélande, la le tatouage est un vrai blason de noblesse, dont ne peuvent se servir les plébéiens; aussi, les chefs quand eux-mêmes ne peuvent employer certains signes n'ont pas accompli quelque action remarquable. ils Toupée, cet intelligent Néo-Zélandais, qui fut, y a quel- il ques années, envoyé à Londres, insistait auprès du photo- péen, disait-il, son écrit écrit là.» C'est le «Bien que nom même avec une plume famille est plus illustre Toupée Ta ; que j'ai sur ils pareeque le front, la leur. » de corps contribue aussi à propager cette coutume. faut tenir compte en Il L'Euro- Ghonques soient plus puissants que moi, les 5° L'esprit « : qui disait à Dumont-d'Urville: ne pourront porter ces lignes, que ma son tatouage qu'il fit bien ressortir graphe afin broso a trouvé même temps de l'esprit quelques initiales chez de secte. Lom- les incendiaires de Milan, certains signes chez des repris de justice à la prison générale. Des groupes de Camoristes doivent avoir adopté ce genre d'ornement primitif, bande, de même qu'ils avaient gles, les chaînes, certaines Chez gue les sauvages des un les bagues, les épin- îles Marquises, ennemies le tatouage distin- un l'une a ; triangle, cercle. De même, de adopté signe distinctif de formes de barbe. les différentes factions l'autre comme les tribus nègres se distinguent par les incisions la face. 6° Les plus nobles passions humaines peuvent aussi, jusqu'à un certain point, provoquer des tatouages. Les habitudes du village natal, l'image du saint patron, l'enfance souvenir de ou de l'amie lointaine viennent et reviennent con- tinuellement comme soldat, et ces des images dans la mémoire du pauvre images sont rendues plus vives par l'éloigne- ment, les dangers et les privations. Un signe qui les résume une imagedevient alors précieux de plaisirs aussi doux que moraux. tous en Une le curieuse endémie du Lombroso d'après les notes et comme la source tatouage est ensuite citée par du D r Albertotti. Ce fut parmi
80 LACASSAGNE. A. les pensionnaires d'une communauté assez renommée de Casmoment de se séparer, tellamonte, ou douze jeunes gens, au se firent tatouer un signe nées de collège. C'était qui faisait allusion à leurs an- nom du le directeur ou celui d'un camarade. 7° Les passions amoureuses ou mieux erotiques ont bien aussi une influence, initiales ainsi que prouvent le amoureuses sur obscènes, les figures les tribades et les les criminels, les prostituées. En Océanie, les femmes ont sur la vulve des dessins ob- y a quelquesannées, dit Mantegazza, les femmes japonaises se tatouaient sur les mains des signes qui faiscènes. El il saient allusion à leurs amoureux, signes qu'elles effaçaient quand elles changeaient d'amants. Les femmes de Tahiti, deToba et de Guaranis se tatouent avec des lignes et des cicatrices spéciales pour indiquer De môme chez hommes, le tatouage coïncide souvent avec la virilité c'est un indice, et comme le prétend Darwin dans son exagération, un moyen qu'elles sont vierges ou nubiles. les : de sélection sexuelle. Lombroso « fait alors cette observation pleine de finesse Ce stimulus delà passion, uni détails chez ceux qui, à l'exacte connaissance des ayant peu d'idées, m'expliquerait la délicatesse sont exécutés me rappellecellc des Mexicains dont les antiques des Egyptiens, des Chinois et monuments permettent de très et des bien distinguer la forme des instruments qu'ils ont voulu figurer. Cette perfection des dessins le ont précises, les avec laquelle quelques-uns de ces dessins, délicatesse qui animaux, des végétaux me rappelle encore plus charme exquis des chansons populaires. Tant que la il est vrai passion sera toujours supérieure à tous les produits artificiels 8° : delà culture. La nudité, » peut-être chez nous, par exemple chez les ma- rins et les prostituées, mais certainement pour les sauvages, joue un rôle en transformant les tatouages en espèce de couverture ou d'ornement.
LES TATOUAGES. 81 9 Mais la première el la plus importante des causes est, L- d'après Lombroso, V atavisme ou cet espèce d'atavisme histori- puisque que, la tradition, tatouage est un des caractères le spéciaux de l'homme primitif ou de ceux qui vivent encore à l'état Dans sauvage. préhistoriques d'Aurignac et dans les les grottes sépultures de l'antique Egypte, on rencontre quelques os rendus p lintus, semblables à ceux qu'emploient les sauva- Lombroso ges modernes pour se tatouer. les pas- cite alors sages des auteurs anciens qui font allusion à l'opération du tatouage et que l'on trouvera d'ailleurs mentionnés dans le livre de M. Berchon ou que nous avons cités nous-même. Le professeur de médecine comme comparaison et chez actuellement légale de Turin indique ensuite les certains peuples Marshall, chez les Payaguas, les conclut ainsi : pandue parmi « se pratiquent tatouages qui primitifs Bambura, aux Rien de plus naturel qu'une coutume les sauvages et îles les Gafres, et si les peuples préhistoriques il ré- se montre de nouveau parmi les classes humaines qui, comme les bas fonds marins maintiennent une température constante, coutumes, répètent les les superstitions, chansons des peuples primitifs. classes humaines ont engourdissement de la longue oisiveté, les la Comme ces derniers, ces même violence de passions, le même même puérile vanité, la sensibilité, la et, chez les prostituées, la nudité. Voilà principaux incitants de cette étrange coutume. Disons enfin pour en terminer avec qu'après gio), jusqu'aux Lombroso d'autres médecins les tels » travaux italiens, queZani (à Reg- Livi (à Sienne), Paoli (â Gênes), ont étudié le tatouage chez les aliénés. Pour Lombroso, tinguer le criminel comme les le moyen de dis- bien que celui-ci ait, tatouage peut être un du fou. En effet, l'autre, la réclusion forcée, la violence des passions, longs loisirs, et ait recours aux plus étranges passe- temps, tels qu'arroser des pierres, coudre des vêlements, écrire sur les murs LAGASSAQNE. et barbouiller des rames entières de pa- 6
82 LACASSAGNE. A. pier, très rarement l'aliéné se fait des dessins sur la peau. Sur 800 fous de Pavie de Pesaro, Lombroso ne trouve que et 4 tatoués, et tous l'avaient été avant même Zani de (à Reggio), et Livi le début de l'aliénation ; (à Sienne), qui lui ont com- muniqué leurs recherches pensent que le petit nombre de fous tatoués qu'ils ont observé l'avaient été en prison. A Sienne, en a trouvé 11 sur 500. Sur ces 11, six avaient été tatoués il dans les prisons. Quelques-uns de ceux-ci, après leur arrivée à l'asile, se firent avec de la poudre de brique des tatouages confus et indéchiffrables. Ils essayaient aussi de tatouer quelques-uns de leurs ca- marades de l'asile, mais ne réussirent pas mieux. Il est même probable, dit Lombroso, que le tatouage mal réussi et confus pourrait peut-être permettre de différencier l'œuvre d'un fou de celle d'un criminel dans le eu à exercer son art dans un Le D de Paoli r cas très rare où celui-ci aurait asile. a publié une note sur le tatouage à l'éta- blissement d'aliénés de Gènes (1879), qui a été analysée par D 1' Cougnet (1). L'auteur a observé le le tatouage sur les aliénés ordinaires et sur les aliénés criminels. Il trouve 18 tatoués sur 275 aliénés. Ces 18 aliénés se divisent en 7 aliénés com- muns et 11 criminels, Sur été avant leur entrée à les 7 aliénés communs, 5 l'avaient l'asile. Il n'y en a eu que 2 qui se soient tatoués dans l'établissement. Les 11 autres sont manifestement des criminels, ainsi que le prouve Cougnet, et rentrent dans la catégorie étudiée par Lombroso. En résumé, c'est une nouvelle preuve des rapports du tatouage et de l'atavisme, puisque, ainsi qu'on le sait bien, l'atavisme n'a aucune influence sur la folie. Les Anglais n'ont pas spécialement étudié la question du tatouage. Leurs auteurs de médecine légale ne font que répéter les travaux des médecins légistes français. Cependant, dans la dernière édition excellent (1) ami Arc/iivio de de Taylor, que vientde traduire et collaborateur le Lombroso, 1880. D Henry Coutagne, r mon nous
LES TATOUAGES. 83 trouvons un récit du procès Tichborne que nous allons reproduire, afin de faire connaître une affaire qui de l'autre du détroit a préoccupé longtemps nos voisins. Ce sera côte une transition avec le dernier chapitre dans lequel nous nous occuperons spécialement de la Les questions médico-légales « l'absence de médecine marques de tatouage sur qu'ici limitées à la preuve ou légale. présence ou à liées à la peau ont été jus- la de l'identité d'in- la réfutation dividus accusés de crimes. « 11 y probablement eu dans ce a aient excité lieu à sous un plus grand intérêt nom d'affaire Tichborne, août 1873). ment sur une cela lui-même donna lieu qui est connu celui civil Tichborne et procès criminel Castro La question en identité de personne. sir public et donné le Tichborne (procès contre Lushington, 1871-72, lait dans une discussion plus prolongée que le peu de procès qui siècle ou litige portait entière- Un homme qui s'appe- Roger Tichborne réclamait certains biens; devant le communs tribunal des plaids à un procès d'expulsion qui dura cent trois jours, à la suite duquel cet homme fut en jugement pour débouté de ses prétentions et mis ensuite un grand nombre de faits Après un procès sur ce second point, qui eut exemple de cent quatre-vingt-huit jours, le d'imposture. la durée sans prétendant fut reconnu coupable d'imposture et condamné à la servitude pénale. « Roger Charles Tichborne avait navire ne fut revu depuis; le perdu en mer en Personne de ceux qui se trouvaient sur avril 1854. parler. été Au moment véritable on n'en entendit le même même jamais de son départ pour l'Angleterre, en 1852, Roger avait à la partie interne de l'avant-bras gauche certains tatouages de couleur bleue représentant une croix, un cœur et distinctement avant uneancre. Ces marques avaient été vues son départ de l'Angleterre, pendant une période de six ans, par sa mère, son tuteur et un certain nombre d'amis des deux sexes auxquels à dessein il les avait montrées de temps en temps. LordBellew, camarade d'école '
84 LAGASSAGNE. A. de Roger, déposa qu'en 1847 et en 1848 bras la croix, le cœur il avait vu sur son et l'ancre, et qu'il lui avait lui-môme R G T, faites avec de l'encre indienneetlongues d'un demi pouce. Le même ajouté à ces symboles par jour qu'il avait tatoué également tatoué sur le même jour et le le avec les le tatouage des lettres bras de Roger, ce dernier lui avait bras une ancre. Le tout avait été fait mêmes objets. Vingt-cinq ans s'étaient écoulés depuis qu'ils s'étaient ainsi tatoués l'un l'autre, mais l'ancre persistait toujours, et le témoin montra son bras au jury à l'appui de sa déclaration. « On prouva gner le avant ensuite que, véritable comme on Roger aux bras, aux pieds qu'il quittât l'Angleterre, ces indiquant ce fait. il et à la tempe devait y avoir des cicatri- Étant enfant, il avait eu au bras pendant deux ans un cautère qui, une une avait essayé de sai- fois enlevé et guéri, avait laissé cicatrice large et profonde. Ces faits furent attestés par plusieurs témoins dignes de La dépression du bras foi. lais- sée par ce cautère avait été vue par eux pendant neuf ans après qu'il avait été enlevé. Tels étaient les faits prouves d'une façon satisfaisante par rapport à l'héritier réel. « Douze ans après le naufrage de la Bella, le demandeur Castro, qui résidait en Australie., éleva pour la première fois des prétentions à l'héritage, annonçant qu'il était Roger et du naufrage. Mais il fut prouvé qu'il n'avait qu'après que les journaux australiens eurent publié avait été sauvé agi ainsi quelques avertissements offrant une récompense découverte de tout survivant de « On recueillit et contre l'identité rer ici que les cicatrices. Cet la pour la Bella/ un grande quantité de témoignages pour du demandeur. Nous n'avons à considé- preuves médicales homme tirées des tatouages et des n'avait sur sa personne aucune mar- que de tatouage ni aucun signe indiquant qu'il eût été tatoué. Son médecin, le D r Lipscombe, l'avait examiné avec un résultat négatif a ce point de vue, et, pour ajouter à la force de cette preuve, le demandeur lui-même niait avoir jamais été tatoué. Quant aux cicatrice?, la preuve fit également défaut
85 LES TATOUAGES. Sir W. comme Fergusson, appelé témoin par lui, et d'autres chirurgiens examinèrent ses bras, sonfront et ses pieds sans trouver des cicatrices semblables à celles qui auraient suivi une saignée. avait bien quelques Il marques sur les pieds près des chevilles, mais elles n'avaient pas été produites par des incisions faites pour cune marque la saignée du pied. ni dépression sur le bras où Il n'avait au- le véritable Roger un cautère. «A moins que nous ne consentions à admettre qu'un homme puisse êlre tatoué et n'avoir aucune connaissance du fait» avait eu c'est-à-dire que toutes vues, il qu'il les tatoué sans en avoir conscience et ait été marques aient disparu avant est impossible que Roger Charles Tichborne, marques a tance des Il en de était d'elles ne été môme et, ait les ait pu avoir l'héritier des biens. La été persis- prouvée clairement par lord Bellew. par rapport aux cicatrices. Aucunes rendaient plausible, demandeur le ne qu'il l'histoire du demandeur seulement rapprochées des marques de tatouage elles étaient en contradiction absolue avec son assertion. puyant seulement sur ces pour rejeter sa demande faits et le médicaux, il y En s'ap- en avait assez convaincre d'imposture; mais y avait une accumulation d'autres preuves basées sur les faits antérieurs, l'éducation, les voyages et les habitudes de l'héritier perdu qui montraient clairement qu'il s'agissait il d'une plainte fausse. teur ait pu pendant si 11 est déjà surprenant que cet impos- longtemps échapper à la justice et en imposer à un grand nombre de personnes. Cela indique, comme et prétend un écrivain, un le manque de sens commun une éducation imparfaite chez une grande proportion du peuple anglais. Il récit est intéressant de rapprocher d'un fait à parVidocq Après (1) » du procès Tichborne le peu près semblable qui se trouve rapporté (1). s'être évadé du bagne de Brest, Vidocq se Vidocq, Mémoires, cb. IX, fit passer
86 A. pour un nomme LACASSAGNE. Duval, né à Lorient, déserteur de la Cocarde. Arrêté pour un autre marin qui prison de désertion, fait donna des lui dit plus facile cette substitution pas qui vous êtes, n'êtes pas le fils dit-il la frégate rencontre il conseils et lui ren- de personne « : Je ne sais à Vidocq, mais à coup sûr Duval, car il est en mort vous y a deux ans à il Saint-Pierre (Martinique). Personne n'en sait rien tant ici, il y a d'ordre dans nos hôpitaux des colonies. Maintenant, je puis vous donner sur sa famille assez de renseignements pour que vous vous fassiez passer pour lui-même aux yeux des parents; cela sera d'autant plus facile qu'il était parti fort maison paternelle. Pour plus de sûreté, vous pouvez d'ailleurs feindre un affaiblissement d'esprit causé jeune de la par les fatigues de la mer et par les maladies. H y chose avant des'embarquer,AÛgusteDuval s'était : sur le bras gauche un dessin, soldats et des marins un c'était autel ; je comme en ont a fait autre tatouer plupart des la connais parfaitement ce dessin: surmonté d'une guirlande. Si vous voulez vous faire mettre au cachot avec moi pour quinze jours, je vous ferai les monde tait s'y mêmes marques, de manière méprenne. » à ce que tout Vidocq explique l'intérêt que son compagnon par ce désir de faire pièce à dont sont animés tous les détenus; pour eux, le lui por- la justice la dépister, entraver sa marche ou l'induire en erreur, c'est un plaisir de vengeance qu'ils achètent volontiers au prix de quelques semaines de cachot. Les deux compagnons se firent facile- ment punir. « A peine étions-nous enfermés que mon camarade commença l'opération, qui réussit parfaitement. Elle consiste tout simplement à piquer le bras avec plusieurs aiguilles réunies en faisceau et trempées et le carmin. cicatrisées Au dans l'encre de Chine bout de quinze jours au point qu'il était impossible les de reconnaître de- puis combien de temps elles étaient faites. profita de cette retraite sur la famille pour me donner piqûres étaient Mon compagnon de nouveaux détails Duval, qu'il connaissait d'enfance, et à laquelle
87 LES TATOUAGES. même, je crois, allié; jusqu'à un tic démon sosie. il était c'est au point qu'il m'enseigna Ces renseignements mefurent d'un grand secours, lorsque, le seizième jour de notre détention au cachot, on vint m'en me présenter mon père que le commissaire des classes avait fait prévenir. Mon camarade m'avait dépeint ce personnage de manière à ne pas s'y méprendre. En l'aperceil me reconnaît; sa femme, qui vant, je lui saute au cou une cousine et un arrive un instant après, me reconnaît oncle me reconnaissent; ma voilà bien Auguste Duval, il extraire pour : ; n'étaitpluspossible d'endouter, et lecommissaireen demeura convaincu lui-même. Mais cela ne suffisait pas pour mettre en liberté faire : comme déserteur de la Cocarde je un con- devais être conduit à Saint-Malo, puis traduit devant de guerre. seil certain que A vrai j'étais me dire, tout cela de m'évader dans ne m'effrayait guère, le trajet. Je partis enfin baigné des larmes de mes parents et lesté de quelques louis de plus... ment : La » C'est le chapitre que Vidocq intitule malicieuse- voix du sang. CHAPITRE V. DU TATOUAGE EN MÉDECINE LÉGALE. Je désire présenter certaines considérations générales sur les applications médico-légales du tatouage. Il est bien en- tendu que tous les renseignements qui se trouvent dans les chapitres précédents doivent être utilisés, mais d'autres faits qui peuvent rendre service de les rapprocher tous afin de l'on peut en tirer. et il il est nécessaire mieux apprécier le parti que J'adopterai la division générale que j'ap- un cas quelconque de médecine judiciaire défininature ou limite du sujet; caractères scientifiques ; con- plique à tion, existe séquences médico-judiciaires et règles de l'expertise. :
88 A. 1° LACASSAGNE du Définition et limites sujet. Nous rappellerons la définition que nous avons donnée, page4, d'après M. Berchon, en insistant de nouveau sur ladifférence entre les tatouages et les marques indélébiles laissées sur la peau par l'application d'un caustique ou du Tout en reconnaissant avec Darwin fer rouge. Lombroso l'influence atavique sur la manifestation d'une coutume presque généralisée à toute l'espèce humaine primitive, je crois cependant que, vu le grand nombre de tatouages symboliques, il faut tenir compte des tendances fétichiques qui bien que plus fréquentes et plus spontanées depuis un siècle sont cependant inhérentes à l'organisme humain. Les études archéologiques ont prouvé que les hommes et ont peint leurs idées avant de les écrire. Dans plusieurs pays, en France, en Espagne, en Allemale fait remarquer M. Ghampfleury (1), il existe gne, ainsi que des proverbes qui expriment sont la même idée : les murailles papier des fous. le Les anciens faisaient comme les modernes, etsur les murs de Pompéi on a retrouvé une foule d'inscriptions et de dessins qui ont plus d'un rapport avec les tatouages. graffiti qui ont été reproduits et logue distingué, le mêmes lignes, dessin c'est le même sentiment ; de ces le et graffiti commentés par un archéo- père Garucci(2). Ces touagesdes murailles; Ce sont des et graffiti mêmes sont les ta- dispositions du lamêmenaïveté. Ainsi, un représente un cœur, à l'intérieur duquel estécrit mot Psyce. Le père Garucci traduitcetemblème gracieux amoureux par ces mots Psyché est mon cœur. Les tatoués : parlent à notre époque absolument le même nous avons plus de trente dessins exprimant que le la langage même et idée graffito de Pompéi. Champfleury, Histoire de la caricature antique, p. 2G8. Graffiti de Pompéi. Inscriptions et gravures tracées au stylet, recueillies et interprétées par Raphaël Garucci, de la Compagnie de Jésus, membre résident do Académie d'Herculanum. 2° édition ; atlas de 32 pl. Duprat, 1856. (1) (2) i'
89 LES TATOUAGES. Par plus d'un côte des hiéroglyphes, nom ce si exprimer figures qui servent à les tatouages se rapprochent encore les convient aux signes ou aux les idées par l'écriture. Car tatouages sont essentiellement idéographiques, et c'est une idée qui assez souvent est exprimée par des images ou des symboles. Tous ces signes sensibles, hiéroglyphes ou tatouages, sont de ceux qui se gravent plus fortement dans le cœur et Diderot manqué de les ranger parmi les manières qui sont ou l'expression des mœurs ou l'effet de la soumission aux n'eût pas usages. La comparaison des tatouages encorejusle Il y en si en a, on rapproche effet, des hiéroglyphes est et la valeur des signes employés. de figuratifs, de symboliques, de phoné- tiques. Les signes figuratifs expriment objets rie; : ainsi pour les idées par la figure des un fantassin quelconque représente les cavaliers c'est un cheval; pour l'infante- les artilleurs un canon; des signes divers dans les différentes professions. Les signes symboliques expriment par l*image d'objets physiques. J'en les ai idées abstraites de nombreux cité exemples page 57, à propos des tatouages mélaphoriques. Les signes phonétiques sont souvent exprimant les suivie des mots sons de : figuratifs, tout langue parlée. C'est une pensée la à moi, à elle, à ma mère. J'ai un tatouage dans lequel cette fleur est précédée du mot des mots C'est «à elle »; le en tatoué lisait ainsi encore l'inscription : : : « je » et suivie Je pense à elle. né sous une mauvaise, puis le mot « mon» auet sous cette image les mots mon cœur brûle pour toi. dessin d'une étoile; ou encore ce dessin le dessus d'un « cœur enflammé àtoi*. Le tatoué lisait : Notons aussi des abréviations et môme des rébus. Ainsi un homme avait sur le bras gauche cette inscription Mort aux B. B. T. qui voulait dire mort aux bêtes brutes. : Un autre portait à la face externe de l'avant-bras droit
90 A. un LACASSAGNE. plateau, deux verres et L. E. B. V ; une bouteille avec les lettres ce qui veut dire vive V amour et le V. bon vin. Assez souvent nous avons trouvé une pensée, un buste de femme, un pigeon ayant au-dessous ce qui veut dire : deux lettres S. V. souvenir. un rébus facile à deviner 20, le dessin d'un cœur, l'inscription vainqueur des d belles; ce qui veut dire Voici et les : : : belles. Disons enfin, pour terminer sur ce point, que nous avons trouvé sur le bras gauche d'un homme (obs. 540) une sorte d'alphabetmystérieux composé de caractères rappelant ceux dont se servent les sténographes. Le tatoué n'a pas voulu nous en donner la signification, et cependant nous savons d'une manière certaine que dans quelques pénitenciers, entre autres à celui de Bas-el-Oued, quelques détenus ont adopté un alphabet spécial pour écrire un journal secret. Passons maintenant aux travaux des médecins légistes qui ont donné à cette question l'importance qu'elle méritait. faut spécialement citer les Il noms de Tardieu, de MM. Berchon et Horteloup. Pour M. Tardieu, le tatouage pouvait être considéré comme un signe très important au point de vue de la constatation médico-légale de l'identité. M. Berchon agrandit les et dangers inhérents indique les cas le cadre de la question. à cette opération prise dans lesquels intervenir sous ce rapport. la justice «Le tatouage, Il en elle-même peut être appelée à dit-il, est un signe d'identité individuelle précieux à rechercher soit sur vant, soit sur le diques. Il peut dessins qui le étudie le vi- cadavre, soit dans les cas d'exhumations juri- même fournir, selon la nature et le siège des constituent, des notions importantes et quel- quefois décisives sur la condition sociale, l'âge, le sexe, la nationalité, les goûts et, surtout, la profession actuelle ou antérieure des personnes visitées. » M. Horteloup, qui a fait à la Société de médecine légale un rapport sur l'ouvrage de M. Berchon, met en lumière les
91 LES TATOUAGES. recherches spéciales de l'auteur, mais critique sévèrement système répressif proposé. Pour M. Horteloup der la faut deman- suppression du tatouage au bon sens, à l'intelligence à l'instruction qui et il le développe les sentiments de dignité personnelle. 2° Règlements et législation. Diverses ordonnances ou instructions ministérielles, une du 26 août 1831, ont recommandé aux directeurs circulaire des maisons de détention l'inscription et la description des tatouages des prisonniers. D'ailleurs, d'après^le règlement du 27 octobre 1808 et les art. 29 octobre 1820, faut faire il 200 et 206 de l'ordonnance du un relevé très exact de l'état signalétique des détenus. Le ministère de l'intérieur adressait la circulaire suivante aux préfets en date du 23 octobre 1849. « Je vous prie d'inviter le directeur à recueillir, avec le plus grand soin possible, tous les signes particuliers qui affectent l'habitude du corps; car, à l'aide de ces signes, l'individu qui ne veut pas reconnaître, comme lui étant applicable, une condamnation antérieure est matériellement contraint à l'avouer. Il est utile surtout de relever les objets représentés par le tatouage, et de ne pas les signaler seulement par l'expression générale de tatoué. » Voici le texte de la dépêche adressée aux préfets mariti- mes, officiers généraux, supérieurs et autres, à la date commandant mer, et commissaires de l'inscription maritime, en du 11 février 1880. M. l'inspecteur général du service de santé de la marine a dans un rapport récent, les dangers réels que présente la pratique du tatouage, aujourd'hui répandue dans les différents corps de l'armée d9 mer, et plus particulièrement dans le personnel de la flotte. Plusieurs exemples, empruntés à lastatistiquo du département, démontrent que, dans certains cas, la perte du bras, la mort même, peuvent être le résultat de tatouages opérés sur de « signalé, larges surfaces. «Quant aux accidents moins graves, quoique toujours dangereux,
92 A. LACASSAGNE. et ontraînant une longue suspension de services, qui proviennent le nombre en est considérable. La prudence commande donc de s'abstenir du tatouage, et dès lors il est essentiel, dans l'intérêt même des bommes, d'appeler leur sérieuse attention sur les dangers auxquels les expose une habitude trop généralement répandue. Il appartient plus spécialement à MM. les officiers commandant à la mer, les chefs de corps et les commissaires de l'inscription maritime, de porter à la connaissance des marins de la flotte et de la môme cause, des militaires de divers corps les observations qui précèdent, en y joignant, pour l'avenir, l'invitation de renoncer au tatouage d'une manière absolue.» Selon que l'opération du tatouage aura élé suivie d'acciy alieu à une action civile application des articles sui- dents plusou moins graves, et s'il ou criminelle, il fait vants du Code civil D'abord ou du Code pénal. les délits et les quasi-délits d'après la loi civile. — Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à auun dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le Art. 1382. trui pourra être réparer. Art. 1383. — Chacun est responsable du dommage qu'ila causé, non seulement par son son imprudence. fait, mais encore par sa négligence ou par — Art. 1384. On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde, etc. Voici les articles du Code pénal. Art. 309. — Tout individu qui, volontairement, aura blessures ou porté des coups, ou commis fait des toute autre violence ou fait, s'il est résulté de ces sortes de violences une maladie ou une incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours, sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans et d'une amende de 16 francs à deux mille francs. — Quand les violences ci-dessus exprimées auront été suivies de mutilation, amputation ou privation de l'usage d'un membre, cécité, perte d'un œil ou autres infirmités permanentes, le coupablesera puni delà réclusion. Si les coups portés ou les blessures faites volontairement, mais sans intention de donner la mort, l'ont pourtant occasionnée, le coupable sera puni de la peine des travaux forcés à temps. voie de —
93 LES TATOUAGES. - Lorsque les blessures ou les coups, ou autres vioArl. 311. lences ou voies de fait, n'auront occasionné aucune maladie ou incapacité de travail personnel de l'espèce mentionnée en l'art. 309, jours à deux le coupable sera puni d'un emprisonnement de six > ans et d'une amende de 16 francs à 200 francs ou de l'une de ces deux peines seulement. Quiconque par maladresse, imprudence, inattention, Art 319. — négligence ou inobservation des règlements, aura commis involon- tairement un homicide ou en aura involontairement été la cause, sera puni d'un emprisonnement de 3 mois à 2 ans et d'une amende de 50 francs à 600 francs. S'il n'est résulté du défaut d'adresse ou de précauArt. 320. tion que des blessures ou coups, le coupable sera puni de 6 jours à 2 mois d'emprisonnement et d'une amende de 16 francs à 100 — francs ou de l'une de ces deux peines seulement. Nous discuterons plus loin, à propos des conséquences médico-judiciaires, les applications de ces différents articles de loi. 3" Caractères scientifiques. An point de vue de Vâge, j'ai indiqué (pages 20 et 71) que tatouages pouvaient avoir lieu à tout âge; c'est surtout les vrai pour les criminels qui se distinguent par tatouer de bonne heure, et plus tard, après cité et se font 30 ans, quand que j'ai ils sont dans les prisons. D'après les tableaux donnés, on voit l'influence de jeune apprenti régiment : les leur préco- ; il uns en est de même et les autres la vie d'atelier pour le pour le soldat arrivant au cèdent à un esprit d'imita- tion. On a dit que des tatouages, ordinairement étaient pratiqués par des veau-nés placés dans mères de sages-femmes sur des enfants nou- les les reconnaître superficiels, hôpitaux, afin de permettre aux plus tard. Cette pratique était en usage au siècle dernier, croyons Beaumarchais (1). BARTHOLO. LefatI c'est quelque enfant trouvé. (1) Beaumarchais, Mariage de Figaro. Scène xvi, acte III. si nous en
94 LACASSAGNE. A. FIGARO. Enfant perdu, docleur; ou plutôt enfant volé. LE COMTE. Volé, perdu, la preuve? 11 crierait qu'on lui fait injure. FIGARO. Monseigneur, quand les langes à dentelles, tapis brodés et joyaux d'or trouvés sur moi par les brigands n'indiqueraient pas ma haute naissance, la précaution qu'on avait prise de me faire des marques distinctives témoignerait assez combien j'étais un fils précieux; et cet hiéroglyphe à mon bras... veut se dépouiller (Il Marceline, Une se levant spatule à ton bras droit le bras droit.) vivement. ! FIGARO. D'où savez-vous que je dois l'avoir? MARCELINE. Dieu! c'est lui ! Cette citation est d'autant plus intéressante que « ces mar- ques distinctives » ou «cet hiéroglyphe» sur ont un caractère nettement professionnel dont se servait le D r le bras adroit» c'est l'instrument : Bartholo pour remuer ou étendre ses électuaires ou ses onguents. Au point de vue du sexe, je rappellerai que j'ai vérifié sur des prostituées arabes la remarque ingénieuse faite à Paris par Parent-Duchâtelet : « Si la fille est que toujours des noms d'hommes ; jeune, ce sont pres- si elle âge, ce sont le plus ordinairement des Dans ce dernier cas, ces noms l'espace qui sépare le pubis jamais pour les est d'un certain noms de femmes. sont toujours tracés dans du nombril, ce qui ne noms d'hommes. Je sé voit n'ai pas besoin d'entrer à ce sujet dans de grandes explications, on comprendra ce que « cela veut dire. » Ces inscriptions, dit avec quelle facilité ces le même auteur, servent à montrer femmes changent d'amants et com-
95 LES TATOUAGES. bien sont mensongères ces protestations d'attachement à la vie, à la mort. J'en femme, dans ai vu plus de trente sur l'infirmerie de La qu'elles la buste d'une Force, sans compter celles du corps qu'elle pouvait avoir sur d'autres parties qu'il faut le ; et ce surtout remarquer dans ces inscriptions, c'est ne contiennent rien de contraire à l'honnêteté et à décence. Sous ce rapport les prostituées diffèrent beau- hommes mœurs et coup des avec lesquels elles vivent et dont elles ont pris les les habitudes. » Quant aux individus constituant, comme on sième sexe, aux pédérastes, MM. Tardieu et l'a dit, le troi- Berchon n'ont dans leurs recherches relevé aucun caractère spécial. Nous avons eu, dit Tardieu, l'occasion d'examiner un nombre considérable de pédérastes, et nous n'avons trouvé chez eux rien de comparable à ce qui vient d'être Pour M. Berchon : dit des prostituées. les individus livrés à ce honteux liberti- nage s'efforcent de répudier ce qui pourrait nuire à leur constante préoccupation de plaire. Il me semble que ces deux auteurs ont confondu les indi- vidus adonnés à la prostitution pédéraste et ceux qui, comme des hermaphrodites moraux, ont une déviation complète de pu avoir des renseignements l'instinct sexuel (1). Ainsi, j'ai complets sur les moeurs de 67 individus dont tatouages. La plupart désertion, voies de signalés fait, j'ai relevé les avaient été condamnés pour vol, vente d'effets, comme ayant une bonne etc. Quarante sont conduite, huit sont tous .des pédérastes actifs, quinze des pédérastes passifs; mais, tous ces individus ayant passé prisons ou les pénitenciers, tions d'existence qui, hommes de il plusieurs années dans faut tenir les compte des condi- en éloignant pendant longtemps des toute personne de l'autre sexe, développent des Igoûts contre nature. Voici la description des douze tatouages recueillis sur des pédérastes et qui, à ce point de vue spécial, ont une certaine (I) Voir Lacassagne, Précis de médecine judiciaire^ p. 456.
96 A. importance. Quatre LACASSAGNE. fois ce sont des mains entrelacées : Deux mains entrelacées sont surmontées des initiales; audessous Y amitié" unit les cœurs les mains tiennent une fois les — ; pensée, au-dessus et au-dessous sont les initiales (Voy. fig. 37) ; les à la vie, à mains tiennent un poignard avec Quatre la mort. fois ce sont des l'inscription initiales, dessous d'im cœur enflammé ou d'une pensée avec amitié; quatre fois c'est le Dans un est cas il nom de surmonté d'un « le : au- mot : l'ami » écrit en entier. portrait. Les tatouages professionnels sont certainement les plus importants au point de vue de l'identité (1). nombreux dessins et indiqué pour difprofessions les marques caractéristiques. Ce sont J'en ai donné de férentes ces latouagesquiontle langage le plus significatif. Ils avaient frappé Tardieu, qui en indique quelques-uns et rappelle que l'une des victimes des assassins Lescure et Gousset dont le cadavre, en partie décomposé, gardait encore sur l'un des bras l'empreinte bien conservée d'instruments de charpentiers et de signes de compagnonnage, put être ainsi reconnu pour l'ouvrier charpentier Chauvin. M. Berchon l'utilité J'ai a fait les mêmes observalions et a signalé de ces signes. actuellement plus de cent de ces dessins donnant les emblèmes d'un grand nombre de professions et on ne peut s'imaginer quel intérêt cette collection présente. J'ai fait, on se le rappelle, une catégorie spéciale pour les tatouages militaires à cause du grand nombre de ceux-ci. Mes observations il étant prises pour la plupart sur des soldats ne pouvait en être autrement. Cependant (Il II je faudrait rapprocher des tatouages professionnels les veux faire emblèmes qui bnnnières, les sceaux des corporations, les signatures parlantes des artisans (voir les recherches de se trouvaient autrofois sur les oriflammes, les MM. Edouard Fleury, Têtard, Dan-as, Bryois insérées dans les Annales des Laon et de Soissons). « La signature de Raulin est. accompagnée d'une [~ potence, pour Lien montrer qu'il c?t exécuteur des Sociétés académiques de sentences criminelles, » (Desmaze, Supplices, prisons, Paris, 186;.)
97 LES TATOUAGES. remarquer que parfois les hommes arrivés au régiment, continuent dans certains corps spéciaux (troupes d'administraprofession antérieure. tion, génie, etc.) leur Disons, enfin, que nous avons quelques tatouages indi- quant des signes francs-maçonniques de et, carbonari avaient adopté un tatouage spécial de filiation à la compagnie, d'après Lombroso, il existe même que les comme marque probablement encore, un semblable procédé dans certaines sociétés secrètes d'Italie. Ce sont serait peut-être , une erreur de que croire les dans notre Europe, uniquement adoptés par inférieures. Il y aurait peut-être l'attention des de tenir compte des il autour du appelons y a quelques mois, par un journal, et je répèle d'ailleurs ce que dif- médecins légistes. J'avais été fort étonné en apprenant, réserves, les classes point de vue nous à ce férentes nationalités, et lieu tatouages le fils monde fait sous toutes du prince Galles pendant un voyage s'était fait tatouer une ancre Ma (1). sur- Nous détachons du numéro de la Revue des Deux-Mondes (15 juin Voyage en Syrie, parGabriel Charmes) une note qui, si elle ne prouve pas absolument que l'héritier de la couronne d'Angleterre est porteur d'un tatouage, démontre au moins d'une manière positive, ainsi que Thévenot l'avait constaté dès le XVII' siècle, que la religion catholique favorise la continuation de cette coutume. «J'ai élé arrêté un jour dans une rue par un homme à figure avenante qui voulait à tout prix me faire un tatouage sur le bras pour constater que j'étais anhadji, un pèlerin, et que j'avais été à Jérusalem. Il me montrait (I) 18iil, • modèles divers; je pouvais choisir entre la croix grecque, la croix de lis, le fer do lance, l'étoile, mille autres emblèmes. L'opération ne faisait aucun mal je ne la sentirais pas; pendant qu'on me tatouerait, je fumerais un narghilé et jo prendrais du café tout en causant avec la femme et la fille do l'opérateur, lesquelles m'adressaient d'une fenêtre les signes les plus provoquants. D'ailleurs les plus grands personnages s'étaient offerts à l'épreuve qu'on me proposait. Vingt certificats en faisaient foi. J'ai su résister îi ces nobles exemples; je ne me suis pas fait tatouer mais j'ai copié un des certifiées; il montre très clairement quo le princo do Galles a été plus faible que moi et s'est laissé prendre aux beaux yeux de la fille du tatoueur. En voici lo texte je pense que personne no sera ; assez sceptique pour douter do son incontestable authenticité « Ceci est g»« le certificat que Francis Souwau a gravé la croix de Jérusalem sur le bras S« do S.Â. le prince de Galles. La satisfaction que Sa Majesté a éprouvée do « cette opération prouve qu'elle peut être recommandée. Signé: Vanne, courdes latine, la fleur : ; : Lacassagne. 7
98 LACASSAGNE. A. y a quelques jours, lorsque j'ai reçu une lettre d'un avocat distingué de Londres qui, après avoir lu mon Mémoire dans les Annales d'hygiène, me demanprise a été plus grande, il ma dait certains renseignements sur et m'informait même en temps collection de tatouages qu'il avait eu l'idée de ras- sembler des dessins de tatouages pris sur des officiers anglais de l'armée de terre ou de mer. Nous pouvons pays et limité affirmer qu'il n'en est pas ainsi dans notre que, dans l'armée, aux tatouage reste absolument le soldats. Les caractères extérieurs des tatouages peuvent donner au médecin légiste des indications importantes. Nous avons dit plus plus, haut qu'après quatre semaines, cinq semaines au un tatouage était tout à fait installé, avait pris pour ainsi dire droit de cité et qu'il était impossible de dire à quelle époque au vermillon il avait été fait. Je rappelle que la couleur est plus irritante croûtes qui se forment que l'encre de Chine, que abondamment produisent un les prurit désagréable accompagné parfois de chutes des croûtes et de disparition de parties Il ya du dessin. aussi à tenir compte l'idée qui a présidé du dessin lui-même, à sa nature emblématique : c'est, et de nous, l'avons fait voir, une source précieuse de renseignements sur la nature des idées morales des tatoués, leurs pensées de prédilection, les images qui leur sont chères, leurs sou- venirs intimes, parfois inavouables, et même leurs projets de vengeance cyniquement formulés. Tout cela inscrit ou figuré dans une forme ou forte ou simple, mais toujours naïve et qui donne à quelques-uns de ces dessins la vigueur ou la sensibilité que l'on trouve dans certains chants populaires. Le médecin légiste doit savoir tirer parti de tous les A. le prince de Galles. Jérusalem, 2 avril iSi>2. » Je ne sais ce qu'a payé le prince de Galles, mais les simples mortels peuvent se procurer pour 5 ou 10 francs le plaisir de porter sur un bras, ou sur une partie quelconque du corps, une croix de Jérusalem, une croix grecque, « rier de la suite de S. un for de lance, une fleur de lis, etc. C'est vraiment pour rien. »
90 LES TATOUAGES. détails. Si les cicatrices sont parfois des signes précieux, permettent tout au d'après leur aspect et leur siège, elles plus de reconstruire les circonstances d'un événement. Les tatouages au contraire, par leurs variétés et leur nombre, marquent souvent fois les étapes sa nature morale. médecine judiciaire, tité il de la vie Ce sont des d'un individu et par- cicatrices parlantes. En n'existe pas de meilleur signe d'iden- par leur caractère de permanence, de durée, la difficulté à les faire disparaître. Pour constater règle de conduite l'identité d'un individu, on peut suivre la qu'Auguste avait adoptée pour Suétone veiller sa fille Julie. « Il défendit, dit homme, ou libre ou esclave, l'approchât sans faire (1), qu'aucun qu'il en fut sans qu'il connût par lui-même son âge, sa instruit et sur- taille, sa couleur et jusqu'aux marques qu'il pouvait avoir sur le corps. » un exemple d'identité fournie par le ta« A peine suis-je en touage. Il raconte une scène de duel garde, que sur ce bras qui oppose un fleuret à celui que j'ai ramassé, je remarque un tatouage qu'il me semble reconnaîVidocq cite (2) : tre: c'était la figure d'une ancre dont la branche était en- tourée des replis d'un serpent. gare à la tête criai-je, fendis sur fallut lui la tête ; et — Je vois la en donnant avertissement, je mon homme que j'atteignis au découvrir queue, m'é- la poitrine ; téton droit j'avais deviné du serpent, qui venait comme du sein; c'était là que j'avais visé. la me Il place de lui mordre l'extrémité » Vidocq avait ainsi reconnu un forçat évadé, un de ses camarades du bagne de Toulon. Les criminels ont des tatouages caractéristiques par leur nombre, leur généralisation, leur siège, et, s'il est possible de s'exprimer ainsi, parleur langage mystique, obscène ou haineux. (1) (2) Suétone, Auguste, ch. LXV, trnduclion Vidocq, Mémoires, ch. XIX, p. 126. di! la Harpe.
100 A. Sur le front, LACASSAGNE. des inscriptions telles que celles-ci de la liberté ; mort aux bourgeois Je possède dans ment orduriers cile, même ma collection ; une le Martyr : bagne m'attend. série de dessins telle- et obscènes que leur description serait en latin — diffi- (1). Mort aux gendarmes ; mort aux officiers français ; mort aux cliaous; la M... e vaut mieux que la France entière; malheur aux traîtres. J'ai souvent vu un dessin représentant une tête de gendarme menacée 'par un poing fermé. Nous trouvons un bien curieux exemple de tatouage chez les criminels dans le livre de M. Simon Mayer (2). « Ce Puis ce sont des Malasséné de haine, des menaces cris était le forçat le plus terrible qu'il est possible représenter. Taillé en hercule, il eût tenu tête à dix couvert de tatouages, depuis 11 était : les de hommes. pieds jusqu'aux épaules. Ces tatouages représentaient des figures grotesques ou terribles. Sur tine la poitrine, rouge il et noire, s'était profondément gravé une avec cette phrase en rouge guillo- : mal commencé je finirai mal la fin qui m'attend j'ai c'est Sur le bras droit, sur pour lequel Malasséné le bras qui avait commis était le crime au bagne, ce malheureux avait osé se faire graver cette inscription : MORT A LA CniOURME Malasséné n'avait peur de rien. Il eût reçu douze coups de corde sans crier. Fanfaron de l'échafaud, il eût tué n'importe qui pour un rien. » (1) Un individu ainsi tuloué, s'il so montrait nu, par exemple aux bains publics, ne pourrait-il pas être poursuivi pour outrage aux mœurs (article 287 du Code pénal)? ;2) Simon Mayer, Souvenirs d'un déporté, p. 83, 1880.
LES TATOUAGES. Lyon, en 1866, avait sur Barret, voleur-assassin, décapité à bras gauche cette inscription le 101 : MORT AUX GENDARMES 13 un des tatouages de Seringer, parricide, décapité à Lyon, en 1873; c'est une fortune ailée tenant un caducée Pas d'un dessin correct. Il avait sur un des bras les mots J'ai : de chance.... Je possède aussi un tatouage de Laurent, assassin, exécuté à. Lyon, en 1878 main une épée, de l'autre : une femme tenant d'une c'est un drapeau. Au-dessous, le mot : LIBERTÉ J'ai parlé au commencement de ce chapitre des ou tatouages des murailles. J'en trouvé de fort curieux ai au Palais de justice de Lyon, dans la chambre des accusés de la cour d'assises. Ces graffiti ont les que tatouages des criminels les lotine, : graffiti y il mêmes caractères a le dessin d'une guil- des têtes de femme, des têtes de magistrats ou d'avo- ou des noms accompa10 ans de travaux, travaux forcés. Il y a cats avec leur toque, des signatures gnés de ces mots les : signatures de deux condamnés à mort. La plus curieuse est celle de Laurent, dont nous avons parlé plus haut, je copie exactement la : Laurent Jean condannc amort le 25 mais inosant Il me reste nus dans les maintenant à traiter des changements surve- tatouages, des tatouages involontaires, des accidents qu'ils occasionnent. Les changements dans Tardieu avaient montré les tatouages. pour l'effet MM. Hulin et changements qui surpar l'effet du temps, soit et décrit les viennent dans les tatouages, soit par — de caustiques ou autres préparations employées les faire disparaître.
102 A. M. Berchon mations LACASSAGNE. a particulièrement bien étudié ces transfor- et l'on peut distinguer avec lui des tatouages dispa- même ou surajoutés, simulés, et rus, effacés, substitués des tatouages masquant des cicatrices ou des altérations de la peau. Je n'ajouterai que quelques renseignements à ceux que l'on pourra trouver dans J'ai les indiqué dans un tableau (page 41) les tatouages dont la coloration s'était affaiblie que la ouvrages de ces auteurs. avec temps, et le j'ai remarqué plupart de ces tatouages avaient été faits avec des substances de qualité inférieure ou bien avec du vermillon, du charbon de terre base essentielle de ou de bois. Le carbone qui constitue la matière colorante dans l'encre de Chine la est presque indélébile et les tatouages faits avec celle-ci ont une durée fort longue. J'ai relevé, tatouages d'un ancien soldat de il la y a quelques mois, les grande armée, faits à Varsovie, en 1813. Ces tatouages étaient parfaitement reconnaissables et devenaient flétrie et même ridée était tendue. très Chez nets lorsque la peau les vieillards, il y a un ratatinement de l'épiderme qui brouille les dessins et les rend confus. J'ajoute que certaines parties colorées avec du vermillon ne présentaient plus que quelques points rouges. Les tatouages subissent donc des changements en rapport avec de surface de les modifications la partie. J'en ai observé sur des noyés à la peau boursouflée et qui étaient distendus au point de rendre leurs contours méconnaissables. Pour ceux qui ont été comme un faits il y a au contraire rapetissement ou une concentration qui modifie aussi les dessins. à l'aide de pendant l'enfance, 11 serait curieux de suivre et mon procédé, pendant la grossesse, cessives par lesquelles passerait ges chez les prostituées, et il les un tatouage pubis et l'ombilic. Celte région est souvent le de dessiner, phases suc- placé entre le siègede tatoua- n'est pas impossible de faire une semblable observation. Les tentatives faites pour faire disparaître les tatouages
LES TATOUAGES. 103 sont assez fréquentes. Elles ont pour but de s'affranchir d'un dessin trop apparent ou de mauvais goût fait par esprit un moment d'égarement, mais souvent débarrasser un criminel d'un signe d'identité d'imitation ou dans elles servent à compromettant. De tout temps on a eu recours à de semblables moyens et M. Berchon a réuni une série de documents anciens (p. 91), qui indiquent des recettes données par Aétius, Paul d'Egine, Avicenne, et ne laissent pas de doute sur ce point. Plus M. Ber- près de nous, Parent-Duchàtelet, Hutin, Tardieu et chon ont publié des observations qui, ainsi que le dit ce dernier auteur, « mettent en dehors de toute contestation qu'on a pu de tout temps, des tatouages plus ou faire disparaître, moins étendus pour obtenir ce résultat, aucun pro- et que, cédé n'est, en réalité, préférable à la méthode ancienne, à celle que sujets l'on peut que j'ai nommer examinés, la j'ai méthode de Griton. » Sur les relevé dix-huit tentatives plus ou moins fructueuses de tatouages effacés. Le procédé le plus fréquemment employé dans l'armée où il a une réputation légendaire, est le lait de femme introduit sous la peau. Les aiguilles sont trempées dans ce liquide et le dessin est repiqué, puis la partie lavée avec celait. L'opération s'accompagne toujours d'une vive inflammation, de croûtes, et enfin de cicatrices en cupules semblables à celles qui suivent les pustules méconnaissable, mais sier qu'il n'est de le résultat la variole. Le dessin est obtenu est tellement gros- pas possible de se méprendre sur l'existence d'un tatouage. L'acide nitrique avait été employé avec plus de succès par cinq individus. Le liquide avait été introduit soit par des piqûres, soit par des incisions faites sur le dessin lui-même, et en badigeonnant l'épaisseur du derme avec le caustique. Quatre de ces individus avaient des cicatrices d'un aspect blanchâtre et moiré, et pour quelques-uns minutieusement et ce n'était cicatrice qui permettait il fallait observer souvent que l'ensemble de la de retrouver le tatouage. Le cinquième
104 LACASSAGNE. A. sujet s'était contenté de verser le liquide acide sur la peau une en cicatrice spéciale avait été la conséquence, mais ; le dessin se voyait encore. Les sept autres tentatives se répartissaient ainsi d'après les tatoués : deux avaient eu avec de l'acide chlorhy- lieu drique, deux avec le sel d'oseille, une avec une herbe quel- conque. Ces essais n'avaient pas été suivis d'un heureux résultat et les dessins se montraient assez nettement. Je ne fais d'exception que pour le cas dont je vais maintenant don- ner l'observation. Le nommé fanterie dans T..., âgé de 34 ans, ancien soldat au 3° d'in- de marine, les prisons. Il avait de tatouages de nombreuses années avait passé sur le corps un grand nombre si pas une surface grande qu'il n'existait une pièce de 5 francs qui ne comme enexceptanl fût recouverte, toutefois les joues et les parties postérieure et externe des cuisses. Sur Le menton, le front il lui-même étaient tatoués. le front y avait ces mots : Martyr de la liberté, dessus un serpent long de 11 centimètres, au-dessous, à-dire à la racine Un du nez, une au- c'est- croix. grand nombre de ces tatouages avaient été recouverts ou transformés. T..., avait essayé défaire disparaître ceux qu'il avait sur le front. L'inscription dont je viens de parler ne paraissait qu'à peine et n'était lisible que lorsqu'on était averti. Cet homme nous a assuré de substances qui et l'a que c'est le empêché de manque de temps les faire disparaître complètement. Voici son procédé qu'il a employé, quelques-uns de ses du sel d'oseille de sel camarades : dit-il, Repiquer avec succès sur le dessin avec délayé dans de l'eau légèrement additionnée de cuisine. La solution doit être épaisse. Cette opéra- tion fait enfler légèrement la partie, des croûtes se forment et lorsque ces dernières tombent, si l'opération est bien faite,
105 LES TATOUAGES. lalouage disparaît en laissant de petites cicatrices blan- le châtres qui disparaissent à la longue. J'ai observé un grand nombre de tatouages substitués ou surajoutés, et que j'appelle aussi des tatouages transformes ou surchargés. Ce sont des tatouages qui cessent de représentent une inscription ou plaire, sont un dessin que l'on mal faits, veut faire disparaître. Rarement il de distinguer est difficile sin primiLif, le plus les souvent au contraire contours du des- la modification est grossière qu'il est facile de retrouver les lignes des pre- si mières figures ou de juger par les caractères du nouveau dessin qu'il a été fait pour cacher et recouvrir d'un voile noir un emblème quelconque. Ces derniers dessins sont tellement en noir coloriés qu'ils ressemblent à une tache d'encre. C'est un as de cœur, un as de un simple rectangle, une circonférence, un arbre, un bouquet ou des vases de fleurs dont sont extrêmement touffus. les feuillages La plupart de compact, trèfle, ces tatouages présentent sont trop ombrées, figures les incorrect et parfois, à première vue, il le un aspect plus pointillage est est facile de deviner ce procédé enfantin. Il d'un y a des tatouages- transformés qui sont mieux examen plus Un homme ment et un faits et difficile. avait fait dessiner sur son bras autel, plus tard il fait placer un Saint-Sacreau-dessus un phallus, maisregretlant ensuite cette grossière plaisanterie il fit transformer ce dernieren un pistolet. Le changement était si bien fait que, même ce pistolet les lignes prévenu, je ne pouvais retrouver dans du dessin primitif. Les tatouages ont pu servir à cacher une altération de la M. Berchon rapporte le peau, soit congénilale soit acquise. cas d'un matelot qui, ayant sur la poitrine dissimula celle-ci drapeau tricolore. une plaque rosée, en faisant tatouer une liberté tenant un J'ai le dessin d'un homme qui ayant à la
106 LACASSAGNE. A. une cuisse cicatrice linéaire assez régulière se poignard dont fit lame paraissait pénétrer dans la Des tatouages involontaires. — tatouer un les chairs. Ces tatouages n'ont pas été signalés par les auteurs. Ils existent cependant et ils peu- vent prendre de l'importance dans certaines expertises. sont le Ils résultat d'accidents, de l'exercice professionnel, ilspeu- vent avoir été faits par le procédé ordinaire sur une personne endormie. fréquent de voir à la face ou sur les mains Il est résultats de l'explosion d'une arme les à feu qui a volé en éclats ou plus souvent encore d'une boîte à poudre, ainsi qu'il arrive fréquemment dans La poudre, les réjouissances publiques. surtout celle qui est à gros grains, pénètre violemment dans l'intérieur des tissus, et s'y incruste comme, dans les tatoua- ges ordinaires, les particules colorées apportées par les ai- guilles. Il même en est de dans certaines professions. Je citerai particulièrement les mineurs travaillant souvent à demi nus et qui reçoivent sur les de charbon détachés de épaules et les bras des fragments la voûte. Ces fragments de charbon, à arêtes inégales, produisent sur la peau des écorchures ou des plaies facilement remplies de particules colorantes. Il faut aussi dire quelques mots des tatouages accidentels sur lesquels tention (1). le D Grandclément r (d'Orgelet) a appelé l'at- Depuis longtemps, ce médecin avait signalé inconvénients graves qui résultaient de l'application du fetas noir d'Angleterre. Ainsi il tante à la racine du nez, chez a ; de même vu une coloration persistaffetas noir, faite à l'âge chez une autre dame, coloration sur une bosse frontale. Alph. Robert et Maurice ont signalé le (1) Raynaud même inconvénient après l'application ches et de vésicatoires. Le Concours, 16 avril 1881. taf- une dame de 30 ans, après une application d'un morceau de de 4 ou à 5 ans les de mou-
107 LES TATOUAGES. observé un individu, porteur d'un petit tatouage J'ai enfin Ces tatouages avaient à la partie antérieure des cuisses. faits en prison, pendant qu'il dormait, et à la suite été d'un pari avec un de ses codétenus qui avait affirmé pouvoir le tatouer pendant son sommeil sans pération réussit le réveiller. Le premier jour, l'o- son réveil, l'individu se trouva tatoué et, à sur la cuisse droite, d'un petit tatouage du diamètre d'une pièce de 2 francs et représentant le une abeille. Le second jour, tatoué se réveilla pendant l'opération, alors que le dessin n'était que pas complètement terminé : il n'y a en effet de tracé d'une figure humaine. le profil Des accidents produits par le — Rayer, Parent- tatouage. Casper, Hutin, Tardieu ont publié la relation Duchâtelet, d'accidents graves et même mortels consécutifs au tatouage. C'étaient des plaies guérissant difficilement, ulcéreuses, des érysipèles, des M gangrènes rendant nécessaire une amputa- des syphilis inoculées accidentellement. tion, . Berchon a du tatouage. caractérisées Il fait une étude pathologique a divisé ses observations Par 2° Par l'apparition de Par la nécessité où 3» complète en cinq classes : 1° les fort symptômes inflammatoires la gangrène (17 cas). (8 cas). l'on s'est trouvé de pratiquer l'am- putation d'une partie souvent considérable des membres (4 cas). 4° Par 5° Par quelques complications que leur rareté mort des sujets la considérer comme des (7 cas). exceptions (1 cas : doit faire observation d'ané- vrysme artérioso-veineux). M. Berchon dit que l'on pourrait faire rentrer dans cette catégorie le fait d'inoculation de la un tatoueur vénérien. fait tel que le raconte M. Hutin syphilis par Voici le faut pas croire que (p. 10). « Il ne cette opération, si simple en apparence, n'expose jamais à des accidents d'un autre genre. La substance servant à peindre les images n'est pas toujours la
108 A. seule déposée dans le LACASSAGNE. derme, il peut y avoir inoculation d'un virus. « Un militaire se tatouer à l'hôpital du Val-de-Grâce, fit une trentaine d'années, par un vénérien y a chancres à verge et à la la bouche. Vierge encore, parfaitement sain lui-même. Celui qui le il il de était tatouait n'avait que quelques piqûres à pratiquer; l'encre de Chine plus dont il dans une coquille. se servait était désséchée sieurs reprises, au bout de ses amputer la il accidents ; une plu- syphilis, qui au dire du patient, on faillit lui le bras. » M. Robert, médecin-major de mémoire l re le tatouage Nancy, sur huit hommes du C'est à classe, a publié un intéressant sur les Inoculations syphilitiques fort accidentellement 'produites par les A délaya en prenant de sa propre salive aiguilles, et inocula ainsi amena de graves que atteint 9° (1). chasseur à cheval, tatouages furent faits par un tatoueur ancien marin, mendiant journellement à la porte plaques muqueuses étendues à la du quartier bouche et affecté et à la de commis- sure des lèvres. y a eu manifestement, dans trois cas, transmission d'un virus emprunté aux accidents secondaires de la syphilis, et Il cette transmission n'est plus mise en doutedepuis travaux de notre savantcollègue M. Rollet. Dans observation il la les beaux première se développe des chancres multiples, indurés, un chancre recouvert d'une croûte. Dans le creux et humides; dans les deux autres, unique, induré, saillant et c'est premier cas l'incubation a été de 58 jours, de 50 dans deuxième, de 28 dans Chez poussée le le troisième. y eut le dix-huilième jour une intense accompagnée de fièvre à température premier sujet, très le il exceptionnellement élevée. Chez les deux autres, pent lentement (I) le les accidents secondaires se dévelop- trentième jour et Mémoires de médecine le soixante-dixième jour; militaire, 1879, n* 193, p. 609.
109 LES TATOUAGES. avant l'acné généralisée leurs vagues dans les il y a de membres ; la céphalalgie et la fièvre des dou- ne se montre pas, cependant malgré celte bénignité apparente le mal est rebelle au traitement, il y a des poussées successives de et syphilides ou de plaques la muqueuses qui viennent retarder guérison jusqu'à une époque indéterminée. M. dit le salivaire, D r En résumé, « Robert, huit inoculations évidentes de liquide plus ou moins chargé de virus provenant de pla- ques muqueuses, nous donnent comme résultat : trois trans- missions de syphilis et cinq résultats nuls dont un seule- ment s'explique par l'immunité acquise. Comment interpréter cette proportion exceptionnelle? L'opérateur, tout en agissant inconsciemment, s'est placé dans les conditions les plus favorables à l'effetde l'inoculation, faisant pénétrer d'abord à maintes reprises sous l'épiderme le liquide plus ou moins virulent, à composé de quatre pointes l'aide de son instrument d'aiguilles fixées sur un manche, puis complétant en quelque sorte des chances d'inoculation en introduisant par des frictions répétées dans les piqûres saignantes, opération dont des résultats syphilis. la il doit le liquide virulent donc obtenir, après cette durée moyenne était d'un quart d'heure, identiques sur tous les sujets vierges de Notons cependant comme obstacle possible à la pénétration du virus les précautions prises ultérieurement par la plupart des opérés, les uns lavant à grande eau la surface récemment celle-ci, sous prétexte de faire avorter tatouée, d'autres versant de l'urine sur les accidents inflam- matoires. » Examen dit des tatouages sur M. Hutin, si l'on racle la un cadavre. peau ou — si l'on Après la mort, coupe une tran- che très mince du derme, de manière à n'enlever qu'une partie de l'épaisseur d'un tatouage resté apparent, toujours retrouver la matière colorante, diffuse dans on peut le tissu dermique, l'extraire souvent avec la pointe d'un scalpel ou d'une aiguille- et la déposer sur une lame de verre ou sur
110 A. une de papier blanc, en s'aidant pour cela d'une feuille On loupe. LACASSAGNE. peut également en dégager quelques parcelles, en lavant dans un verre d'eau une portion de peau tatouée et ainsi coupée en tranches. Les moyens que possède la chimie peuvent en certains cas indiquer leur composition. J'ai répété Tardieu, et mon de fait côté les expériences de Rayer, Hutin, macérer dans de l'eau des fragments de peau recouverts de tatouages et j'ai constaté que ceux-ci résistaient parfaitement. J'ai vu plusieurs fois des tatouages sur des noyés dont putréfaction était assez avancée. moment certain dessin ; la distension Il même semble la qu'à un de la peau rend plus évident le plus tard, malgré la coloration rouge brunâtre de la peau, la disposition générale du dessin peut être distinguée. La description suivante donnée par a été bien observée : L'autre était M. Maxime Du Camp (1) un homme de quarante ans, gonflé, tuméfié, vert et livide il semblait qu'à poser doigt sur son ventre ballonné on y eût fait un Sa bouche tordue, son nez à moitié dévoré par les seulement trou. ; le poissons, ses yeux qui n'étaientque des trous, faisaient faire à son visage de ses mains de la vieille une grimace sinistrement grotesque et de ses pieds charpie mouillée. s'en allait Un 'pour mon le bout comme tatouage se dessinaitsur biceps de son bras gauche, et représentait s'élançait ; en lambeaux un une flamme entourée de ces mots : le autel d'où « Toujours Elisa. » D'ailleurs, dans les cas suspects et si l'on soupçonnait un tatouage disparu, on examineraitavec soin l'état deslymphatiques et des ganglions de la région. Follin (2) indiqua que les ganglions étaient remplis d'une matière particulière, d'une coloration analogue à celle qu'on rencontrait dans les parties tatouées. Follin ajoute que ce (1) Du Camp, Mémoires d'un suicidé. V Académie de médecine, sur le transport de matières solides à travers l'économie. {Bulletin de C Académie de médecine, (2) t. Follin, Lettre à XIV, 5 juin 1849.)
111 LES TATOUAGES. transport du vermillon ne s'opère que lentement, que par conséquent des individus récemment tatoués n'ont pas encore dans leurs ganglions la matière colorante. Les ganglions lymphatiques furent soumis à l'analyse chimique pour avoir millon. est ; chauffées été fortement dans un tube de une vapeur noirâtre, dégagée de venue à l'aide facile preuve absolue du transport du ver- Ces masses ganglionnaires broyées avec de la « chaux vive ont verre la se déposer sur la face interne du papier Joseph la masse chauffée, du tube. En enlevant cette matière noire, a été très il de constater qu'elle était remplie d'une très grande quantité de globules mercuriels très visibles à l'œil nu. » Follin semblait croire que les granulations colorées pou- vaient se retrouver dans les ganglions, dans différents points de l'appareil lymphatique et Virchow ganglions (1) : « dans Quelques particules, dans le canal thoracique. n'admet pas qu'elles puissent franchir lymphatiques, là leur poids même le le dit-il, les pénètrent dans les courant lymphatique les pousse malgré ganglion voisin, et là la lymphe On ne voit jamais ces particules dépasser les est filtrée. ganglions, parvenir jusqu'à une partie plus éloignée, à un organe plus profond. » Il est évident que si l'aiguille du tatoueur ouvre peut y déposer une particule qui rapidement sera transportée dans le ganglion. Mais c'est un vaisseau lymphatique là elle l'exception, c'est secondairement les que ces particules usent parois des vaisseaux lymphatiques et les pénètrent. Cette déchirure qui se produit lentement dépend aussi de la nature dessubstancescolorantes,eton peut s'expliquer ainsi comment le noir de fumée qui entre dans la composition de Chine ayant des particules plus que le lisses et vermillon, le cinabre, donne par cela Virchow, Pathologie encre de moins anguleuses môme une grande ténacité. (1) l cellulaire, 4 e édition. Paris, 1874. auxdessins
112 A. 4° LACASSAGNE. Conséquences médico-judiciaires. L'expertise ne présentera pas en général de grandes cultés et l'embarras ne peut être diffi- grand que pour certains cas de tatouages transformés ou surchargés. Pour les tatouages y regardant de près, et même avec la loupe, on ne vienne pas à découvrir les traces d'un ancien effacés, il est rare qu'en dessin. Nous conseillerons surtout l'emploi du procédé que nous dont nous nous sommes servi pour relever avons proposé et les tatouages. L'emploi de la photographie ne donne aucun bon résultat; nous avons, avec bile l'aide de M. Bernoud, l'ha- photographe lyonnais, tenté quelques essais pour arriver à des épreuves convenables. C'est que. en effet, on ne voit bien un tatouage, ou on ne la peau est le relève tendue ainsi qu'elle convenablement que lorsque l'était quand le dessin a été piqué. Quand le dessin est pris avec le papier toile et collé sur ma carton, ainsi que je le fais pour collection, la photogra- phie est facile et donne de magnifiques résultats. M. Bernoud a ainsi photographié les plus curieux de Au mes dessins. point de vue des conséquences judiciaires des acci- dents du tatouage, M. Berchon pense que ble de déterminer des blessures légères celui-ci est capa- ou n'occasionnant pas une maladie ou incapacité de travail de plus de vingt jours; des blessures graves parce que des infirmités ou dé- formations permanentes ou temporaires peuvent en être conséquence ; des blessures mortelles puisque quelques cas, été 11 faut nissi la suite la mort a, la dans de ce traumatisme. mentionner que de Lyon le tribunal (S et 13 décembre 1859) (1) a fait application de l'article 311 à des; médecins qui, dans un but scientifique, et ayant principale- ment pour mobile la guérison de leur malade, avaient prati- qué quelques expériences sur (1) Gazette i/ei la personne de tribunaux, 16 et 22 drcrmlre. ( celui-ci.
113 LES TATOUAGES. Quelques considérants de ce jugement sont importants à retenir. par est dit 11 l'article incriminés ployée la soit, ; loi que « : 311 du Code pénal se rencontrent dans les faits que par l'expression générique qu'elle a ema entendu toute lésion, quelque légère qu'elle ayant pour résultat d'intéresser individu que pour ; que l'auteur des blessures prévues les caractères eu ait qu'il le ait délit, y le corps ou il la n'est pas nécessaire dessein caractérisé et déterminé d'agir méchamment, par haine ou par vengeance, mais qu'il ait agi satisfaire, soit en connaissance de cause au risque de nuire, même une santé d'un et qu'il suffit avec l'intention de de sa renommée, soit l'intérêt passion purement scientifique et désinté- ressée. » Nous l'idée ajouterons, puisque quelques médecins ont eu déjà d'employer le tatouage comme méthode thérapeutique quePaulien 1836, Cordier en 1848, Schuh en 1858, avaient proposé de se servir du tatouage contre les nœvi, après (c'est ainsi contre les taies de la cornée) la chéiloplastie, ment du tribunal de Lyon dit aussi : « que (1), que les droits le du mé- decin et ses obligations envers la science ont des limites ses droits, bles il les tire la les soulager ; science doivent s'arrêter devant lade; qu'il suitdelà que toutes tiellement pour but la guérison dans ce cas, si amène par son que que ses obligations le respect dû au le les fois que, d'une méthode curative nouvelle, d'expérimenter, ; de son dévouement envers ses sembla- de son ardent désir de envers juge- ma- dans l'application médecin aura eu essen- du malade, et non le dessein il ne relèvera que de sa conscience, et que, la médication, thérapeutique par son but, résultat une découverte scientifique, il jouira légitimement de la considération et de la gloire quj s'atta bilité son nom. Ce jugement important fixe la responsades médecins dans les cas d'expérimentation. client à » (1) Que penser du tatouage obligatoire proposé dans sa thèse Le tatouage des artères appliqué à la chirurgie d'armée (1880), par un jeune médecin qui demande que les trajets des gros troncs artériels soient ainsi signalés, afin que les soldats puissent faire une utile compression sur los champs do : . bataille !!! Lacassagne. 8
114 LACASSAGNE. A. M. Berchon pense que l'a très peut appliquer au tatoueur 320 du Gode pénal articles 309, 311 et 319, Ainsi que l'on bien fait les (1). remarquer M. Horteloup, il Le tatoueur se faut tenir compte de l'intention de nuire. rapproche du rabbin qui pratique une circoncision, du bijoutier qui perce les oreilles. Qu'il survienne après ces opérations, qui sont des mutilations ethniques absolument comparables au tatouage, un phlegmon, des érysipèles, personne n'aura le bijoutier. l'idée Mais que de poursuivre ou de punir l'un ou ments contaminés, inoculent tatoueur, il pourra être fait l'autre, le etc., rabbin, en se servant d'instru- la syphilis et alors, ainsi qu'au application des articles 319 et Quant à la question des dommages et intérêts, elle serait une conséquence de l'application des articles 309, 311 et 319, 320. Gomme le dit justement M. Horleloup, l'amende 320. aurait peu de chance d'être payée par les tatoueurs, qui sont en général de pauvres diables sans argent, garder d'ouvrir la porte à et il faut bien se une espèce de chantage qui ne pourrait avoir que de graves inconvénients. Nous ne croyons pas non touage dans l'armée ou la plus que l'on supprime marine vaut mieux chercher à élever la le ta- à l'aide des punitions. 11 dignité morale de l'individu, instruire l'homme, lui montrer qu'il se dégrade et s'abaisse en se rapprochant du sauvage, et même si c'est nécessaire, ne pas donner d'avancement à ceux qui seront ainsi marqués. Pour les natures criminelles, ne fait qu'offrir l'occasion Longtemps encore pays, et le le séjour à la prison de nouveaux tatouages. tatouage sera adopté, dans tous les par certaines classes de la société. L'objet de ce mémoire aura été de mettre en évidence quelle importance cette coutume si bizarre avait pour la médecine légale. (1) Nous ne voyons une application possible de l'article 309, que dans cas bien extraordinaire et dont nous avons parlé plus haut de tatouage involontaire. Si, dans ces conditions, des complications graves étaient surle venues, et une amputation avait été pratiquée, il pourrait être toueur application du troisième paragraphe de l'article 309. fait au ta»
115 LES TATOUAGES. Avant de terminer ce mots de la théorie de voudrais dire quelques travail, je mon ami Lombroso. On vant professeur voit spécialement dans sait que le sa- tatouage qui se le pratique actuellement, surtout dans les classes inférieures de la société, un effet de l'atavisme. Ce serait la répétition de coutumes spéciales aux peuples primitifs. La comparaison que glyphes, les graffiti, j'ai faite les du tatouage avec les hiéro- emblèmes professionnels qui se trouvaient sur les bannières et les sceaux des corporations, les signatures des artisans, et ne me permet pas Là où le même avec l'art héraldique, d'adopter complètement cette explication. professeur de Turin voit une interruption, puis un non interrompue et retour en arrière, je montre une série une transformation successive d'un et l'expression matérielle de la emblématique ont instinct. métaphore La construction et d'un langage été d'abord adoptées par les classes les plus élevées qui n'avaient pas d'autres moyens de commu- niquer ou matérialiser leurs pensées, et peu à peu ce procédé s'est réfugié dans les couches sociales qui n'ont pas encore de meilleur moyen pour exprimer ce qu'elles sentent ou éprouvent, d'autant plus vivement qu'elles ont moins d'idées. C'est dans ces classes aussi que prédomine la vanité ou besoin d'approbation qui, à son tour a une influence non douteuse sur l'entretien de cette Dans les deux même coutume. cas, c'est la satisfaction d'instincts, et il n'est pas étonnant que ceux-ci manifestent leur action, d'une manière différente peut-être des individus. mais toujours continue, sur les actes Où Lombroso trouve des types anciens, tout à coup reproduits, nous ne voyons que des types retardés ce point de vue ne change rien anthropologiques à nos et médico-légales. communes : conclusions
TABLE DES MATIÈRES. Introduction 5 Chapitre I. Chapitre II. — Quelques faits de — Des procédés du tatouage l'histoire Tatouages chez les du tatouage.. 6; 11 Arabes 13 , Description d'une opération de tatouage Chapitre III. 16 — Classification des dessins de tatouages. — Du tatouage chez criminels 20 les Division des tatouages 21 Influence de l'âge, de l'instruction Siège des tatouages 27 Caractères distinctifs des tatouages 41 Chapitre IV, — Etude 22 anthropologique du tatouage. de Lombroso — Recherches 64 Opinions de Tylor, Darwin 72 Causes qui maintiennent cette coutume. 74 — Du tatouage en médecine légale Chapitre V. 1° Définition et limites du sujet 87 t 88 . . 2° Règlements et législation 91 3° Caractères scientifiques 93 Age 93 Sexe 94 96 98 Profession Caractères extérieurs Des changements dans les tatouages Des tatouages involontaires Des accidents produits par le tatouage Examen des tatouages sur un cadavre 4 U Conséquences médico-judiciaires Paris. — A. Parent, imp. do la Fac. do mcdec, rue A. Davy, successeur. lOfl 106| 107 109 113 M.-lc-Prince, 31.